Biographie nationale de Belgique/Tome 1/ANS, Paul-Ernest-Ruth D’

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ANS, Paul-Ernest-Ruth D’



ANS (Paul-Ernest-Ruth D’), théologien janséniste, né à Verviers le 23 février 1653, mort à Bruxelles le 24 février 1728. Issu d’une famille patricienne de la ville de Liége, d’Ans, destiné à l’état ecclésiastique et tonsuré dès l’âge de dix ans, reçut une éducation soignée. Après avoir fait ses humanités au collége de Verviers, il alla se livrer aux études philosophiques et théologiques à l’Université de Louvain. Il s’y distingua tellement dès sa première année de théologie, qu’il fut choisi pour accompagner Randaxhe, son professeur, et Huyghens, députés à Rome en 1670, afin d’y défendre les droits de l’université. Il revint ensuite continuer ses études à Louvain et il y prit le degré de bachelier. À l’âge de 22 ans, d’Ans se rendit à Paris, où il s’attacha au fameux Arnauld d’Andilly, qui resta jusqu’à sa fin son conseil et son ami. Sur son avis, d’Ans se mit sous la direction de De Sacy et passa plusieurs années dans la retraite de Port-Royal des Champs, uniquement occupé de l’étude des saintes Écritures et des monuments de l’antiquité ecclésiastique. En 1677, il prit les ordres mineurs à Beauvais ; à la fin de la même année, il fit un second voyage à Rome, où il accompagna de Pontchâteau, qui s’y rendait pour l’affaire de la régale et principalement pour celle des casuistes relâchés. D’Ans ne contribua pas peu au succès de cette négociation, par son adresse et son habileté naturelle dans les affaires. À son retour de Rome, d’Ans revint dans sa chère solitude de Port-Royal ; il y resta jusqu’à la dispersion des solitaires, qui arriva en 1679, par les ordres de Louis XIV. Il suivit alors M. de Tillemont à son château, pour y étudier l’histoire ecclésiastique sous la direction de ce savant historien. Durant son séjour au château de Tillemont, il fit quelques excursions dans les Pays-Bas. Il prit, à Louvain, le degré de licencié et reçut le sous-diaconat à Rotterdam en 1682, puis le diaconat à Amsterdam en 1684. Enfin en 1689, l’archevêque de Sébaste l’ordonna prêtre, ayant obtenu à cet effet les démissoires du prince-évêque de Liége.

L’affection et le respect que d’Ans ressentait pour Arnauld, le déterminèrent, en 1690, à se fixer à Bruxelles, pour tenir fidèle compagnie au célèbre docteur, qui y résidait caché. Il prit une part active aux ouvrages qu’Arnauld publia dans cette ville. D’Ans s’était ménagé beaucoup de crédit à la cour du duc de Bavière, alors gouverneur général des Pays-Bas espagnols. Ce prince se servit de lui pour obtenir des voix à l’évêché de Liége en faveur de son frère Joseph Clément, contre le prince de Neubourg, son compétiteur. D’Ans se rendit à cet effet à Liége en 1694 ; il réussit, mais il paraît qu’Arnauld n’approuva pas qu’il se fut mêlé de cette affaire. La même année, Arnauld étant mort à Bruxelles, ce fut d’Ans qui, accompagné de MM. des Essarts et de Guelphe, apporta secrètement le cœur de son ami à Port-Royal. Il prononça, à cette occasion un beau discours français que l’on trouve imprimé, sous le nom de Guelphe, dans l’abrégé de la vie d’Arnauld publié par le père Quesnel. En 1695, peu de temps après son retour de Port-Royal, d’Ans fut choisi pour aller avec l’évêque de Plocsko, recevoir la princesse royale de Pologne, au nom de l’électeur de Bavière, son futur époux. Il reçut à cette occasion le titre d’aumônier de cette princesse. Deux mois après cette mission, son protecteur, Maximilien-Emmanuel de Bavière, lui fit obtenir un canonicat à Sainte-Gudule, à Bruxelles. Ce bénéfice qu’il n’avait pas recherché et le premier qu’il ait obtenu, fut le signal donné aux adversaires d’Ans pour se déchaîner contre lui. M. de Precipiano, archevêque de Malines, l’accusant d’hérésie, obtint de la cour un ordre au gouverneur, pour l’exiler. Ce fut en vain que d’Ans publia une apologie de sa conduite, en vain que l’électeur de Bavière résista longtemps aux ordres du conseil d’Espagne. Maximilien-Emmanuel sut au moins rendre honorable l’exil de son protégé, qu’il n’avait pu empêcher. D’Ans partit pour l’Italie comme envoyé de l’électeur de Cologne. En cette qualité, il fut très-bien reçu à la cour de Florence et à celle du vice-roi de Naples. Il se rendit ensuite à Rome, où il obtint plusieurs audiences du pape Innocent XII, qui l’accueillit très-favorablement, ajoutant foi au bon témoignage de l’archevêque de Cologne sur l’orthodoxie de son envoyé. D’Ans parvint si bien à gagner les bonnes grâces du souverain pontife, qu’à sa recommandation, il reçut le bonnet de docteur au collége de la Sapience. Pendant son séjour à Rome, le père jésuite, confesseur du roi d’Espagne et qui était le plus grand ennemi d’Ans, vint à mourir. L’électeur de Bavière sollicita alors et obtint le rappel de son ami. À son départ de la ville éternelle, d’Ans reçut en présent du pape un chapelet de pierres précieuses, orné d’une médaille d’or. D’Ans, de retour à Bruxelles, s’aperçut bientôt que tous ses ennemis n’étaient pas morts. Il fut exilé de nouveau en 1698 et se rendit à Rome pour la quatrième fois. Le pape écrivit au roi d’Espagne en sa faveur et attesta son innocence. Bientôt, il fut rappelé à Bruxelles. Mais en 1704, on lui signifia, par lettre de cachet, d’avoir à se retirer, dans la huitaine, des terres de la domination d’Espagne. D’Ans vint se réfugier à Liége, avec l’espoir d’être enfin tranquille dans sa patrie. Cependant, à peine y fut-il arrivé, qu’on lui suscita de nouvelles persécutions. Il porta lui-même ses plaintes au prince-évêque, Joseph Clément de Bavière, qui le prit sous sa protection. Bientôt après, ses amis obtinrent pour lui la permission de revenir à Bruxelles, mais sous la condition qu’il se tiendrait enfermé chez lui. Enfin les Pays-Bas étant passés, en 1706, de la domination espagnole sous celle de la maison d’Autriche, d’Ans fut rétabli honorablement par le chapitre lui-même. En 1711, il fut, par l’influence des états généraux de Hollande, nommé doyen du chapitre de Tournai ; mais il ne put jamais prendre possession de cette dignité, à cause des obstacles qu’y mirent les molinistes, ses implacables adversaires. Ceux-ci laissèrent pourtant d’Ans en repos, pendant les dix-sept dernières années de sa vie, mais lors de sa dernière maladie, les molinistes, le cardinal archevêque de Malines à leur tête, assiégèrent durant plusieurs jours le lit du vieillard moribond, pour lui faire accepter la bulle unigenitus. D’Ans leur opposa une fermeté ou, si on l’aime mieux, une obstination invincible. Il s’attira par là le refus absolu des derniers sacrements et même de la sépulture ecclésiastique. Il expira, âgé de soixante-quinze ans, sans avoir reçu les sacrements, selon les uns ; d’autres prétendent qu’il fut administré par un prêtre charitable et inconnu.

Ainsi mourut d’Ans, qui subit un sort semblable à celui d’Arnauld son ami, persécuté comme lui pendant sa vie et enterré, comme lui, dans un lieu ignoré. Son corps inanimé fut enlevé, comme l’avait été le corps vivant du célèbre Grotius. Peu de temps avant sa mort d’Ans avait vendu sa bibliothèque, qui était fort considérable ; son cercueil passa, sans que l’on s’en aperçût, parmi les caisses de livres que l’on déménageait. On prétend que la persécution ne s’arrêta pas là et que ses ennemis poussèrent l’acharnement jusqu’à solliciter la permission de faire la perquisition et l’exhumation de ses restes, mais que cette demande barbare leur fut refusée.

Ruth d’Ans possédait des talents éminents, de rares qualités, naturelles et acquises. Cela explique les amitiés dévouées qu’il sut se concilier et peut-être aussi les haines acharnées qu’il eut le malheur de s’attirer. Il était en relation et en correspondance suivies avec un grand nombre de personnages marquants de son époque : princes, cardinaux et savants ; on cite parmi eux le médecin de l’empereur de Charles VI, le prince Ernest, landgrave de Hesse, et surtout le fameux prince Eugène de Savoie. Les ouvrages d’Ans ont presque tous pour objet ces tristes querelles entre jansénistes et molinistes qui passionnaient alors le monde presque entier et qui maintenant nous laissent si indifférents. Ils sont donc aujourd’hui la plupart oubliés, si tous n’ont pas eu le même sort ; il suffira de citer quelques-unes de ses publications :

1o L’Année chrétienne de Le Tourneux. D’Ans est le rédacteur des tomes X et XI.

2o Lettre au P. Cyprien, capucin, où, pour le détourner du dessein d’apostasie, on lui présente ce qui s’est passé en sa présence dans une dispute entre un prêtre catholique et plusieurs ministres de la R. P. R. Liége, 1697 ; in-12. (Anonyme).

3o Réponse à l’examen d’une lettre écrite à un capucin qui a quitté la religion catholique, par l’auteur de cette lettre. Bruxelles, 1697 ; in-12. (Anonyme).

4o La Vie de sainte Gudule, vierge, patronne de l’église collégiale et de la ville de Bruxelles. Bruxelles, 1703 ; in-8o.

5o Réfutation d’un monitoire de M. l’archevêque de Malines, signifié à M. Guillaume Vanden Esse, pasteur de Sainte-Catherine à Bruxelles, le 17 février 1703 ; de 74 pages.

6o Z.-B. Van Espen, Propriis Scriptis jugulatus, edit. secunda, aucta et synopsi actorum et scriptorum Car. Molinœi et Ernesti Ruth d’Ans locupletata. Mechliniæ, 1728, in-4o.

H. Helbig.

Mémoires historiques sur l’affaire de la bulle unigenitus, dans les Pays-Bas autrichiens. Bruxelles, 1755 ; in-12, t. II, pp. 156-176. — Moreri, Dictionnaire historique, t. IX. pp. 440-442. — Nouveau Dictionnaire historique, par une société de gens de lettres, t. V, p. 241. — De Feller, Dictionnaire historique, t. XI, pp. 436-437. — Poutrain, Histoire de la ville de Tournai, t. I, pp. 482-487. — Comte Becdelièvre, Biographie Liégeoise, t. II, pp. 330-336. — Sainte-Beuve, Port-Royal, t. V. pp. 168, 300, 313 et 531.