Biographie. — Karl Ritter
BIOGRAPHIE.
L’année 1859 a vu mourir, à Berlin, les deux hommes dont les écrits ont exercé, depuis le commencement du siècle, la plus légitime et la plus heureuse influence sur les études qui ont pour but la connaissance de notre globe. Le 28 septembre dernier, Karl Ritter a suivi Alexandre de Humboldt, mort le 6 mai précédent. Personne n’ignore quelle a été la carrière scientifique de M. de Humboldt. Ses travaux ont laissé des traces profondes, non-seulement dans la géographie et dans les sciences naturelles, mais même dans la littérature du vieux et du nouveau monde. Pour être moins vulgarisées que celles de son illustre compatriote, les œuvres de Karl Ritter ne sont pas moins dignes du respect de ses contemporains. Si la simple qualification de géographe reste, dans l’avenir, attachée à son nom, ce sera, du moins avec un lustre philosophique et littéraire qu’elle n’avait pas eu depuis les jours de Strabon. Tous les écrits de Ritter, depuis le moindre de ses mémoires à l’Académie de Berlin jusqu’aux vingt volumes ayant pour titre : Étude de la terre dans ses rapports avec la nature et l’histoire[1], portent l’empreinte vigoureuse d’un génie synthétique, ne bornant pas sa tâche à recueillir des faits isolés, ou à esquisser des tableaux sans corrélation entre eux, mais s’efforçant partout et toujours de mettre en relief les rapports intimes qui existent entre les grandes bases de l’ordre physique et de l’ordre moral et qui relient en un faisceau indivisible la terre, la science et l’homme. C’est surtout grâce à ce grand mérite d’unité, de plan et de composition, que l’œuvre capitale de Ritter (celle dont nous venons d’indiquer le titre) devra, bien qu’inachevée, servir d’exemple et de modèle à quiconque voudra tenter d’élever à la planète que nous habitons un monument digne d’elle.
Ritter, né en 1779, à Quedlinbourg, professa successivement la science, où il était maître, à Schnepenfthal, à Francfort-sur-le-Mein, et enfin à l’Université royale de Berlin. C’est là qu’il forma pour les découvertes quelques-uns de ces voyageurs héroïques qui ont illustré, les uns par leurs succès, les autres par leur martyre, tous par leur ardent dévouement, l’Allemagne qui leur donna le jour, et l’Angleterre qui les a employés. Ritter, et ce n’est pas son moindre titre de gloire, a eu pour élèves Barth, Overweg, Vogel et les trois frères Schlagintweit.
D’après le souvenir d’un de nos collaborateurs, qui s’honore aussi d’avoir reçu des leçons de cet illustre savant, « il était de haute et forte taille, son front était vaste, sa figure puissamment sculptée comme celle de Goethe, mais il avait de plus une extrême douceur dans le regard et dans le sourire. Il marchait d’un pas lent et inégal et parfois s’arrêtait pour réfléchir ; ses yeux, dirigés au loin comme s’ils rêvaient à l’Asie ou à l’Afrique lointaines, s’abaissaient rarement sur ceux auxquels il parlait ; sa voix, retenue brusquement par une pensée, s’interrompait de temps en temps ; on voyait dans chacun de ses mouvements qu’il était, pour ainsi dire, possédé par le démon de la science et, tout vieux et cassé qu’il fût, on sentait que pour l’étude il était jeune[2]. »