Alphonse Lemerre, éditeur (p. 57-59).

X

LE REPAS DE NOCE

Je ne vous dirai rien de la cérémonie
Par qui la pauvre Berthe à Pépin fut unie ;
Je ne vous dirai pas
Les gestes onctueux de l’évêque aux doigts souples,
Le discours de l’adjoint, le nom des plus beaux couples,
Le menu du repas.

Vous saurez seulement qu’on a fait chère lie.
La voisine au dessert est toujours plus jolie
De tout ce qu’on a bu.
Jeunes gens et vieillards, chacun fut bon convive,
Et voici qu’une flamme indiscrète s’avive
Aux yeux du plus fourbu.

C’est l’heure où la plus froide a le cœur charitable.
Les genoux, amoureux des pauvres pieds de table
Qui n’y comprennent rien,
Se rapprochent ; les mains se cherchent et consentent,
Et les plus bedonnants sur leur chaise se sentent
Le corps aérien.

Berthe aux grands pieds, selon l’antique Protocole
Qui sévissait, branlant, comme un maître d’école,
Son front déjà caduc,
— Berthe aux grands pieds, craintive et tendre, a dû se mettre
En face de Pépin, son époux et son maître,
Près d’un vieil archiduc.

Elle trouve que c’est bien loin, et puis qu’en somme
Tout cet amas de gens dont la gaîté l’assomme
N’est pas d’un grand régal.
Et voici qu’à présent c’est le tour de l’orchestre.
Pauvres chers épousés ! leur grandeur les séquestre
Loin du lit conjugal.

Mais tandis qu’aux doux sons des harpes et des flûtes
Les ménestrels chantaient les amoureuses luttes
Des chevaliers d’antan,
Pépin cligne de l’œil vers Berthe très émue,
Et la vierge comprend que cet œil qui remue
Ça veut dire : « Viens-t’en ! »