Belle Santé (Verhaeren)

Les Flammes hautesMercure de France (p. 75-77).


BELLE SANTÉ


Belle santé,
Qui me reviens après m’avoir quitté,
Voici mon front, mes bras, mes épaules, mon torse
Qui tressaillent une fois encor
À te sentir rentrer et revivre en mon corps
Avec ta force.
Je me détends et je me plais
Au moindre geste que je fais.
Mon pas nerveux et volontaire
Avec ardeur s’appuie et se meut sur la terre.


Sous mon front redressé et mes cheveux vermeils
Mes deux yeux sont en fête et boivent le soleil.
Le vent m’est un ami qui chante et m’accompagne
En ma course rythmée à travers la campagne.
L’air tonique et puissant emplit mon torse creux.
Mes nerfs semblent refaits, mes muscles sont heureux
Et ma bouche joyeuse et mes mains familières
Voudraient saisir l’espace et baiser la lumière.

Belle santé,
Je suis ivre de fougue et de témérité.
Sans toi je ne pourrais jamais dompter la vie
Selon mon vouloir brusque et mon tenace espoir.
Je suivrais un chemin qui tourne et qui dévie
Et m’assoirais, las et vaincu, avant le soir.
Le feu rapide et fort dont notre âge flamboie
N’allumerait en moi ni vaillance, ni joie
Et j’aurais peur de la splendeur de l’univers.
Tu m’es, belle santé, celle qui me décide
À rester prompt et comme allègre en mes revers,
À pénétrer d’orgueil ma cervelle lucide


Dès que l’entraîne en ses combats l’effort humain.
Belle santé, nourris mes bras, muscle mes mains,
Emplis mes deux poumons de vierge et pure haleine,
Et pour que jusqu’au bout mon cœur se tienne haut,
Brille en mes yeux, bats sous mon front, brûle en mes veines
Et cours en moi comme le vent dans les drapeaux.