Bibliographie de Arte Pisana

G. Wildenstein (volume 32p. 175-177).

ARTE PISANA, par I. Benvenuto Supino[1]


Ig. Benvenuto Supino, le distingué conservateur du Musée national de Florence, qui a déjà publié tant d’intéressants travaux sur l’art italien, notamment Il Medagliere Medicco et les monographies de Fran Angelico, de Botticelli et des Lippi, nous donne aujourd’hui un beau volume sur l’art à Pise. Il nous apporte le fruit des études qui ont pour ainsi dire rempli toute sa vie. Jusqu’ici aucun travail d’une telle importance n’avait encore été consacré aux arts de cette école pisane qui fut la mère de l’Italie moderne.

C’est dans la peinture que l’école pisane jeta le moins vif éclat. Cela tient à ce que, à l’époque de sa plus grande splendeur, au XIIe et au XIIIe siècle, l’attention des artistes était presque exclusivement absorbée par la construction des édifices et par leur décoration sculptée. Pise cependant, ici encore, est à la tête de l’Italie et possède le plus grand peintre du début du xiiie siècle, Giunta, de Pise, l’illustre fresquiste de l’église Saint-François à Assise. Plus tard, au xive siècle et au xve siècle siècle, lorsque Pise décore son Campo Santo, son école est déchue de sa splendeur et elle est obligée de faire appel à des étrangers. Cependant elle a encore au xive siècle un grand peintre, Francesco Traini, à qui M. Supino propose d’attribuer les célèbres fresques du Triomphe de la Mort et du Jugement dernier.

Plus intéressantes sont les questions qui concernent l’architecture pisane, architecture qui a régné dans la Toscane et dans la Sardaigne jusqu’au jour où l’architecture gothique est venue la supplanter. Par des conclusions différentes de celles de M. Rohault de Fleury, M. Supino pense que le Dôme de Pise est une œuvre originale qui n’a été précédée d’aucune tentative. Les architectes qui ont construit San Piero a Grado, San Paolo a Ripa d’Arno, San Frediano, sont les imitateurs et non les précurseurs de Buschetto, l’immortel créateur du Dôme de Pise. Mais, quelque soit l’intérêt des questions qui concernent la peinture et l’architecture pisanes, on sent bien qu’ici tout est subordonné à la gloire de l’école de sculpture et, par-dessus tout à l’exceptionnelle personnalité de Nicolas de Pise, le maître qui, avec Giotto, a exercé la plus profonde action sur les destinées de l’art en Italie. Au moment où M. Bertaux[2], par une série d’arguments nouveaux d’une grande valeur, soutient l’origine méridionale de Nicolas de Pise, il est intéressant de rencontrer en M. Supino un défenseur convaincu de la thèse qui fait naître Nicolas de Pise en Toscane. C’est une question des plus délicates que je n’ai pas la place de discuter aujourd’hui. Je me contenterai d’insister sur un côté particulier et nouveau de la question. Négligeant le fond du débat, je ne veux retenir que la nature des arguments que l’on invoque de part et d’autre et montrer combien, en quelques années, cette question a changé de face.

Jusqu’à ce jour, dans l’étude du génie de Nicolas de Pise, on ne tenait compte que des éléments empruntés à l’art antique, et, pour savoir s’il était originaire des Pouilles ou de la Toscane, on s’attachait, pour ainsi dire, uniquement à rechercher laquelle de ces deux provinces avait le plus fidèlement conservé les traditions de l’antiquité. Aujourd’hui un grand changement se produit. On ne conteste pas, sans doute, que l’art de Nicolas de Pise ne renferme de nombreux éléments empruntés à l’antiquité, mais on ne se borne pas à cette étroite observation, qui nous paraît manifestement incapable d’expliquer le génie de cet artiste. Par la force des choses, soit que l’on étudie les sujets qu’il a choisis, soit que l’on observe le caractère de ses sculptures ou le style de son architecture, on comprend que Nicolas de Pise ne peut pas être isolé du grand mouvement de l’art gothique, qui, depuis un siècle, produisait tant de chefs-d’œuvre en France et se répandait avec rapidité dans toutes les régions de l’Europe. Et, ceci étant, le point de vue nouveau de la critique a été de rechercher dans les Pouilles et en Toscane, non plus les traces de l’influence de l’art antique, mais celles de l’influence de l’art français.

M. Bertaux, de son côté, montre toute l’importance de l’architecture française dans les Pouilles. « L’architecture française, dit-il, a été adoptée par Frédéric II comme un art officiel. » Et, par d’ingénieuses comparaisons entre la chaire de de Pise et celle de Castel di Monte, il montre que Nicolas de Pise était très au courant de l’architecture française et que précisément il avait dû apprendre dans les Pouilles à connaître cet art. Mais M. Bertaux ne peut étendre ses conclusions à ce qui concerne la sculpture. « L’art religieux, dit-il, qui animait d’une vie si intense et d’une pensée si profonde les portails des cathédrales françaises, ne devait point pénétrer dans l’Italie méridionale, pas même après la conquête angevine. Pour que Nicolas de Pîse se soit trouvé un moment en contact avec l’art vivant de Chartres et de Notre-Dame, il a fallu le hasard d’une rencontre que seule l’Italie centrale pouvait lui offrir. »

Et c’est sur ce terrain que M. Supino est à son aise pour défendre sa thèse, car il peut montrer quelle influence prépondérante la France a exercée sur la Toscane, non seulement en architecture, mais aussi en sculpture et d’une façon générale sur l’esprit même qui dirigeait tous les arts.

« Durant le xiie siècle et le xiiie siècle siècle, dit-il, l’art gothique en France offre unspectacle vraiment extraordinaire. Librement et spontanément, l’art roman se transforme en un art nouveau, homogène, complet, destiné à devenir rapidement l’expression définitive d’une époque et d’une civilisation… ; clair dans son expression, sincère et varié, cet art nouveau essentiellement français dépasse en peu de temps les confins de la France et s’étend au delà de la Manche, au delà du Rhin, au delà des Pyrénées et des Alpes. » Tout un chapitre est consacré à noter cette influence sur la Toscane et la conclusion est que Nicolas de Pise « pour renouveler son art avait étudié avec amour les formes nouvelles venues de France ». Tel est le fait nouveau que le livre de M. Supino nous permet de mettre en lumière. Il y a peu de temps, les historiens de l’art italien ne se préoccupaient pas de rechercher comment cet art pouvait se rattacher à la France ; aujourd’hui, au contraire, il semble impossible d’en écrire l’histoire sans montrer tout ce qu’il a emprunté pendant trois siècles, du xiie au commencement du xve, à la grande école gothique française.

marcel reymond

  1. Florence, Alinari, 1904, in-folio, 334 p., avec 208 gravures et 15 planches.
  2. L’Art dans l’Italie méridionale, t. Ier. Paris, Fontemoing, 1904, in-4o ill.