Beautés de la poésie anglaise/Les Funérailles de Moïse

Anonyme
Traduction par François Chatelain.
Beautés de la poésie anglaiseRolandivolume 1 (p. 6-8).

Les Funérailles de Moïse.


De Nébos près de la montagne
De ce côté-ci du Jourdain,
Du pays de Moab, seul, parmi la campagne,
Gît solitaire un tombeau souterrain.
Ce sépulchre isolé ne le creusa nul homme,
Nul homme ne le vit jamais,
Les Anges, on le lit dans le Deutéronome,
Firent le lit du mort—l’y couchèrent en paix.

Sous plus illustres funérailles
Sous plus magnifique convoi,
La terre ne sentit tressaillir ses entrailles,
Non plus son sein battre de plus d’émoi.
Mais la procession ne la vit aucun homme ;
Sans bruit tout ce convoi se fit,
Comme lorsque le jour s’éveille de son somme,
Et que sur l’océan le grand soleil surgit.

Sans bruit, ainsi que la nature
Rajeunie à chaque printemps,
Donne la clé des champs à la fraîche verdure,
À l’arbre en fleurs, aux bourgeons renaissants ;
Ainsi sans bruit aucun, sans un son de musique,
Glissa silencieusement
Cette procession du mont mélancolique
Jusqu’au profond du sol lentement, lentement.

Le vieil Aigle chauve sans doute,
Des hauteurs du gris Beth-péor,
Lui qui domine tout, qui tout voit, tout écoute,
Vit ce spectacle et s’en souvient encor :
Sans doute le Lion quand il court au carnage,
Évite passer en ce lieu,
Car le sublime oiseau, car l’animal sauvage
Bien qu’ignoré de l’homme ont vu l’œuvre de Dieu.

Quand le Guerrier clot la paupière,
On voit a l’entour du cercueil,
En foule se pressant ses compagnons de guerre,
Suivre à pas lents le pompeux char de deuil.
Les tambours sont voilée—de sa voix de tonnerre
Le canon gronde sourdement,
Près de l’illustre mort s’incline sa bannière,
Et son noble coursier suit le deuil tristement.

Parmi les premiers de la terre
Du Sage est placé le tombeau,
Au Barde, à l’Écrivain, au Poète, au Trouvère
On donne aussi le marbre le plus beau
Qu’on adosse au transept de la plus belle église
Sous des écussons blasonnés,
Où les riches reflets que le soleil tamise
Descendent glorieux sur leurs traits burinés.

Nul ne fut qui ceignit l’épée
Si grand et si fameux que lui,
Nul n’écrivit jamais plus divine épopée,
Nul du Seigneur ne fut plus ferme appui :
Et jamais, non jamais un enfant de la terre
Ne traça de sa plume d’or,
Sur la page immortelle, et ce, dans aucune ère,
D’augustes vérités un plus riche trésor.

De combien de grandeurs étranges
N’est-il pas témoin ce convoi ?
Sur son lit de parade est veillé par des anges
L’illustre mort ; son unique paroi,
C’est le versant du mont ; de plus il a pour cierges
Les mille et un flambeaux du ciel,
Pour plumes des sapins les branches toujours vierges,
Et puis la main de Dieu sur lui mettant son scel.

De cette tombe merveilleuse
Ce grand enterré sans linceuil
Un jour, auréolé de splendeur lumineuse,
S’élancera rempli d’un saint orgueil,
Puis surgissant debout enveloppé de gloire
Sur les monts qu’il ne vit jamais,
Des nombreux rachetée devant tout l’auditoire
Il narrera de Dieu les immenses bienfaits.

Du Moab tombe solitaire
Ô sombre mont de Beth-péor !
À nos cœurs curieux parlez de ce mystère
Mais juste à point arrêtez en l’essor :
Dieu seul possède en lui des mystères de grâce
Que ne pouvons approfondir :
Il les cache aux humains, comme il cache la place,
Où sa main mit Moïse en secret pour dormir !