Bibliothèque historique et militaire/De la défense des places fortes/Préface

PRÉFACE.



Carnot (Lazare-NicoIas-Marguerite), né à Nolay en Bourgogne, en 1753, mort à Magdebourg (Prusse) en 1823. Bien jeune encore, des dispositions innées le portèrent vers l’étude des mathématiques et des hautes spéculations militaires. A vingt-huit ans, il était capitaine du génie ; à trente ans, il reçut la croix de Saint-Louis. Envoyé à l’Assemblée législative, ses talens l’appelèrent au Comité militaire, à la Convention nationale, puis au Comité de salut public. À la Convention, il fut chargé d’organiser les moyens de résister aux attaques de la coalition de Pilnitz ; uniquement occupé de ces soins, il resta étranger aux mesures ordonnées par ses collègues, et qui avaient pour objet la direction des affaires politiques. Seul, il régularisa, embrigada et mit en mouvement la réquisition qui appelait à la défense de la patrie les jeunes Français de l’âge de dix-huit à vingt-cinq ans. Du fond de son cabinet il créa douze armées, calcula, arrêta les plans de campagne, en surveilla l’exécution. Il appela au commandement des hommes encore inconnus, mais que son génie avait devinés ; enfin il modifia la guerre de méthode en la combinant avec la guerre d’inspiration. On s’étonne à l’idée qu’un seul homme ait pu suffire, et pendant cinq années, à ces immenses travaux.

Quelques écrivains ont attribué à Monge la création de l’École centrale des travaux publics, depuis l’École polytechnique. Cette grande pensée appartient à Carnot, qui, aidé du conventionnel Prieur, de la Côte-d’Or, fonda, au commencement de 1796, cette institution célèbre, imitée par l’Europe, et d’où sont sortis tant de généraux, d’officiers supérieurs et d’hommes qui brillèrent dans les sciences et les arts ; Carnot y avait appelé, en qualité de professeurs La Place, La Grange, Monge, Berthollet, Chaptal, Hassenfratz. La création de l’École centrale des travaux publics suffirait seule pour recommander la mémoire de Carnot, qui avait calculé l’impulsion que ce centre de lumières devait donner aux esprits.

Membre du Directoire, après la promulgation de la constitution de l’an III, Carnot, ainsi qu’au Comité de salut public, n’y fut encore occupé que d’opérations militaires. À la chute de Robespierre, il fut poursuivi comme jacobin après le 18 fructidor, il fut proscrit comme royaliste, tant il est dans la destinée des hommes essentiellement nationaux de se trouver en butte aux attaques de tous les partis. Au 18 brumaire, le portefeuille de la guerre lui fut confié ; il prit donc part à la gloire de Marengo et de Hohenliden. Le bel ouvrage la Défense des Places fortes, qu’il publia quelques années ensuite, fut adopté pour l’enseignement des écoles militaires de l’Empire. Après les funestes événemens de la campagne de 1813, Carnot, serviteur constant de la France et courtisan du malheur, et qui, depuis sept ans, vivait dans la retraite, vint spontanément offrir son épée à l’Empereur. Ah c’est qu’alors la France était menacée ; il se présentait au moment où d’autres hommes, comblés de biens et chargés d’honneurs, méditaient déjà. une double trahison envers leur patrie et leur bienfaiteur. Napoléon lui confia le gouvernement d’Anvers c’est sur ce point important que les alliés portaient leurs premiers efforts. Carnot ne disposait que d’une garnison bien insuffisante de six mille hommes ; mais Carnot commandait dans Anvers, ainsi que Bayard dans Mézières. La place fut investie par une armée de soixante mille hommes sous les ordres du prince royal de Suède. Ce dernier invoquant les souvenirs d’une ancienne amitié, essaya d’entamer des négociations avec l’inflexible gouverneur, qui n’écouta que la voix de l’honneur. Consignons ici un fait qui prouve que Carnot sut concilier ses devoirs avec ceux de l’humanité. Le conseil de défense avait reconnu la cruelle nécessité, pour dégager les abords de la place, de détruire le riche et populeux faubourg de Bourgterhoud ; Carnot réunit les habitans : « Votre faubourg est condamné, leur dit-il, mais je veux tenter de le sauver ; faites entrer dans la place vos femmes, vos enfans, vos bestiaux, vos meubles ; vous, cependant, restez dans vos maisons. Jurez-moi d’y mettre vous-mêmes le feu lorsque le moment sera venu, et je vous donne ma parole de n’exiger de vous ce douloureux sacrifice qu’à la dernière extrémité. » Cependant les événemens se pressaient ; Louis XVIII était rentré à Paris ; Carnot eut ordre de rendre Anvers, et les habitans de Bourgterhoud, qui devaient à son humanité la conservation de leurs propriétés, consignèrent leur reconnaissance en plaçant au-dessus de la porte de France cette inscription Faubourg Carnot. Ceci prouve également en faveur des Anversois, du général Carnot et du Roi qui voulut que l’inscription fût respectée. Les Français cependant n’oublieront jamais l’hospitalité accordée par Guillaume Ier à nos proscrits qui bientôt après trouvèrent dans ses États asile et protection les Nassau sont de nobles princes placés à la tête d’une noble nation.

Au 20 mars 1815, Carnot fut chargé du portefeuille de l’intérieur, et dans ce poste, le plus délicat de tous, il rendit encore d’éminens services au pays ; on lui doit l’organisation de nombreux bataillons de gardes nationales, destinés à être mobilisés, et que la catastrophe de Waterloo rendit inutiles ; la création de vastes ateliers de fabrication d’armes, où il avait appelé tous les ouvriers en fer et en cuivre, les mécaniciens, les fondeurs de la capitale ; la création d’hôpitaux supplémentaires ; la réunion d’immenses réserves de vivres, de munitions. Au milieu de ces graves travaux, nous n’oublierons pas les ordres que le ministre donna pour que le secret des lettres fût respecté. Le mémoire imprimé sur la situation de la France, et qu’il avait adressé au Roi après la première restauration, contenait des conseils utiles et dignement exprimés ; un pareil langage ne pouvait être compris par ces mauvais conseillers qui entouraient le trône, et qui devaient le perdre une seconde fois.

Le mérite supérieur de Carnot était apprécié dans toute l’Europe ; en 1817 et en 1818, il refusa les offres de la Russie et de la Prusse ; une seconde fois exilé de France, il voulut rester fidèle à sa patrie, loin de laquelle il devait mourir. Carnot fut à la fois un officier-général du mérite le plus éminent et un grand citoyen. Les écrivains de tous les partis se sont accordés à rendre la justice la plus éclatante à sa rigide probité. Carnot, après avoir long-temps disposé de la fortune publique, est mort pauvre et ne laissant même pas à sa famille l’héritage paternel. Nous terminerons cette notice en rappelant les paroles d’un contemporain : La renommée de Carnot est un de ces beaux titres de gloire que l’Europe envie à la France.

(Note des Rédacteurs.)