Alphonse Lemerre, éditeur (p. 63-66).

XI

LES CONSEILS DE MARGISTE

Berthe s’est retirée en ses appartements.
Elle est là, toute seule, assez mal rassurée,
Toute pleine de trouble et de frissonnements,
Tournant au moindre bruit dont elle est effleurée
Son profil gracieux vers la porte d’entrée
En des gestes d’effroi pudiques et charmants.

On entre. C’est Margiste. Elle approche, discrète,
À pas mystérieux qu’on n’entend point venir.
Elle dit : « Trois abbés sont en train de bénir
Le lit tendre et moelleux que l’amour vous apprête.
Quittez-moi ce beau voile et cette gorgerette…
Madame votre mère a dû vous prévenir.

« Je songe en vous voyant comme je fus heureuse,
Tel soir, aux bras subtils de feu mon cher époux.
Il était fort, il était tendre, il était doux.
Quand j’y songe, un grand vide en mon âme se creuse.
Mais sachez… En trois mots, prenez bien garde à vous :
Le roi Pépin le Bref a la main douloureuse.

« Le soin que j’ai de vous m’a su faire informer,
Discrètement, de la façon qu’il a d’aimer.
Je tiens tous ces détails de son premier concierge ;
Vous voyez, j’en suis pâle encore comme un cierge…
C’est un homme effrayant, surtout pour une vierge,
Un mari dangereux qu’il faudrait réformer. »

Berthe s’écrie en pleurs : « Retournons chez ma mère !
— À quoi bon ? dit Margiste, hé ! vous n’y pensez pas,
On saurait nous rejoindre au bout de quatre pas.
Croyez-moi, chère enfant, toute fuite est chimère ;
Mais, dût ma pauvre Alix y trouver le trépas !
J’entends que cette nuit ne vous soit point amère.

« Le ciel même a voulu, de la tête aux talons,
Qu’elle vous ressemblât de visage et d’allure,
— Hormis les pieds qu’elle a peut-être un peu moins longs ; —
Elle a mêmes yeux bleus et mêmes cheveux blonds.
Moi-même, je m’y trompe, et, si j’osais conclure,
Vous êtes le manteau dont elle est la doublure.

« S’il vous plaisait, madame, elle pourrait, ce soir,
D’un cœur triste et soumis tenter pour vous l’épreuve.
C’est elle qu’en son lit Pépin ferait asseoir.
Aux choses de l’amour, comme vous, elle est neuve,
Et, quand elle devrait, sans anneau, rester veuve,
En tel péril, c’est tout gagner qu’un peu surseoir. »

Elle dit, et déjà Berthe la suit, navrée.
Même aux soupçons du mal son cœur naïf est clos,
Car toujours l’innocence ignore les complots…
Mais Alix et Pépin vont faire leur entrée,
Et, comme la pudeur nous fut toujours sacrée,
Nous allons supprimer trois ou quatre tableaux.