Biographie nationale de Belgique/Tome 1/AERSSEN, Corneille D’

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AERSSEN (Corneille D’), greffier des états généraux des Provinces-Unies, né à Anvers en 1543, mort à la Haye en 1627. Devenu bourgeois de Bruxelles, D’Aerssen s’éleva jusqu’au poste de greffier ou secrétaire de la commune. Calviniste et partisan dévoué du prince d’Orange, il fut employé dans différentes missions. Au mois de mars 1579, on le trouve à Mons, où, de concert avec le trésorier Guillaume Vanderhecke, il s’efforce, mais en vain, d’empêcher les Wallons de se réconcilier avec l’Espagne. En 1580, le magistrat de Bruxelles ayant été renouvelé de manière à consacrer la prédominance du parti orangiste et calviniste, Corneille d’Aerssen est nommé conseiller et pensionnaire de la ville et, en outre, préposé à la garde des archives de la chancellerie de Brabant. Envoyé aux états généraux comme mandataire de la commune de Bruxelles, D’Aerssen remplissait, dès le mois d’août 1584, les fonctions de greffier, puisque c’était lui qui contre-signait les dépêches de l’assemblée. Au mois de janvier de l’année suivante, pendant la crise provoquée par l’assassinat de Guillaume le Taciturne, il fit partie, comme représentant du Brabant, de la députation qui fut chargée, par les états généraux, d’offrir la souveraineté des Pays-Bas à Henri III. L’acte des états le désignait en ces termes : « Maître Corneille d’Aerssen, conseiller et pensionnaire de Bruxelles. » L’offre de l’assemblée souveraine ayant été heureusement déclinée par le roi de France, D’Aerssen revint en Hollande. Bruxelles avait ouvert ses portes aux Espagnols, le 10 mars 1585. Il fallait donc opter entre le parti qui voulait se replacer sous le joug de Philippe II et celui qui voulait continuer contre l’Espagne la grande lutte entreprise pour la liberté de conscience et l’indépendance des Pays-Bas. Corneille d’Aerssen n’abandonna point ses anciens coreligionnaires. Il fut d’ailleurs dédommagé de la perte de son emploi municipal et de la privation de son patrimoine. Les états généraux des Provinces-Unies, ayant égard à sa science et à son aptitude, lui conférèrent définitivement les hautes fonctions de greffier de leur assemblée. En cette qualité, Corneille d’Aerssen joua un rôle assez important. Uni à Jean d’Olden Barnevelt, le célèbre avocat des états de Hollande, il conduisit pendant longtemps, sous la direction de ce grand homme d’État, les principales affaires dévolues aux états généraux. Ce fut lui qui servit d’intermédiaire entre les états et Francesco de Mendoça, amirante d’Aragon, lorsque ce général eut été fait prisonnier à la bataille de Nieuport. Enfermé dans le château de Woerden, Mendoça y recevait de nombreuses visites. Non-seulement des gens de médiocre condition, mais des personnages notables, bourgmestres et régents des villes, sollicitaient la faveur d’être admis près de lui. Bientôt il écrivit aux archiducs Albert et Isabelle que, d’après les entretiens qu’il avait eus avec ces nombreux visiteurs, il trouvait, dans les Provinces-Unies, une disposition génerale à la paix. Au mois de janvier 1601, les archiducs l’autorisèrent à répondre à ces dispositions pacifiques et lui recommandèrent de les avertir, de temps en temps, de ce qu’il aurait négocié. Lorsqu’il eut été conduit à la Haye, Mendoça fit communiquer la lettre des archiducs au greffier des états généraux en le priant de se rendre près de lui. Avec l’autorisation des états, D’Aerssen vint trouver Mendoça et lui demanda s’il n’avait point des instructions plus précises. L’amirante lui montra une procuration des archiducs datée du 27 avril 1600 et par laquelle il était autorisé à négocier la paix, sauf leur ratification. D’Aerssen, après avoir lu cette procuration, demanda si l’amirante n’avait pas des pouvoirs plus récents. Mendoça ayant répondu négativement, D’Aerssen se retira et alla rendre compte de cet entretien aux états généraux. Le même jour, avant midi, Mendoça lui exprima, par un billet, le désir d’avoir une nouvelle entrevue avec lui et avec Barnevelt. Toujours avec l’assentiment des états généraux, d’Aerssen, accompagné de Barnevelt, retourna près de Mendoça : c’était le 24 décembre 1601. Une discussion assez vive s’engagea entre Mendoça et Barnevelt. Le premier exalta la puissance du roi d’Espagne et déclara qu’il ne consentirait jamais à la séparation des Pays-Bas. « La puissance du roi d’Espagne est, à la vérité, bien grande, objecta Barnevelt ; mais souvent Dieu vient en aide là où les forces humaines sont inférieures. » Les conférences continuèrent entre D’Aerssen et Mendoça. Celui-ci fit enfin connaître les articles qui, selon lui, pourraient servir de bases à un traité de paix. Il proposait aux états généraux des Provinces-Unies de reconnaître la souveraineté des archiducs, à condition que ceux-ci accorderaient la liberté de religion et une amnistie pour le passé. Le 26 décembre, Barnevelt et D’Aerssen ayant communiqué ces propositions aux états, l’assemblée jugea, dit un ancien historien, qu’on ne pouvait faire une paix chrétienne, honnête et solide en stipulant de pareilles conditions. Vers la fin du mois de février 1607, l’archiduc Albert, désespérant de vaincre la république, envoya en Hollande Jean Neyen, commissaire général des Frères mineurs. Ce moine, originaire de la Zélande, avait professé, jusqu’à l’âge de vingt ans, le calvinisme ; il était insinuant, familier, hardi même. Retiré d’abord à Ryswyck, où il eut quelques entretiens particuliers avec Maurice de Nassau, il obtint enfin la permission de venir à la Haye. Il était accompagné d’un nommé Krauwels, parent du greffier des états généraux. Krauwels présenta Jean Neyen à Corneille d’Aerssen, et le greffier logea dans sa maison l’agent des archiducs. On fit savoir nettement à ce nouvel envoyé que jamais les états généraux ne traiteraient avec Albert et Isabelle, si les Provinces-Unies n’étaient reconnues pour un État libre. Neyen répondit froidement qu’il ne désespérait pas d’obtenir cette concession « pour éviter plus grande effusion de sang. » Le 9 mars, il repartit pour Anvers, sur le bateau de guerre du prince Maurice. Le 17, il était de retour à la Haye. Il apportait une déclaration énonçant « que les archiducs sont contents de traiter avec les états généraux des Provinces-Unies en qualité et comme les tenant pour païs, provinces et Estats libres sur lesquels Leurs Altesses ne prétendent rien. » Des négociations s’ouvrirent alors en vue d’une suspension d’armes, et, le 13 avril, Neyen repartit pour Bruxelles, afin d’obtenir la ratification des archiducs. Quelques jours après, un acte, daté du 24 avril, et revêtu des signatures de Jean Neyen, commissaire des archiducs, et de Corneille d’Aerssen, greffier des états généraux, fut échangé à Lillo. Les deux parties consentaient à une suspension d’armes de huit mois, qui devait commencer le 4 mai. Cette déclaration, qui était comme le prélude et la promesse de négociations plus importantes et plus décisives, fut très-bien accueillie dans les Provinces-Unies. Un parti nombreux, ayant à sa tête Barnevelt, se prononçait hautement pour une paix honorable. Barnevelt, appuyé par la bourgeoisie des principales villes, voulait, au moyen d’un accommodement avec l’Espagne, non-seulement affermir la république, mais encore s’opposer à l’ambition de Maurice de Nassau, à qui la guerre assurait une prépondérance dangereuse pour la liberté. Maurice, inquiet et mécontent, s’aidait de la classe populaire pour contrecarrer Barnevelt, espérant d’ailleurs que la guerre le rendrait maître un jour de la république. Placé entre ces deux grands antagonistes, Corneille d’Aerssen montra d’abord un certain embarras. Mais, sous l’influence de son fils, agent des Provinces-Unies à la cour de France, il finit par se ranger du côté de Maurice. Le secrétaire d’État Villeroy, dans une lettre au président Jeannin, ambassadeur de Henri IV à la Haye, indiquait avec franchise le mobile de la conduite équivoque de François d’Aerssen. « Tant y a, disait-il, que c’est un homme qui craint que le prince Maurice ne débusque son père de sa place, s’il vient à bout de son dessein ; et qui sait, si ledit prince en est exclu, qu’il ne pourra que tomber debout avec sondit père ; par ainsi il va flattant ledit prince et adhérant à ses opinions pour avoir deux cordes à son arc, selon le style du temps. » Les vues de Barnevelt ayant fini par prédominer, Corneille d’Aerssen les seconda, mais en se gardant bien de se brouiller avec Maurice. Tout en passant pour « l’entremetteur secret » des archiducs, il ne faisait rien sans l’assentiment du stathouder. Ce fut précisément à cette époque que le double rôle du greffier des états généraux fit naître des incidents qui le compromirent gravement et qui faillirent le perdre. Jean Neyen, après avoir lui-même échangé, à Lillo, la déclaration du 24 avril, insistait pour revenir à la Haye, prétendant qu’il était chargé de donner des éclaircissements importants sur l’interprétation de la suspension d’armes. Vivement sollicité, importuné même, Dirck de Does, commissaire des états généraux à Lillo, le conduisit à la Haye, et, le 8 mai, les états généraux consentirent à le recevoir. Mais, après cette audience, le séjour de la Haye lui fut interdit, et il dut se retirer à Delft. Ce n’était point sans raison que l’on se méfiait de l’habile chef des cordeliers. Dans la soirée du 12 mai, Corneille de Nyck, neveu de Jean Neyen, vint remettre au greffier des états généraux une lettre par laquelle l’agent des archiducs le priait de lui envoyer secrètement sa femme ou l’un de ses fils, s’il ne préférait venir lui-même à Delft. Dès le lendemain, à huit heures du matin, D’Aerssen était chez le prince Maurice et lui communiquait la lettre du moine. Maurice, pour découvrir et déjouer les pratiques secrètes des Espagnols, conseilla au greffier d’accepter le rendez-vous et même de ne point refuser les présents qui pourraient lui être offerts. Tel fut aussi l’avis des seigneurs employés aux négociations de la paix et qui avaient été mandés par le stathouder. Le lundi, 14 mai, le greffier alla de bon matin à Delft. Devant le cloître de Sainte-Agathe, il trouva Corneille de Nyck, qui le conduisit secrètement au logement de Jean Neyen. Celui-ci débuta par des remercîments. Il loua le zèle avec lequel le greffier était intervenu pour faire décider l’ouverture d’un congrès ; conduite d’autant plus honorable qu’elle l’exposait à l’inimitié des uns et à la méfiance des autres. Les archiducs lui savaient gré de ses bons procédés et, pour première preuve d’estime, lui rendaient la maison et les biens patrimoniaux qu’il possédait autrefois à Bruxelles et qui avaient été confisqués lors du rétablissement de la domination espagnole. Le marquis Spinola l’avait chargé d’une autre commission, de nature certainement à encourager le greffier. Le marquis lui promettait une somme de 50 000 écus, si l’on parvenait à conclure la paix ou une longue trêve. Neyen montra l’obligation écrite du général des archiducs et ajouta qu’il était tout prêt à remettre au greffier 15 000 écus comptants. Il montra en outre un diamant que le marquis voulait offrir à la femme du greffier. Ce diamant, enchâssé dans une bague, valait bien six mille florins. D’Aerssen accepta la restitution de sa maison et de ses biens. Il dit qu’il pouvait accepter sans scrupule cette restitution, attendu qu’on lui avait fait tort, lorsqu’on traita de la réduction de la ville de Bruxelles, puis qu’on l’avait privé du bénéfice octroyé aux bourgeois, qui tous avaient pu jouir de leurs biens. Il y avait d’autant plus droit, poursuivit-il, qu’il était au service de la ville lorsqu’il avait été envoyé, comme représentant de la commune, en l’assemblée des états généraux. Quant aux autres présents, il refusa quelque temps de les accepter, parce que, disait-il, cela pourrait rendre sa foi suspecte ; mais, sur de nouvelles instances, il prit enfin le diamant et la cédule. Il retourna immédiatement à la Haye et alla encore avant midi trouver le prince Maurice, auquel il fit rapport de tout ce qui venait de se passer. Il lui montra en même temps le diamant et la cédule. Il fit un rapport analogue à Barnevelt. Tous deux conseillèrent au greffier de garder provisoirement les dons du père Neyen et ajoutèrent qu’on aviserait sur le parti à prendre. D’Aerssen eût désiré que Maurice restât dépositaire de ces dons ; mais le stathouder refusa formellement. Cependant la perplexité du greffier devint grande, lorsqu’il fut sollicité par de nouvelles lettres du père Neyen de recevoir les 15 000 écus, qu’il pouvait toucher dès lors selon les termes de la cédule souscrite par le marquis Spinola. Redoutant la divulgation d’un secret si délicat et même si périlleux, il suivit encore le conseil du stathouder. Le 2 juin, trois jours avant que Neyen partît de Delft pour Bruxelles, D’Aerssen rendit compte aux états généraux de sa conduite et déposa sur le bureau la cédule et le diamant. Il rendit également compte au conseil d’État, aux ambassadeurs de France, aux colonels et aux principaux seigneurs de la cour. Les plénipotentiaires français mandèrent à Henri IV que, dans tout ce qui s’était passé, D’Aerssen n’avait rien fait dont il pût être blâmé. Mais bientôt il fut l’objet de calomnies odieuses. On prétendait, dans le public, qu’il avait entamé une manœuvre équivoque et qu’il n’avait pas le courage d’y persévérer ; en deux mots, qu’il avait sacrifié sa convoitise à la crainte des suites fâcheuses. D’Aerssen, très-ému, commença par demander, pour sa décharge, une déclaration des états généraux. Elle fut votée le 7 juillet. Les états généraux déclaraient d’abord qu’ils avaient mûrement délibéré sur la franche et complète communication qui leur avait été faite par le greffier D’Aerssen, dans leur assemblée extraordinaire du 2 juin, alors qu’il avait lu la lettre du commissaire Jean Neyen, ainsi que l’obligation du marquis Spinola et montré l’anneau « de main en main. » D’Aerssen ayant demandé que « le tout » fût mis entre les mains de celui que les états généraux trouveraient bon de désigner pour le bien du pays, ils décidaient que « le diamant serait ôté par un joaillier hors de l’anneau, puis, en présence du trésorier général Georges de Bie, pesé, prisé et mis avec l’obligation en un coffret à deux serrures, sous le cachet des états généraux, puis consigné ès mains dudit trésorier pour être gardé jusqu’à ce que les états généraux eussent pris résolution sur ce qui serait expédient d’en faire. » Toutefois, dans le public, des rumeurs calomnieuses continuaient à être répandues sur la conduite tenue par D’Aerssen. « La populace, dit Grotius, interprétait en plus mauvaise part que de raison les bruits qui couraient d’une chose dont peu de personnes savaient la véritable histoire. » Pour couper court à ces calomnies, D’Aerssen prit le parti de mettre à la disposition du public des copies de la résolution des états généraux du 7 juillet et de faire imprimer en outre, sous la date du 20, un écrit où il disait en substance « qu’il avait entendu qu’on médisait de lui, soit par pure calomnie ou par ignorance, au préjudice de son honneur et fidèle accomplissement de sa charge, comme s’il eût trahi le pays en recevant de Jean Neyen un diamant et une obligation ; qu’il savait, en outre, que cette calomnie était répandue avec tant d’apparence de vérité qu’elle semblait gagner crédit, malgré les services qu’il avait rendus fidèlement pendant vingt-trois années. » Il déclarait en conséquence « qu’il n’avait jamais parlé à Jean Neyen, sinon par ordre spécial et de choses dont il avait été expressément chargé ; qu’ensuite il avait été fait rapport de tout aux états généraux et que ceux-ci étaient devenus dépositaires de l’obligation et du diamant. » Ces présents du marquis Spinola furent restitués à un nouveau représentant de l’archiduc, quelques jours après, avec un éclat qui devait mettre un terme à la calomnie. Lorsque cet ambassadeur eut été introduit dans l’assemblée des états généraux, Barnevelt lui dit en jetant sur le bureau le diamant et la cédule remis naguère au greffier D’Aerssen : « Nous avez-vous crus assez misérables pour vendre notre foi ? Reprenez vos dons ; ils sont inutiles, si vous ne demandez qu’une paix raisonnable, et criminels si vous marchandez notre liberté. » D’Aerssen devait mal reconnaître la conduite loyale que Barnevelt tint à son égard, lorsqu’il était l’objet des soupçons et de la haine du peuple. Dans la lutte qui s’engagea bientôt entre Maurice de Nassau et Barnevelt, D’Aerssen, toujours sous l’influence de son fils, se rangea parmi les adversaires inflexibles et les accusateurs passionnés de l’avocat de Hollande.

En 1621, Corneille d’Aerssen demanda, vu son grand âge, d’être déchargé du laborieux emploi de greffier des états généraux ou d’obtenir un adjoint. Les états lui adjoignirent J. van Goch, qui prêta serment le 13 février 1622. Le 6 octobre de l’année suivante, D’Aerssen se retira, tout en conservant son traitement et même son rang dans les séances des états. Il ne jouit pas longtemps de cette retraite honorable. Il mourut en 1627, quelques semaines après sa femme, Émérence Regniers. En prenant le deuil, les états donnèrent un dernier témoignage d’estime à leur ancien serviteur.

Corneille d’Aerssen marqua, mais au second rang, parmi les Belges qui contribuèrent à la fondation de la république des Provinces-Unies. Il ne se distinguait point par une intelligence supérieure, par des facultés éminentes. Disons plus : toute son importance, il la devait aux fonctions officielles qu’il exerçait et à la grandeur des événements auxquels il se trouva mêlé. Il fut tout à fait éclipsé par son fils, le célèbre François d’Aerssen.

Th. Juste.

Scheltema, Staatkundig Nederland. — Kok, Vaderl. Woordenboeck. — Bor. liv. XIX et XXXVII. — Van Meteren, liv. XXVIII et XXIX. — Bentivoglio, liv. XXIV. — Grotius, liv. XVI. — Négociations du président Jeannin. — Histoire générale des Provinces-Unies, par D. et S., t. VII, liv. XXI.