Louis du Chambon de Vergor


Nos manuels d’histoire ont cité à l’envie ce billet de Bigot à Vergor, du 20 août 1754 ; « Profitez, mon cher Vergor, de votre place, taillez, rognez, vous avez tout pouvoir, afin que vous puissiez bientôt venir me joindre en France et acheter un bien à portée de moi ». Ce billet est-il bien authentique ? Nous en avons longtemps douté. Comment une invitation aussi compromettante aurait-elle pu tomber entre les mains de l’auteur du Mémoire sur les affaires du Canada de 1749 à 1760 où il a été reproduit pour la première fois ? Mais depuis que M. Fauteux a identifié le sieur de C. l’auteur de ce Mémoire, il faut bien admettre que le billet en question a pu être écrit. Et voici pourquoi. Le sieur de C. c’est le notaire Louis de Courville, et il est prouvé qu’il servit de secrétaire au sieur de Vergor pendant son séjour en Acadie.

En tout cas, que le billet ait été écrit ou non, Vergor, sans avoir été jeté à la Bastille comme les autres complices de Bigot, fut un des profiteurs des dernières années du régime français.

Aégidius Fauteux a fait toute l’histoire de la famille du triste Vergor. Elle a compté des membres de mérite et Fauteux les fait connaître. Il ne s’agit ici toutefois que de Louis Du Chambon de Vergor et relisons ce qu’en dit l’historien véridique qu’était Aégidius Fauteux :

« Louis Dupont du Chambon, sieur de Vergor, baptisé à Sérignac (en Saintonge), le 20 septembre 1713. Officier dans les troupes de l’Île Royale, il y fut fait successivement enseigne en second le 1er  avril 1737, enseigne en pied le 1er  mai 1743, et capitaine le 15 avril 1750. Bigot qui s’était lié d’amitié avec lui pendant qu’il était commissaire général de la marine à l’Île Royale passe pour lui avoir écrit le fameux billet si souvent cité : « Profitez de votre place, taillez et rognez selon votre pouvoir ». Devenu intendant au Canada, le trop fameux concussionnaire fit tous ses efforts pour attirer auprès de lui son ancien ami de l’Île Royale. Voici ce qu’il écrivait de Québec, le 18 octobre 1750, au ministre de la marine : « Je suis bien sensible à la grâce que vous avez faite à M. Du Chambon Vergor de lui procurer une compagnie à l’Île Royale, mais vous me faites l’honneur de me marquer qu’il ne peut avoir son changement pour le Canada qu’autant qu’il s’y présenterait un capitaine qui voudrait passer à Louisbourg. Comme je vois cependant, Monseigneur, que votre intention serait de mélanger les officiers des troupes de Français et de Canadiens, — du moins M. de la Galissonnière m’a dit à son départ qu’il vous le proposerait, — vous pourriez accorder à M. Vergor une compagnie ici, de celles qui vaquent. Je ne le verrai jamais servir dans cette colonie que par cette voie, car il ne se présentera point d’officier du Canada pour passer à Louisbourg dans le même grade. Ce serait pour moi une satisfaction bien grande ayant vécu avec lui depuis que je sers dans les colonies, et je vous supplie, Monseigneur, de vouloir bien me l’accorder. Cet officier est à la mer sans quoi il aurait l’honneur de vous demander cette grâce. »

« Vergor était à ce moment passé en France pour rendre compte de sa conduite lors de la prise du brigantin le Saint-François, qu’il commandait. À son retour l’attendait l’ordre de passe qui le transférait dans les troupes du Canada en qualité de capitaine et qui était daté du 1er  avril 1751. Peu après, le 15 mai 1752, il était fait Chevalier de Saint Louis et était reçu le 1er  novembre de la même année par le gouverneur Duquesne. Le 16 juin 1755 il rendit au général anglais Monckton le fort Beauséjour dont il avait le commandement. Sa conduite parut suspecte en cette occasion et, en 1757, il dut comparaître devant une cour martiale sous l’accusation d’avoir capitulé sans tenter de se défendre. Acquitté par ses juges du moment, il ne paraît pas l’avoir été par le jugement de l’histoire. Il fut encore plus malheureux ou plus maladroit, en septembre 1759, lorsque, posté à l’Anse au Foulon avec 100 hommes, il se laissa surprendre pendant son sommeil et permit à Wolfe de déboucher sur les Plaines d’Abraham avec ses troupes. Aussi ne sommes-nous pas surpris lorsque nous rencontrons accolée à son nom sur une liste d’officiers datant d’environ 1761 l’apostille suivante : « Médiocre à tous égards. Riche ».

Voici d’ailleurs ce qu’en disait déjà en mai 1749 Mme Rocbert, dans une lettre écrite de Rochefort à son gendre Michel de Villebois : « Il part des bâtiments sous le nom d’un du Chambon qu’on appelle Vergor, qui est le maître de cérémonies chez M. Bigot. C’est bien le plus épais gars que j’aie de ma vie vue, mais il entend la manivelle. »[1]

Rentré en France après la capitulation, du Chambon du Vergor se retira d’abord à la Flèche, mais d’Hozier nous apprend qu’en 1775 il habitait le fief de la Croix, paroisse de Saint Clerc de Cosnac, en Saintonge.

Le 8 juillet 1752 il avait épousé à Notre-Dame de Foye, Québec, Marie Josephte, fille de Joseph Riverin négociant et de feu Marie Josephte Perthuis, qui mourut à la Flèche en avril 1770 d’après une lettre de M. Landrière des Bordes à M. de Léry.[2]

D’après le même M. Fauteux, Vergor eut une nombreuse famille, qui, après la Conquête, suivit son chef en France.[3]

Le sieur de C. ou M. de Courville qui connaissait bien Louis Du Chambon de Vergor a tracé un portrait peu flatteur de cet incapable :

« Cet officier, dit-il, était sans esprit et sans éducation ; sa figure même était déplaisante ; il était avare à l’excès et à tous égards incapable de remplir les deux postes (commandant de Beauséjour et préposé aux finances de l’Acadie), on ne pouvait comprendre comment l’intendant Bigot l’avait admis à sa faveur, et le titre sur lequel on fondait dans le public cette amitié ne faisait honneur ni à l’un ni à l’autre ; on prétendait que l’intendant était galant, il devait de la reconnaissance à cet officier, et comme il devait passer en France — où, effectivement, il alla — et qu’il ne comptait pas revenir au Canada, il était flatté de procurer à Vergor les moyens de s’enrichir… »

  1. Rapport Archives de Québec, 1934-35, p. 68.
  2. Daniel, Famille de Lery, p. 88.
  3. Bulletin des Recherches Historiques, 1940, pp. 267 et seq. ; P.-G. Roy, Les Petites choses de notre histoire, 7e  série, p. 135.