Alphonse Lemerre, éditeur (p. 101-103).

XVIII

FLORES ET BLANCHEFLEUR

Toujours le même soir. En Hongrie. Un jardin
En qui l’automne éclôt de l’été qui se fane.
Tout s’apaise et s’endort sous un ciel diaphane.
L’heure est douce et les fleurs s’inclinent sans dédain.

Sur un banc que la pluie et la mousse ont verdi,
Perdus dans l’ombre comme un nid dans l’herbe haute,
Flores et Blanchefleur sont assis côte à côte,
La pensée indolente et le front alourdi.

Ils rêvent doucement à l’absente. Leurs yeux
Tristes évoquent d’elle un geste, une attitude.
Ayant mêmes regrets et même solitude,
Ils parlent d’elle encor, bien que silencieux.

Dix ans qu’elle est partie aux pays étrangers !
Et depuis, sans espoir et presque sans nouvelle,
Ils savent seulement le peu que leur révèle
Le va-et-vient tardif de rares messagers.

Elle, qu’ils ont bercée au creux de leurs genoux,
Elle, jadis si frêle, elle est peut-être grasse !
Ses deux maternités ont pu faner sa grâce,
Cerner d’un bleu meurtri ses yeux calmes et doux.

Tels ils rêvent, le soir, et pleins des jours anciens,
Ils s’évadent tous deux hors du présent sans joie,
Et Blanchefleur soupire : « Il faut que je la voie !
J’ai rêvé l’autre nuit qu’elle me disait : Viens !

« Laissez-moi m’en aller vers elle qui m’attend !
Et quand je reviendrai bientôt, grave et lassée,
Pleine encor du bonheur de l’avoir embrassée,
Nous pourrons tous les deux mourir d’un cœur content. »

Un peu de brise pleure aux branches en émoi,
Et Flores qui, depuis longtemps, toujours refuse,
À voix basse, attendri d’espérance confuse,
Murmure : « Allez, princesse, et parlez-lui de moi ! »