Le nommé Martel


Les frères Martel étaient au nombre de huit. L’aîné, Pierre fut un des membres les plus en vue de la communauté des Frères Hospitaliers de Saint-Joseph de la Croix fondée à Montréal par Pierre Charon vers 1725. François, le deuxième, décéda curé de Saint-Laurent de l’île d’Orléans. Jean-Urbain, le troisième prit le nom de Martel de Belleville. D’abord employé dans les bureaux de l’Intendance, il fut ensuite administrateur des Forges Saint-Maurice, conjointement avec MM. Cressé et Perrault. Jean-Baptiste-Grégoire, connu sous les noms de Martel de Magesse et de Saint-Antoine, fut le garde-magasin de Montréal. Pierre-Michel, le septième, fut commissaire ordonnateur à Montréal C’est celui dont nous nous occupons ici. Le cadet, Joseph-Nicolas, d’abord Jésuite, obtint sa sécularisation et décéda curé de Contrecœur. Les deux autres frères Martel n’entrèrent pas dans l’administration parce qu’ils décédèrent au berceau.

Pierre-Michel Martel était né à Québec le 2 mai 1719. Il entra tout jeune dans les bureaux de l’Intendance puisque dès 1738 le président du Conseil de Marine, sollicité en sa faveur, demandait à M. Hocquart quelle était la conduite et la capacité du jeune homme.

L’année suivante, le 1er  mai, le président du Conseil de Marine écrivait à M. Hocquart qu’il donnerait une place d’écrivain au sieur Martel quand il en aurait l’occasion. « Il est fâcheux, ajoutait-il, qu’il se trouve dans la colonie si peu de Canadiens capables de remplir les emplois qui vaquent ». Preuve que le Roi voulait bien employer des Canadiens quand ils étaient en état de remplir leurs charges.

Le brevet d’écrivain fut accordé à M. Martel, le 12 avril 1742. À l’automne de la même année (30 octobre 1742), M. Hocquart informait le Conseil de Marine qu’il était très satisfait des services de M. Martel.

L’intendant Bigot, dès son arrivée au pays, prit M. Martel sous sa protection. Il écrivit au ministre plusieurs fois en sa faveur.

En 1755, M. Bigot trouvait enfin l’occasion d’être agréable à son ami Martel. Il lui donna (23 octobre) une commission pour exercer la charge de contrôleur de la marine, en remplacement de M. Bréard, qui passait en France.

Deux ans plus tard, le 10 août 1757, l’intendant Bigot donnait à M. Martel une nouvelle commission pour faire les fonctions de commissaire de la marine à Montréal, à la place de M. Varin, qui avait obtenu la permission de passer en France.

M. Martel, aussitôt, mit ses amis en campagne pour obtenir une commission du Roi. Le chevalier de Lévis écrivait au ministre Moras, le 10 octobre 1757 :

« Il (M. Martel) est très capable de bien remplir cet emploi. Il a tous les talents nécessaires et sa probité est généralement reconnue dans toute cette colonie. Permettez-moi de vous supplier de vouloir bien lui accorder cette charge. M. le marquis de Vaudreuil et M. Bigot vous demandent la même grâce ; en mon particulier, je vous serai très obligé ».

Malgré les démarches du marquis de Vaudreuil, du chevalier de Lévis, de l’intendant Bigot, du Père Jésuite Martel, alors en France, et de plusieurs autres personnages bien vus du ministre, M. Martel dut se contenter d’exercer par simple commission de l’intendant la charge de commissaire ordonnateur à Montréal.

Nous voyons qu’en 1761, le président du Conseil de Marine nommait M. Martel pour aider M. Querdisien Tremais à voir clair dans les comptes du Canada. Mais M. Martel, encore au Canada, ne put se joindre à M. Querdisien Tremais.

En 1763, M. Martel fut mis en accusation avec tous les autres complices de Bigot. Le séjour de la Bastille ne lui plaisait pas et il resta prudemment au Canada. La Cour décida que, dans son cas, il y aurait plus ample information.

L’année suivante, en 1764, M. Martel, voyant qu’il pourrait s’en tirer à bon marché, se décida à passer en France. À son arrivée là-bas, il se livra aux autorités et fut incarcéré à la Bastille.

Les autres accusés avaient été condamnés ou acquittés et l’effervescence s’était calmée. Après un semblant de procès en avril 1765, il fut déchargé de l’accusation portée contre lui.

Débarrassé de tous ses ennuis, M. Martel rejoignit sa famille à Tours. Il s’y était acheté une belle propriété et c’est là qu’il coula ses dernières années.

M. Martel décéda à Tours, paroisse Saint-Vincent, le 29 septembre 1789, ainsi que le constate son acte de sépulture :

« Aujourd’hui, trente septembre mil sept cent quatre vingt neuf, a été inhumé dans le cimetière, par nous, prieur curé de cette paroisse, soussigné, monsieur Pierre-Michel Martel, ancien commissaire de la marine, né à Québec, en Canada, veuf de madame Beaudoin, aussi canadienne, décédé d’hier, âgé de soixante et onze ans…[1]

Terminons ces quelques notes sur Pierre-Michel Martel par le trait malin que lui décoche l’auteur des Mémoires sur les affaires du Canada de 1749 à 1760 :

« C’était un homme d’un caractère craintif, à qui on faisait tout faire et qui, saintement, prenait tout ce qu’on lui donnait : du reste, sans esprit et incapable de faire ni mal ni bien ».[2]

Un seul mot explique parfois des choses importantes. On s’est souvent demandé par quelle influence le sieur Martel et ses fils purent se placer si facilement dans l’administration ? Un mémoire anonyme de 1698 nous explique toute la chose. Martel père, avait épousé une fille naturelle de M. de Villebon, gouverneur de l’Acadie. Ce mémoire dit : entre autres choses :

« Que le sieur de Villebon a fait consommer cent douze livres de poudre à canon au feu de joie pour la paix, en buvant les santés de ses maîtresses et que lui et le sieur Martel, son gendre, s’y enivrèrent »[3].

  1. P.-G. Roy, La famille Martel de Magesse.
  2. Mémoire de la Société historique de Québec.
  3. Collection de manuscrits, II, p. 308.