Biographie des femmes auteurs contemporaines françaises/Daminois


Mme Daminois.



Mme DAMINOIS


(Angélique-Adèle)


NÉE À CLERMONT (OISE) LE 20 DÉCEMBRE 1795.


Fille de Jean Huvey.


Il y a presque toujours deux stations dans la carrière littéraire d’une femme, deux mobiles successifs dans sa vocation.

D’abord, et bien jeune encore, elle se crée des travaux intellectuels, pour échapper aux premiers ennuis qui viennent à naître dans la vie. Lorsqu’une jouissance est effeuillée et qu’elle croit toutes les jouissances flétries, lorsqu’un espoir est déçu et qu’elle croit tous les espoirs trompeurs, lorsqu’un amour est terminé et qu’elle croit tous les amours anéantis, elle écrit pour cacher son front soucieux dans la solitude ; elle s’enferme là pour se séparer de tout ce qui la blesse ; elle chante ses notes plaintives pour bercer son cœur et l’endormir. Le principal dans sa condition est l’oubli de ce qui la possédait, la création est l’accessoire. On travaille pour soi, l’art occupe peu, et le public est oublié. La littérature n’est encore qu’un pis-aller, et, dans la faiblesse d’une vie qui s’isole et s’abandonne, un favorable point d’appui. Mais peu à peu, en vivant dans sa nouvelle destinée, on prend du goût pour elle, on vient à préférer la consolation au bonheur perdu. Les plaisirs intellectuels sont si séduisants quand pour les premières fois l’imagination bat des ailes dans les espaces de l’idéal, et il semble qu’elle atteindra si vite le but où elle tend ! On est si facilement content de soi à cet âge î on est lecteur si indulgent de ses premiers essais, audi¬ teur si bienveillant des premières histoires qu’on se ra¬ conte ; nos vingtièmes années ont tant de rires et de larmes au service des fictions ! Puis enfin, en regardant de près son œuvre, on commence à en comprendre la gravité ; on commence à songer qu’on sera lu, et avec cette idée se révèlent des obligations envers soi et envers le monde : on se doit à soi-même de ne rien produire que de bien, on doit aux autres de ne rien produire que d’utile ; on commence à penser pour écrire ; la plume s’applique et se forme ; on est moins content de soi et on fait mieux.

Mme Daminois a parcouru ces diverses phases de la vie littéraire.

Elle se maria à Soissons à M. Daminois, et devint mère dans ses premières années d’union. Bien jeune encore, des circonstances malheureuses la séparèrent de sa fa¬ mille, pour la jeter dans une solitude complète à Paris, au milieu d’une existence vide et mélancolique. Alors, pour se soustraire à la tristesse des souvenirs et à l’iso¬ lement du présent, elle se livra à des études sérieuses, dont son père, magistrat honoré et distingué, et l’objet de sa tendre vénération, avait aimé à l’occuper dès sa première enfance. Puis des compositions littéraires vin¬ rent remplir son imagination. A dater de l’année 1819, elle fit paraître successivement Léontine de JVerteling, Maria, Alfred et Zcüda, Mareska et Oscar, ouvrages favorablement accueillis du public. Le caractère de M me Daminois étant essentiellement moral et philanthro¬ pique, ses compositions renfermenttoujours un but progressif, une pensée civilisatrice. Elle écrivit Lydie pour combattre le préjugé des Européens contre les hommes de couleur, et Charles, ouïe Fils naturel, dans le juste mépris que lui inspirait l’anathème porté par la société contre des êtres innocents de la faute pour laquelle on les réprouve. Deux volumes intitulés Mes Souvenirs et Alàis, ou la Vierge de Ténédos, furent inspirés par de vives sympathies pour la Grèce moderne, à l’époque de sa régénération, et ven¬ dus au profit de ses combattants. Le dernier ouvrage que Mme Daminois ait publié dans ce moment est une Mosaïque ou recueil de contes moraux et philosophiques.

Dans la série de ces productions, on remarque des amé¬ liorations successives, comme chez tous les écrivains où l’étude et le temps ont de la nature à développer. On voit que, comme nous l’avons dit plus haut, suivant les différents états de l’âme, les premiers ouvrages furent composés surtout dans le désir de se procurer à soi-même une heureuse distraction, et les suivants avec l’entente . des graves obligations imposées à tout ce qui participe au sacerdoce littéraire. Outre le mérite de moralité déjà signalé, les écrits de M mo Daminois renferment une ana¬ lyse sentie, une manière sérieuse, qui solennise les dé¬ tails intimes de la vie. Dans le cours de sa carrière, une révolution artistique s’est trouvée sur son chemin ; des principes nouveaux ont labouré les vieilles maximes en tous sens ; des germes inconnus se sont épanouis de toute part ; elle y a puisé ce qui convient à son caractère et à ses opinions sans se laisser tout à fait envelopper par eux, et s’attacher complètement à ce qu’on est convenu d’appeler l’école nouvelle. Dans ce moment Mme Daminois publie un travail du plus haut intérêt: c’est un tableau du cloître au dix-neuvième siècle, où elle s’attache à faire ressortir l’inopportunité actuelle dece genre d’institution, le contraste existant entre leur immobilité et nos progrèssions, et l’anachronisme que forme la présence des maisons monacales dans un temps où les circonstances qui les avaient rendues si nécessaires et si puissantes ont entiè¬ rement cessé d’exister. Nous sommes heureux de savoir ce beau sujet entre bonnes mains.

En 1833, M me Daminois a été reçue membre de l’Athénée des Arts, établissement littéraire connu dès longtemps par l’esprit distingué et le ton plein de con¬ venances qui s’y sont établis, et par cet amour des lettres qui les fait aimer pour elles-mêmes, sans but étranger, sans volonté de bouleverser le monde avec un couplet, de renverser un pouvoir avec une épigramme, et de frire d’un mot un poignard. Heureux enfant des arts, qui n’a que le sourire de la poésie, la douce émotion du roman ; et, de toutes les ambitions de la littérature, que le désir des jouissances qu’elle donne, qui, tandis que les positifs et vénals intérêts envahissent tout,.se sauve de la poli¬ tique, et lui montre de loin son léger drapeau qu’elle n’a pu inféoder à sa bannière.


Clémence Robert.