Biographie des femmes auteurs contemporaines françaises/Saint-Ouen

Annette Salvert
Texte établi par Alfred de MontferrandArmand-Aubrée, libraire (p. 230-237).


Mme de Saint-Ouen.



ÏT DE SAINT-OÜEN

( Cttuw)

NÉE A tTON EN 1784.

Fille de M. Posons de Boen.


S’il est vrai qu’on peut juger de l’homme par le style, il est encore plus vrai qu’on peut mieux l’apprécier par la nature de ses productions ; car la nature des productions révèle l’individu dans ce qu’il a de plus intime, tandis que le style né montre guère de son âme que les. rapports extérieurs. Cette assertion aura sa preuve dans le juge* ment que nous allons porter sur M“° de Saint-Ouen.. Laure de Boen, issue d’une famille distinguée de Lyon, se maria en Lorraine à M. de Saint-Ouen, et vint se fixer .

r t

à Nancy, où ce ne fut que fort tard qu’elle commença à t s’occuper de littérature, sans songer toutefois à briguer le titre d’auteur. Mère de plusieurs enfants et mue par lé, ! désir de leur faciliter l’étude de l’histoire, elle entreprit la composition de quelques ouvrages élémentaires dans ce louable but. L’expérience de sa propre famille avait pu la convaincre qu’à l’âge où la raison n’est point’ en- ” core développée, la mémoire est douée d’une grande extension. Or, mettant cette observation à profit, elle pensa qu’il importait de se servir de la faculté domi¬ nante chez l’enfance pour meubler de bonne heure son esprit. La mémoire fut-considérée par elle comme l’en¬ trepôt où l’intelligence venait puiser ses richesses, et elle recommanda de ne point le laisser vide, afin que la raison ne souffrît pas de cette pauvreté. Si l’on consi¬ dère en effet que la raison est d’autant plus étendue, plus sûre, que le savoir est plus grand, l’on sentira toute l’importance qu’il y a pour l’homme de cultiver sa mémoire dès sa plus tendre jeunesse.

C’est cette pensée qui dirigea M me de Saint-Ouen dans tous ses travaux. Pénétrée de l’inconvénient qu’il y a d’ou¬ blier ce que l’on a appris, et de l’avantage immense qu’on peut retirer d’une méthode qui abrège le temps d’ap¬ prendre, elle chercha les moyens de remédier à l’un et de satisfaire aux conditions de l’autre. Aussi son premier ouvrage, publié en 1822, fut-il une Collection de cinq tableaux mnémoniques de l’histoire de France, accom¬ pagnés. d’un vol. în-12 de texte explicatif. Le système mnémonique de Mme de Saint-Ouen, conçu sous une forme nouvelle, eut d’excellents résultats. Appliqué d’a¬ bord uniquement à l’histoire de France, il le fut bientôt à .plusieurs autres histoires avec le même succès. Simple et facite à saisir, il consiste dans une galerie de portraits reproduisant chaque souverain, et dans la représenta¬ tion, par des emblèmes, des principaux événements ar¬ rivés sous leur règne *. A la faveur de cette méthode aussi amusante qu’ingénieuse, un enfant peut apprendre en peu de jours et pour ne plus jamais l’oublier, cette quantité de dates et de faits qu’une longue étude sou¬ vent ne peut parvenir à fixer dans l’esprit. Ce premier ouvrage reçut l’approbation de la société pour l’instruc-


1 Chaque tableau est gravé au burin. tion élémentaire, et. un peu plus tard l’université lui donna les mêmes encouragements.

Un pareil début imposait à M rao de Saint-Ouen l’o¬ bligation de ne point s’arrêter là. : En avril 1825, elle publia Y Histoire dïAngleterre en un volume et cinq tableaux. Les mêmes suffrages accueillirent le même esprit, la même clarté. Ail ’ mois de mai de la même année, elle donna les Œuvres choisies de Stanislas, précédées d’une notice sur la vie de ce prince ( 1 vol. in-8°,orné de portraits, gravures et fac-similé). Ce livre fut approuvé par l’université et recommandé comme ouvrage à donner en prix.

Tous les pas de M me de Saint-Ouen dans la carrière littéraire ne dérogent point dés premiers qu’elle y a faits. Un succès chez elle est toujours suivi d’un autre succès. Nous la verrons près du terme comme au début, récol¬ tant sans cesse dans sa route de nouvelles couronnes, sans que pour cela elle paraisse en tirer vanité. Modeste par son cœur, qui l’attache à Fenfance comme à son monde de prédilection, jamais on ne la voit essayer son vol plus haut Que lui importe la réputation de femme célèbre? - Ce qu’elle ambitionne ce n’est point un nom, c’est d’être utile. Du moment où sa voix a franchi le seuil du foyer domestique ; tous les enfants sont devenus les siens. Le titre d’auteur ne lui fait point oublier le titre de mère : son rôle n’est point changé, il s’est seulement agrandi.

Il y a des instants de récréation dans les études : heu¬ reux qui sait les passer en s’instruisant! Cette fois Mme de Saint-Ouen suspend les leçons d’histoire, fait faire cercle autour d’elle, et se met à conter une de ces charmantes historiettes comme on en dit quelquefois dans les soirées d’hiver au coin du feu. Délia, nouvelle russe, qu’elle publia au mois de janvier 1827 en un vol. in-12, nous dévoile le secret de cette âme pleine de sol¬ licitude pour les jeunes personnes, qui cache la leçon sous la fable, et poursuit sa tâche en amusant. Ici encore, comme ailleurs, vous retrouvez la bonne mère qui s’en¬ tretient volontiers avec des enfants chéris. Former le cœur et l’esprit de l’enfance, est le thème intéressant qu’elle varie de toutes les manières.

Il y avait à peine cinq mois que Délia faisait passer de délicieuses heures à ses lecteurs, lorsqu’un autré ouvrage un peu différent vint augmenter les titrés de M me de Saint-Ouen à la reconnaissance des familles. Un Abrégé de l’histoire de France à l’usage des écoles primaires, fut l’œuvre consciencieuse qu’au mois de juin elle offrit au public. La société pour l’instruction élémentaire, ap¬ préciant le mérite de cet abrégé, décerna une couronne k l’auteur. Peu de livres classiques ont eu une vogue aussi soutenue: en 1835, l’on en épuisait déjà la onzième édition.

Si de 1827 à 1832 nous ne voyons rien paraître de M me de Saint-Ouen, gardons-nous de croire que son intelligence sommeille. Certes ce n’est point trop de cinq années pour tracer l’histoire d’un homme tel que Napo¬ léon. Beaucoup d’écrivains de génies différents ont osé la même entreprise ; aucun n’a réussi. Mme de Saint- Ouen serait-elle plus heureuse ? Quelque talent que nous lui connaissions pour l’histoire, celle du dominateur de l’Europe comprend une mission trop haute pour qu’une simple femme en ait pu sonder le mystère jusque dans ses dernières profondeurs. Plébéien à la sanglante épée, homme type, en qui la révolution de 89 a accompli toutes ses phases, Napoléon ne peut être envisagé comme un homme vulgaire. C’est une initiation de la plèbe au sacre des rois, une pensée de la Providence faite chair, dans le but d’agrandir la société par la guerre. Ne voir dans Bonaparte que l’habile capitaine, le soldat heureux, c’est n’y rien voir et faire d’une grande figure qui a tout le fantastique des dieux d’Ossian, un nain, que la France dans son orgueil ne peut avouer. Toutefois, l ’Histoire de Napoléon, par M rac de Saint-Ouen, suivie d’un tableau mnémonique, est loin d’être dépourvue d’intérêt.

En 1833 et 1834, elle publia successivement une His¬ toire ancienne élémentaire, avec tableaux chronologiques, et une Histoire romaine conçue dans le même esprit, que la société pour l’instruction élémentaire adopta.

Aider la mémoire des enfants au moyen de la mné¬ monique, rendre l’étude de l’histoire amusante et facile en la simplifiant par la méthode, telles sont les qualités essentielles qui distinguent le talent de M me de Saint- Ouen. Peu soucieuse de la gloire, les succès de famille furent tout ce qu’elle ambitionna jamais. On conçoit qu’avec des prétentions aussi modestes, sa pensée n’ait point eu de ces élans capricieux, de ces mouve¬ ments de fougue et d’humeur qui caractérisent certains génies. Douée d’une àme calme et transparente comme la surface d’un beau lac qu’aucune tempête ne vient troubler, son style réfléchit la même limpidité. Jamais la passion ne le tourmente ; jamais il ne s’échappe in¬ dompté dans des écarts qui étonnent. 11 a cette gravité, cette modération qu’on exigeait autrefois pour l’histoire,

  • et surtout la simplicité nécessaire pour être aisément

compris des enfants.

Ce que nous venons de dire sur M me de Saint-Ouen n’est point un dernier mot sur une tombe. Sa carrière littéraire peut être encore fort longue ; mais quels que soient désormais ses nouveaux succès, elle en compte assez déjà dans sa vie pour ne rien envier de l’avenir.


ANiVETTK Salvert.