Beaumarchais, sa vie, ses écrits et son temps/04
IV.
LES PRÉLUDES DU PROCÈS GOËZMAN.[1]
I. — PROCÈS DE BEAUMARCHAIS CONTRE LE LÉGATAIRE DE PARIS DU VERNEY.
Le premier des grands procès qui devaient donner à la vie de Beaumarchais une direction nouvelle dura sept ans. D’abord gagné, puis perdu et enfin regagné, il jeta l’auteur d’Eugénie dans un tourbillon de haines implacables et de luttes acharnées. Le fameux procès Goëzman sortit de cette grave affaire, dont les circonstances ont été assez inexactement rapportées jusqu’ici. Il est nécessaire de rétablir les faits, de montrer qu’il ne s’agissait pas seulement, comme le dit La Harpe, d’une affaire d’argent, et d’expliquer pourquoi le prince de Conti disait, non sans raison, au sujet de ce débat : « Il faut que Beaumarchais soit payé ou pendu ! » ce qui faisait répondre à Beaumarchais, toujours fidèle à son genre d’esprit : « Mais, si je gagne mon procès, ne semble-t-il pas que mon adversaire devrait aussi cordialement payer un peu de sa personne ? »
On a vu à quelle occasion le vieux Pâris Du Verney, ex-fournisseur-général des vivres de l’armée, fondateur et intendant de l’École militaire, s’était attaché au jeune protégé de Mesdames de France, lui avait donné sa confiance, l’avait aidé à se pousser à la cour en lui prêtant de l’argent pour acheter des charges, et l’avait fait entrer dans diverses opérations industrielles destinées à lui fournir les moyens de rendre l’argent qu’il lui prêtait. De cette liaison d’amitié et d’affaires qui dura dix ans, dans laquelle Beaumarchais fut souvent chargé par Du Verney de négociations importantes, et qui, en dernier lieu, avait amené leur association pour l’achat de la forêt de Chinon, il était résulté entre eux un mouvement de fonds assez considérable, qui n’avait jamais été réglé par un compte définitif. Beaumarchais, vu le grand âge de Du Verney et dans l’appréhension d’un procès avec ses héritiers, lui avait plusieurs fois et vivement demandé ce règlement de comptes. Il l’obtint enfin le 1er avril 1770, au moyen d’un acte fait double, sous seing privé, par lequel, après une assez longue énumération du doit et de l’avoir de chacun des contractans l’un sur l’autre, Beaumarchais fait remise à Du Verney de 160,000 francs de ses billets au porteur, et consent à la résiliation de leur société pour la forêt de Chinon. De son côté, Du Verney déclare Beaumarchais quitte de toutes dettes envers lui, reconnaît lui devoir la somme de 15,000 francs payable à sa volonté, et s’oblige à lui prêter, pendant huit ans, sans intérêts, une somme de 75,000 fr.
Ces deux clauses n’étaient point encore remplies, lorsque Du Verney mourut le 17 juillet 1770, à quatre-vingt-sept ans, laissant une fortune d’environ 1,500,000 francs. Comme il n’avait que des neveux et des petits-neveux, il avait choisi pour légataire universel un de ces derniers, son petit-neveu par les femmes, élevé près de lui, devenu par ses soins maréchal-de-camp, et qui se nommait le comte de La Blache. Depuis long-temps, le comte de La Blache disait de Beaumarchais : « Je hais cet homme comme un amant aime sa maîtresse. » La Harpe, qui n’était pas bien au courant des faits, paraît s’étonner de cette haine, et la présente comme une des singularités de la vie de Beaumarchais. Elle n’offrait pourtant rien de singulier : d’abord il est assez naturel qu’un héritier présomptif n’ait pas grand goût pour quelqu’un qui a reçu et qui peut recevoir des bienfaits d’un vieillard dont la fortune lui est réservée ; ensuite le comte de La Blache avait des motifs particuliers pour détester Beaumarchais. Celui-ci était très lié avec un autre neveu de Pâris Du Verney du côté paternel, M. Pâris de Meyzieu, homme distingué, qui avait puissamment aidé son oncle dans la fondation de l’École militaire, mais qui, beaucoup moins habile dans l’art difficile et pénible aux gens de cœur de s’assurer d’une succession, s’était retiré de la lutte et laissé sacrifier à un parent plus éloigné. Beaumarchais, trouvant que ce sacrifice n’était pas juste, n’avait cessé de combattre la faiblesse de son vieil ami Du Verney, et de plaider pour M. de Meyzieu avec une franchise et une vivacité prouvées par ses lettres, dont je ne citerai qu’un fragment, qui se rapporte précisément à l’arrêté de comptes en question.
« Je ne puis soutenir, écrit-il à Du Verney en date du 9 mars 1770, qu’en cas de mort, vous me plantiez vis-à-vis M. le comte de La Blache, que j’honore de tout mon cœur, mais qui, depuis que je l’ai vu familièrement chez Mme d’Hauteville, ne m’a jamais fait l’honneur de me saluer. Vous en faites votre héritier, je n’ai rien à dire à cela ; mais, si je dois, en cas du plus grand malheur que je puisse craindre, être son débiteur, je suis votre serviteur pour l’arrangement : je ne résilie point. Mettez-moi vis-à-vis mon ami Meyzieu, qui est un galant homme et à qui vous devez, mon bon ami, des réparations depuis long-temps : ce n’est pas des excuses qu’un oncle doit à son neveu, mais des bontés et surtout des bienfaits, quand il a senti qu’il avait eu tort avec lui. Je ne vous ai jamais fardé mon opinion là-dessus. Mettez-moi vis-à-vis de lui. Ce souvenir que vous lui laisserez de vous, lorsqu’il s’y attend le moins, élèvera son cœur à une reconnaissance digne du bienfait. Enfin c’est mon dernier mot : vous, ou, à votre défaut, Meyzieu, ou point de résiliation[2]. J’ai d’autres motifs encore pour appuyer sur ce dernier point, mais c’est de bouche que je vous les communiquerai. Quand voulez-vous que nous nous voyions ? car je vous avertis que d’ici là je ne ferai pas une panse d’a sur vos corrections. »
On concevra facilement que ces dispositions de Beaumarchais pour le neveu sacrifié étaient peu propres à lui concilier la bienveillance du petit-neveu préféré. Le comte de La Blache le détestait donc très vivement, et lorsqu’après la mort de Du Verney, Beaumarchais lui fit présenter son arrêté de comptes, en en réclamant l’exécution, il répondit qu’il ne reconnaissait point la signature de son oncle et qu’il considérait l’acte comme faux. Sommé de s’inscrire en faux, sauf à subir les conséquences d’un échec dans cette voie dangereuse, il déclara qu’il se réservait d’user ou non de ce moyen, et, en attendant, il demanda aux tribunaux l’annulation de l’arrêté de comptes par voie de rescision, comme renfermant en lui-même des preuves de dol et de fraude, de sorte que Beaumarchais se trouva enlacé dans les liens de la procédure la plus odieuse ; car, tout en n’osant pas l’attaquer directement comme faussaire, son adversaire ne cessait de plaider indirectement la question de faux, et, après cette discussion infamante, il prétendait cependant tirer parti contre Beaumarchais de l’acte même qu’il déclarait faux. Ainsi, non content de réclamer de lui le paiement de 53,500 livres de créances trouvées dans les papiers de Du Verney et annulées par l’arrêté de comptes en question, comme dans cet arrêté de comptes Beaumarchais portait à son passif non plus seulement 53,500 livres, mais 139,000 livres, compensées par un actif plus considérable, son adversaire demandait naïvement que la prétendue fausseté de l’arrêté de comptes ne servît qu’à faire annuler la créance de Beaumarchais sur Du Verney, mais laissât subsister tout entière cette créance de 139,000 livres de Du Verney sur Beaumarchais, qui n’existait précisément qu’en vertu de ce même arrêté de comptes : d’où il suit que Beaumarchais, au lieu de toucher 15,000 livres que lui allouait la pièce en question, devait être condamné à en payer 139,000, dont elle le déchargeait. C’est ainsi, disait maître Caillard, avocat très ingénieux et très injurieux choisi par le comte de La Blache, « c’est ainsi que la justice sera vengée, et les citoyens honnêtes verront avec satisfaction un pareil adversaire pris dans les pièges qu’il avait lui-même dressés. »
Cette manière honnête de tirer parti d’une pièce qu’on déclare fausse pour transformer un titre de 53,500 fr. en 139,000 fr. suffit déjà, ce me semble, pour annoncer chez le légataire de Du Verney, ou au moins chez son avocat, plus d’habileté que de bonne foi ; mais comme ce travail n’est pas un plaidoyer de parti pris en faveur de Beaumarchais, j’ai voulu connaître toutes les pièces de ce procès. Je me suis procuré, non sans peine, tous les mémoires de l’avocat du comte de La Blache ; je les ai lus en même temps que les réponses de Beaumarchais. J’ai en main l’original de ce fameux arrêté de comptes, qui a voyagé du parlement de Paris au parlement d’Aix, qui pendant sept ans a été soumis à l’inspection de tant de juges et de tant d’avocats, qu’on a été obligé de le consolider avec des bandes de papier collées sur les marges. En m’entourant de tous les documens propres à m’éclairer, mon but était de savoir au juste, non pas si Beaumarchais devait ou non recevoir 15,000 fr. qu’il réclamait, ce qui importe assez peu à la postérité, mais s’il était un faussaire audacieux ou un honnête homme indignement calomnié, ce qui est beaucoup plus important. J’aurais pu, à la rigueur, me dispenser de ce fatigant examen, car enfin Beaumarchais, après avoir gagné son procès en première instance et l’avoir perdu en appel dans des circonstances particulières qu’on expliquera, a obtenu la cassation de ce dernier jugement, et un arrêt définitif du parlement de Provence, en date du 21 juillet 1778, — qui lui donne gain de cause sur tous les points, qui déclare l’arrêté de comptes parfaitement valable, et condamne le comte de La Blache à l’exécuter dans toutes ses parties, — condamne de plus le légataire de Du Verney aux frais du procès et à 12,000 fr. de dommages-intérêts envers Beaumarchais pour raison de calomnie. La question se trouve donc complètement vidée, et j’aurais pu m’en référer au jugement définitif du parlement de Provence ; mais il suffit qu’un doute aussi injurieux ait été suspendu pendant sept ans sur la tête de l’auteur du Mariage de Figaro, il suffit que cette longue calomnie ait laissé dans sa vie une trace funeste que nous retrouverons plus d’une fois, pour qu’avant de passer outre je me sois cru obligé de me faire par moi-même une conviction sur un point de moralité aussi grave.
Et d’abord, un mot sur la question de vraisemblance. Était-il vraisemblable qu’en avril 1770, Beaumarchais, possédant par lui-même une certaine fortune et de plus très riche par sa seconde femme, qui vivait encore (on se souvient qu’elle ne mourut que le 21 novembre de la même année), était-il vraisemblable que, dans cette situation, Beaumarchais s’exposât à fabriquer un acte faux uniquement pour ne pas payer à l’héritier de Du Verney 53,500 francs et pour lui arracher 15,000 fr., — et cela quand il savait d’avance que cet héritier, homme de qualité, maréchal-de-camp, jouissant d’un grand crédit et d’une grande fortune, le détestait de toute son ame, et ne négligerait rien pour l’écraser s’il le pouvait ? Il y a déjà là quelque chose qui choque toute vraisemblance.
En supposant maintenant que Beaumarchais eût voulu ou pu fabriquer un acte faux, lui aurait-il donné la forme qu’avait celui-là ? C’est une grande feuille double de papier à la Tellière ; le détail très compliqué du règlement de comptes, écrit de la main de Beaumarchais, remplit les deux premières pages ; à l’extrémité de la seconde page, il est signé à droite de la main de Beaumarchais, et à gauche daté et signé de la main de Du Verney ; la troisième page contient le tableau résumé en chiffres des stipulations de ce même règlement de comptes.
Que disait de cette pièce l’avocat du comte de La Blache ? Il la discutait avec l’aisance d’un avocat ; tantôt il insinuait que la signature de Du Verney était fausse ; tantôt, sommé de s’inscrire en faux, il déclarait que, si elle était vraie, elle remontait à une époque antérieure à la date de 1770, « époque à laquelle, disait-il, le vieux Du Verney avait une écriture tremblée, tandis que celle qui est au pied de l’écrit est une écriture hardie, qui part d’une main ferme et légère. » Ici l’avocat feignait de ne pas voir ce qui lui crevait les yeux, qu’au-dessus de la signature de Du Verney se trouvaient écrits de la même encre et de la même main ces mots : à Paris, le 1er avril 1770, c’est-à-dire que Du Verney avait non-seulement signé, mais daté l’acte en question, ce qui obligeait de supposer qu’il se serait amusé, dans sa jeunesse ou dans son âge mûr, à signer et à dater d’avance des blancs-seings pour l’époque de sa vieillesse. Repoussé de ce côté, l’avocat insinuait alors que cette grande feuille double de papier devait être un blanc-seing signé et daté en effet par Du Verney en 1770, mais pour tout autre objet, soustrait ensuite et rempli par Beaumarchais. — Or quelle vraisemblance que Du Verney, dont on faisait d’ailleurs valoir contre Beaumarchais l’esprit d’ordre, laissât traîner chez lui, dans un but qu’on n’indiquait pas, des blancs-seings signés juste à l’extrémité de la deuxième page d’une grande feuille de papier à la Tellière, et de plus signés, non pas au milieu du papier, mais à gauche, précisément de manière à ménager une place à droite pour une seconde signature ? Quelle vraisemblance enfin que Beaumarchais, — contre lequel on arguait, d’autre part, que, dans les derniers temps de la vie de Du Verney, il ne pouvait presque plus arriver jusqu’à lui (ce qui était exact), — fût venu juste à point pour dérober un blanc-seing aussi étrangement disposé ? Sentant la faiblesse de cette argumentation, l’adversaire de Beaumarchais se rejetait alors sur le contenu de l’acte en question ; il prouvait sans peine que les clauses en étaient compliquées, diffuses, parfois même embrouillées, qu’il s’y mêlait des dispositions relatives à d’autres objets que le règlement de comptes. Ceci était vrai, mais prouvait précisément en faveur de Beaumarchais, car s’il eût pu ou voulu fabriquer un acte faux, il l’eût fait ou plus bref ou plus méthodique, tandis que, réglant une longue suite d’opérations avec un vieillard de quatre-vingt-sept ans, ce règlement avait dû naturellement se ressentir de la prolixité ou des fantaisies du vieillard[3].
Mais, dira-t-on, comment, n’ayant à lutter que contre d’aussi faibles argumens, Beaumarchais, après avoir gagné son procès en première instance, a-t-il pu le perdre en appel ? Sans parler encore ici de l’influence du rapporteur Goëzman, nous verrons plus tard un autre conseiller du parlement Maupeou avouer formellement, dans une lettre à Beaumarchais, que les bruits publics répandus sur lui ont été pour beaucoup dans sa décision ; il faut ajouter cependant, pour être exact, que ce procès offrait aussi quelques circonstances propres à faire peut-être une certaine impression sur des juges déjà fortement prévenus. Par exemple, si on a suivi avec attention l’exposé que nous venons de faire, on s’est sans doute déjà demandé où était le double de ce règlement de comptes entre Beaumarchais et Du Verney ; c’est ici que l’adversaire de Beaumarchais prétendait triompher de lui en disant : « L’acte écrit entièrement de votre main est supposé fait double entre vous et Du Verney ; or on n’a point trouvé ce double dans les papiers du défunt, donc ce double n’a jamais existé, donc l’acte que vous présentez est faux. » À cela Beaumarchais répondait : « Par suite des difficultés que vous, légataire défiant et avide, apportiez sans cesse à mes entrevues avec Du Verney, dans les derniers temps de sa vie, nous ne pouvions nous voir en quelque sorte qu’à la dérobée. Après un long débat par écrit sur le règlement de nos affaires, je lui ai envoyé les deux doubles de l’acte qu’il m’avait chargé de rédiger, tous deux signés de ma main, il m’a renvoyé l’un des deux après l’avoir signé et daté de la sienne, et il a gardé l’autre ; si celui-là ne s’est point trouvé dans ses papiers, ou il l’a détruit ou perdu, ou vous-même, qui ne quittiez pas la chambre du défunt, vous l’avez soustrait avant l’inventaire, pour l’empêcher de servir de justification à celui que je vous présente. Quant à moi, je prouve la vérité et la sincérité de cet acte non-seulement par l’acte même, mais par plusieurs lettres de Du Verney que je vous présente également, dont je vous défie de contester l’écriture, et qui toutes sont des réponses à des demandes que je lui adressais relativement à cet arrêté de comptes, et auxquelles il répondait de sa main sur-le-champ et sur la même feuille de papier contenant la demande, suivant l’habitude ou nous étions de correspondre ainsi depuis dix ans. Je vous présente même une de ces lettres où Du Verney m’écrit : Voilà notre compte signé. Que pouvez-vous répondre à ceci ? » Maître Caillard, l’avocat du comte de La Blache, ne se démontait pas pour si peu. « Ceci, disait-il, est une preuve de plus de la fraude du sieur de Beaumarchais. Les billets qu’on nous présente sont peut-être écrits de la main de Du Verney : nous l’accordons ; mais ils sont courts, vagues, insignifians. Ils ne sont point datés, ils ont été écrits à une autre époque et pour quelque autre objet, et les prétendues demandes datées, auxquelles ils servent de réponse, ont été adossées après coup sur la même feuille par le sieur de Beaumarchais. Quant à la lettre où Du Verney écrit : Voilà notre compte signé, elle s’applique à quelque autre compte. » L’inspection des lettres détruisait cet injurieux raisonnement, car les réponses de Du Verney, quoique moins explicites naturellement que les demandes de Beaumarchais, qui toutes s’appliquent au règlement de comptes, ne peuvent s’adapter qu’à ces demandes. Dans quelques-unes même, la demande de Beaumarchais et la réponse de Du Verney sont, non pas adossées, c’est-à-dire l’une sur la première page, l’autre sur la troisième d’une feuille double, mais toutes deux sur la même page, et la réponse de Du Verney à la suite de la demande de Beaumarchais, ce qui rendait impossible la fraude que supposait l’avocat. Et enfin, si ces réponses de Du Verney ne s’appliquaient pas aux demandes de Beaumarchais, écrites après coup, elles s’appliquaient donc à d’autres demandes, à d’autres lettres de Beaumarchais, qui devaient se retrouver dans les papiers de Du Verney : pourquoi l’adversaire ne les présentait-il pas, lui qui présentait toutes les lettres de Beaumarchais à Du Verney dont il croyait pouvoir tirer parti ?
Tel est l’exposé exact de la discussion déplorable que dut subir si long-temps Beaumarchais, obligé, on le voit, de gagner son procès, ou de passer pour un faussaire. Ce qu’il y avait de particulier dans cette affaire, c’est-à-dire l’absence du double de l’acte en question, sa physionomie un peu embrouillée, le caractère un peu obscur de la correspondance avec Du Verney que Beaumarchais présentait à l’appui de cet acte ; enfin la disparition dans les papiers de Du Verney de tout document relatif à cet arrêté de comptes, toutes ces circonstances pour des juges non prévenus à l’égard d’un homme moins diffamé, attaqué par un adversaire moins puissant, se fussent naturellement expliquées par cette considération : — qu’un vieillard de quatre-vingt-sept ans, réglant avec un homme détesté par son héritier des affaires qu’il ne lui plaisait pas de soumettre à ce même héritier, avait bien pu s’entourer de quelque obscurité, et que l’héritier avait intérêt à épaissir ces ténèbres, au lieu de les dissiper. Dans la situation des choses et des personnes, ces mêmes circonstances, exploitées et dénaturées par un avocat insidieux et retors, prenaient une physionomie assez noire pour qu’on s’explique bien cette apostrophe échappée à la colère de Beaumarchais contre certains avocats : « Oh ! que c’est un méprisable métier que celui d’un homme qui, pour gagner l’argent d’un autre, s’efforce indignement d’en déshonorer un troisième, altère les faits sans pudeur, dénature les textes, cite à faux les autorités et se fait un jeu du mensonge et de la mauvaise foi ! »
Cependant ce procès, engagé en octobre 1771 devant le tribunal de première instance, qu’on appelait alors les requêtes de l’hôtel, fut d’abord jugé en faveur de Beaumarchais. Une première sentence, en date du 22 février 1772, débouta le comte de La Blache de sa demande en rescision, et une seconde sentence, en date du 14 mars 1772, ordonna l’exécution du règlement de comptes argué de fraude. L’adversaire fit appel devant la grand’chambre du parlement.
Quoique victorieux dans ce premier combat, Beaumarchais en sortait cruellement meurtri ; l’avocat Caillard l’avait vilipendé à outrance ; l’animosité et le crédit du comte de La Blache excitaient contre lui la tourbe des nouvellistes. La mort de sa seconde femme, coïncidant avec ce déplorable procès, fournissait un aliment aux calomnies atroces dont j’ai déjà parlé. Ces calomnies circulaient dans les gazettes étrangères et dans ces feuilles manuscrites qui suppléaient si détestablement à la liberté de la presse ; elles trouvaient accès auprès de tous ceux qu’irrite l’élévation d’un homme qui a fait lui-même sa fortune, surtout quand cet homme n’est pas modeste, et il est bien reconnu que Beaumarchais ne l’était pas. Non content de détruire sa réputation, le comte de La Blache, qu’il nomme quelque part le premier auteur de tous mes maux, venait de le prendre en défaut et de lui porter un coup de Jarnac dans la circonstance suivante. Quelques jours avant le jugement en première instance, Beaumarchais, apprenant que son adversaire répandait partout le bruit que Mesdames de France l’avaient chassé de leur présence pour des faits déshonorans, avait écrit à la comtesse de Périgord, première dame d’honneur de la princesse Victoire, pour se plaindre des calomnies du comte, et demander à Mesdames une attestation de délicatesse et de probité ; la comtesse de Périgord lui avait répondu sur-le-champ par cette lettre :
« J’ai fait part, monsieur, de votre lettre à Madame Victoire, qui m’a assuré qu’elle n’avait jamais dit un mot à personne qui pût nuire à votre réputation, ne sachant rien de vous qui pût la mettre dans ce cas-là. Elle m’a autorisée à vous le mander. La princesse même a ajouté qu’elle savait bien que vous aviez un procès, mais que ses discours sur votre compte ne pourraient jamais vous faire aucun tort dans aucun cas, et particulièrement dans un procès, et que vous pouvez être tranquille à cet égard.
« Je suis charmée que cette occasion, etc.
Au lieu de publier textuellement cette lettre, qui suffisait pour sauvegarder sa réputation, Beaumarchais, dans l’espoir d’en tirer le meilleur parti possible, eut l’imprudence de la fondre dans une note d’un mémoire contre le comte de La Blache, où il disait que, son adversaire cherchant à lui enlever l’honorable protection que Mesdames lui ont toujours accordée et soufflant à l’oreille de ses juges qu’il s’est rendu indigne de leurs bontés et qu’elles ne prennent plus à lui aucune espèce d’intérêt, il était autorisé par Madame Victoire à publier, etc. Ici Beaumarchais donnait bien le résumé exact et fidèle de la lettre de la comtesse de Périgord ; mais le commentaire qui précédait ce résumé était de sa part une inconvenance et une imprudence : il prêtait ainsi le flanc à son adversaire, car il semblait vouloir faire dire à Mesdames plus qu’elles n’avaient dit, et transformer un simple témoignage d’estime, une simple attestation de probité, en un certificat de protection et d’intérêt pour lui à l’occasion de son procès, ce qui devait nécessairement offenser des princesses ayant le sentiment de leurs devoirs. Il avait à peine commis cette maladresse, que le comte de La Blache court à Versailles, pénètre auprès de Mesdames, et se plaint à elles que Beaumarchais vient de faire contre un maréchal-de-camp un odieux abus de leur nom, et que, dans un mémoire imprimé, il a eu l’audace de publier que Mesdames prenaient le plus vif intérêt au gain de son procès. Beaumarchais n’avait pas dit cela ; mais on vient de voir qu’en parlant d’intérêt et de protection, il pouvait être accusé d’avoir cherché à le faire entendre. Les princesses s’irritent, et le comte de La Blache, profitant de leur colère, obtient d’elles le petit billet doux qui suit :
« Nous déclarons ne prendre aucun intérêt à M. Caron de Beaumarchais et à son affaire, et ne lui avons pas permis d’insérer dans un mémoire imprimé et public des assurances de notre protection.
Élisabeth-Justine. »
Cette déclaration, immédiatement imprimée et publiée par le comte de La Blache, circule partout. Si elle n’empêche pas les juges en première instance, qui avaient vu la lettre de la comtesse de Périgord, de rendre justice à Beaumarchais, tout en ordonnant la suppression de la note indiscrète dont il s’était rendu coupable, elle trompe complètement le public, aux yeux de qui l’auteur de la note passe non pas seulement pour un indiscret qui a commenté à tort un témoignage d’estime très réel, mais pour un double imposteur qui, à l’appui d’un faux arrêté de comptes, produit une fausse attestation de probité. Pour comble de malheur, Beaumarchais, sentant qu’il a eu tort de commenter ainsi et d’exagérer le témoignage de la princesse Victoire, craignant de l’offenser en insistant sur cet incident, n’ose point publier la lettre de la comtesse de Périgord, qui explique son commentaire, et il est obligé de rester en silence sous le coup de ce soupçon d’imposture. Ce n’est que deux ans plus tard qu’il se décide à répondre. En décembre 1773, dans un nouveau procès, attaqué encore une fois sur cet incident par le juge Goëzman avec la plus grande violence et la plus insigne mauvaise foi (Goëzman, qui connaissait la lettre de la comtesse de Périgord et feignait de l’ignorer, parlait d’un excès d’imposture), Beaumarchais publie enfin cette lettre en s’efforçant d’atténuer habilement l’usage indiscret qu’il en avait fait. Je viens d’expliquer très exactement en quoi consistait cette indiscrétion, et comment le comte de La Blache avait su en tirer parti.
Les choses en étaient là : le procès se poursuivait en appel ; Beaumarchais, luttant de son mieux contre un homme en crédit et une mauvaise réputation, se délassait de cette guerre de chicane en composant le Barbier de Séville, lorsqu’une aventure aussi étrange qu’inattendue vint mettre le comble aux embarras de sa situation et fournir un nouvel aliment à la haine de ses ennemis.
II. — UN ÉPISODE DE LA VIE SOCIALE AU XVIIIe SIÈCLE. — Mlle MÉNARD, BEAUMARCHAIS ET LE DUC DE CHAULNES.
Les détails de l’aventure dont il s’agit ici sont complètement ignorés du public. Dans son étude sur Beaumarchais, La Harpe se contente de dire : Il eut une querelle avec un grand seigneur qui lui disputait une courtisane. Le mot est un peu dur pour Mlle Ménard, avec laquelle on va faire connaissance, et qui n’était pas précisément ce que dit La Harpe. Dans son édition des œuvres de Beaumarchais qui a servi de type à toutes les autres, Gudin, réservant pour ses mémoires, restés inédits, le récit de la querelle avec le duc de Chaulnes, n’a publié, parmi toutes les lettres relatives à l’incident en question, que les deux plus vagues et les deux plus insignifiantes. Cependant Beaumarchais avait recueilli avec soin toutes les pièces de cette étrange affaire. Le dossier qui les renferme est au grand complet, c’est un de ceux sur lesquels il a écrit de sa main : Matériaux pour les Mémoires de ma vie ; et comme cette querelle avait occasionné un commencement d’instruction judiciaire par-devant M. de Sartines, alors lieutenant-général de police, Beaumarchais, qui, plus tard, s’était lié assez intimement avec ce dernier, avait obtenu de lui la remise de toutes les lettres et dépositions de chacun des acteurs de ce petit drame tragi-comique. J’essaierai donc de le reproduire au naturel et en laissant autant que possible la parole aux personnages eux-mêmes. Ces sortes de tableaux de mœurs, quand ils sont exacts et authentiques, éclairent la physionomie d’un temps beaucoup mieux que les généralités les plus pompeuses.
Parlons d’abord de l’aimable personne qui fut la cause de ce combat homérique entre Beaumarchais, adroit et prudent comme Ulysse, et un duc et pair robuste et furieux comme Ajax. Mlle Ménard était une jeune et jolie, sinon vertueuse artiste, qui, en juin 1770, avait débuté avec talent à la Comédie-Italienne dans les rôles de Mme Laruette ; elle s’était distinguée surtout dans le rôle de Louise du Déserteur. Grimm nous a tracé son portrait. « On convient assez généralement, dit-il dans sa Correspondance littéraire, qu’elle a mieux joué le rôle de Louise qu’aucune de nos actrices les plus applaudies, et qu’elle y a mis des nuances qui ont échappé à Mme Laruette et à Mme Trial ; elle a moins réussi dans les autres rôles, et l’on peut dire qu’elle a joué avec une inégalité vraiment surprenante. Elle s’est fait beaucoup de partisans ; les auteurs poètes et musiciens sont dans ses intérêts ; malgré cela, M. le maréchal de Richelieu, kislar-aga des plaisirs du public, c’est-à-dire des spectacles[4], ne veut pas même qu’elle soit reçue à l’essai : il sait mieux que nous ce qui doit nous faire plaisir pour notre argent. La voix de Mlle Ménard[5] est de médiocre qualité ; elle a eu un mauvais maître à chanter ; avec de meilleurs principes et en apprenant à gouverner sa voix, son chant pourra devenir assez bon pour ne pas déparer son jeu. Quant à celui-ci, elle a d’abord l’avantage d’un débit naturel et d’une prononciation aisée ; elle ne parle pas du crâne et à la petite octave comme Mme Laruette et Mme Trial. Sa figure est celle d’une belle fille, mais non pas d’une actrice agréable. Mettez à souper Mlle Ménard, fraîche, jeune, piquante, à côté de Mlle Arnould, et celle-ci vous paraîtra un squelette auprès d’elle ; mais au théâtre ce squelette sera plein de grâce, de noblesse et de charme, tandis que la fraîche et piquante Ménard aura l’air gaupe[6]. Elle m’a paru avoir la tête un peu grosse ; la carcasse supérieure de ses joues est un peu trop élevée, ce qui empêche que le visage ne joue. On a beaucoup parlé de la beauté de ses bras ; ils sont très blancs, mais ils sont trop courts, ils ont l’air de pattes de lion. En général sa figure est un peu trop grande et trop forte pour les rôles tendres, naïfs et ingénus, comme sont la plupart des rôles de nos opéras-comiques[7]… Du reste, je suis de l’avis du public, qu’il faudrait recevoir Mlle Ménard à l’essai : elle paraît être capable d’une grande application. On prétend que son premier métier a été celui de bouquetière sur les boulevards, mais que, voulant se tirer de cet état, qui a un peu dégénéré de la noblesse de son origine depuis que Glycère vendait des bouquets aux portes des temples à Athènes, elle a acheté une grammaire de Restant et s’est mise à étudier la langue et la prononciation française, après quoi elle a essayé de jouer la comédie. Ce qu’il y a de sûr, c’est que, pendant ses débuts, elle s’est adressée à tous les auteurs musiciens et poètes pour leur demander conseil et profiter de leurs lumières avec un zèle et une docilité qui ont eu pour récompense les applaudissemens qu’elle a obtenus dans ses différens rôles. M. de Péquigny, aujourd’hui duc de Chaulnes, protecteur de ses charmes, l’a fait peindre par Greuze ; ainsi, si nous ne la conservons pas au théâtre, nous la verrons du moins au salon prochain[8]. »
La protection du duc de Chaulnes ayant sans doute empêché Mlle Ménard d’être protégée par le duc de Richelieu, elle sacrifia ses espérances de succès à la jalousie du premier de ces deux ducs et elle renonça au théâtre ; mais, comme elle avait de l’esprit et de l’agrément, elle recevait chez elle fort bonne compagnie (en hommes bien entendu). Marmontel, Sedaine, Rulhières, Chamfort, s’y rencontraient avec de très grands seigneurs amenés par le duc de Chaulnes. Ce duc, qui avait alors trente ans, était déjà célèbre par la violence et la bizarrerie de son caractère : c’était le dernier représentant de la branche cadette de la maison de Luynes, laquelle branche s’est éteinte, je crois, dans sa personne. Le manuscrit inédit de Gudin contient de lui un portrait dont la ressemblance est confirmée par tous les témoignages contemporains. « Son caractère, dit Gudin, était un assemblage rare de qualités et de défauts contradictoires : de l’esprit et point de jugement ; de l’orgueil et un défaut de discernement tel qu’il lui ôtait le sentiment de sa dignité dans ses rapports avec ses supérieurs, ses égaux ou ses inférieurs ; une mémoire vaste et désordonnée ; un grand désir de s’instruire et un plus grand goût pour la dissipation ; une force de corps prodigieuse ; une violence de caractère qui troublait sa raison toujours assez confuse ; de fréquens accès de colère dans lesquels il ressemblait à un sauvage ivre, pour ne pas dire à une bête féroce. Toujours livré à l’impression du moment, sans égard pour les suites, il s’était attiré plus d’une mauvaise affaire. Banni du royaume pendant cinq ans, il avait employé le temps de son exil à faire un voyage scientifique, il avait visité les pyramides, fréquenté les Bédouins du désert, rapporté plusieurs objets d’histoire naturelle et un malheureux singe qu’il assommait de coups tous les jours[9]. »
Ce caractère du duc de Chaulnes rendait fort orageuse sa liaison avec Mlle Ménard. À la fois jaloux, infidèle et brutal, depuis long-temps déjà il ne lui inspirait plus guère que de la crainte, lorsqu’il se prit d’une belle passion pour Beaumarchais, et l’introduisit lui-même chez sa maîtresse ; au bout de quelques mois, il s’aperçut qu’elle le trouvait plus aimable que lui. Son amitié se changea en fureur. Mlle Ménard, effrayée de ses violences, pria Beaumarchais de cesser ses visites. Par égard pour elle, il y consentit ; mais, les mauvais traitemens du duc ne discontinuant pas, elle prit un parti désespéré, et se réfugia dans un couvent. Quand elle crut avoir reconquis sa liberté par une rupture définitive, elle rentra dans sa maison en invitant Beaumarchais à revenir la voir.
C’est dans cette circonstance que Beaumarchais écrit au duc de Chaulnes, et lui propose un traité de paix un peu bizarre dans une lettre qui me semble curieuse et par son contenu et par un ton mélangé de familiarité, de prudence et d’égards, qui peint bien le conflit des caractères et de la condition sociale des deux personnages. Voici cette lettre : on ne doit pas oublier que Beaumarchais a été d’abord très lié avec le duc de Chaulnes.
« Mme Ménard[10] m’a donné avis qu’elle était retournée chez elle en m’invitant de la voir, comme tous ses autres amis, quand cela me ferait plaisir. J’ai jugé que les raisons qui l’avaient forcée de s’enfuir avaient cessé ; elle m’apprend qu’elle est libre, et je vous en fais à tous les deux mon compliment sincère. Je compte la voir demain dans la journée. La force des circonstances a donc fait sur vos résolutions ce que mes représentations n’avaient pu obtenir ; vous cessez de la tourmenter, j’en suis enchanté pour tous deux, je dirais même pour tous trois, si je n’avais résolu de faire entière abstraction de moi dans toutes les affaires où l’intérêt de cette infortunée entrera pour quelque chose. J’ai su par quels efforts pécuniaires vous aviez cherché à la remettre sous votre dépendance, et avec quelle noblesse elle avait couronné un désintéressement de six années en reportant à M. de Genlis l’argent que vous aviez emprunté pour le lui offrir. Quel cœur honnête une pareille conduite n’enflammerait-elle pas ! pour moi, dont elle a jusqu’à présent refusé les offres de service, je me tiendrai fort honoré, sinon aux yeux du monde entier, du moins aux miens, qu’elle veuille bien me compter au nombre de ses amis les plus dévoués. Ah ! monsieur le duc, un cœur aussi généreux ne se conserve ni par des menaces, ni par des coups, ni par de l’argent. Pardon, si je me permets ces réflexions ; elles ne sont point inutiles au but que je me propose en vous écrivant. En vous parlant de Mme Ménard, j’oublie mes injures personnelles, j’oublie qu’après vous avoir prévenu de toutes façons, m’être vu embrassé, caressé par vous et chez vous et chez moi, sur des sacrifices que mon attachement seul pouvait m’inspirer[11], qu’après que vous m’avez plaint en me disant d’elle des choses très désavantageuses, tout à coup vous avez sans aucun sujet changé de discours, de conduite, et lui avez dit cent fois plus de mal de moi que vous ne m’en avez dit d’elle. Je passe encore sous silence la scène horrible pour elle, et dégoûtante entre deux hommes, où vous vous êtes égaré jusqu’à me reprocher que je n’étais que le fils d’un horloger. Moi qui m’honore de mes parens devant ceux mêmes qui se croient en droit d’outrager les leurs[12], vous sentez, monsieur le duc, quel avantage notre position respective me donnait en ce moment sur vous, et, sans la colère injuste qui vous a toujours égaré depuis, vous m’auriez certainement su gré de la modération avec laquelle j’ai repoussé l’outrage de celui que j’avais toujours fait profession d’honorer et d’aimer de tout mon cœur ; mais, si mes égards respectueux pour vous n’ont pu aller jusqu’à craindre un homme, c’est que cela n’est pas en mon pouvoir. Est-ce une raison de m’en vouloir ? et mes ménagemens de toute nature ne doivent-ils pas, au contraire, avoir à vos yeux tout le prix que ma fermeté leur donne ? J’ai dit : Il reviendra de tant d’injustices accumulées, et ma conduite honnête le fera enfin rougir de la sienne. Vous avez eu beau faire, vous n’avez pas plus réussi à avoir mauvaise opinion de moi qu’à l’inspirer à votre amie. Elle a exigé, pour son propre intérêt, que je ne la visse pas ; comme on n’est point déshonoré d’obéir à une femme, j’ai été deux mois entiers sans la voir et sans aucune communication directe avec elle ; elle me permet aujourd’hui d’augmenter le nombre de ses amis. Si pendant ce temps vous n’avez pas repris les avantages que votre négligence et vos vivacités vous avaient fait perdre, il faut croire que les moyens que vous avez employés n’y étaient pas propres. Eh ! croyez-moi, monsieur le duc, revenez d’une erreur qui vous a causé déjà tant de chagrins : je n’ai jamais cherché à diminuer le tendre attachement que cette généreuse femme vous avait voué ; elle m’aurait méprisé, si je l’avais tenté. Vous n’avez eu auprès d’elle d’autre ennemi que vous-même. Le tort que vous ont fait vos dernières violences vous indique la route qu’il faut tenir pour vous replacer à la tête de ses vrais amis… Au lieu d’une vie d’enfer que nous lui faisons mener, joignons-nous tous pour lui procurer une société douce et une vie agréable. Rappelez-vous tout ce que j’ai eu l’honneur de vous dire à ce sujet, et rendez en sa faveur votre amitié à celui à qui vous n’avez pu ôter votre estime. Si cette lettre ne vous ouvre pas les yeux, je croirai avoir rempli tous mes devoirs envers mon ami que je n’ai pas offensé, dont j’ai oublié les injures, et au-devant duquel je vais pour la dernière fois, lui protestant qu’après cette démarche infructueuse, je m’en tiendrai au respect froid, sec et ferme, qu’on a pour un grand seigneur sur le caractère duquel on s’est lourdement trompé. »
Le duc de Chaulnes ne répondit pas à cette lettre ; quelques mois se passèrent, pendant lesquels apparemment Beaumarchais, quoique le duc n’autorisât point ses visites, profita de la permission que Mlle Ménard lui avait donnée de revenir la voir ; enfin un beau matin, le 11 février 1773, le duc de Chaulnes se mit en tête de tuer son rival. La scène qui suit ayant duré toute une journée, et chacun des personnages qui y ont concouru ayant fait sa déposition écrite au lieutenant de police ou au tribunal des maréchaux de France pour la partie qui le concerne, je vais ajuster ces différentes dépositions, en commençant par celle de Gudin, qui a vu se former l’orage. Dans le récit inédit qu’il a rédigé de toute l’affaire trente-cinq ans après l’événement, Gudin se farde un peu. Je préfère sa déposition du moment ; il y est plus naturel : on l’y voit jeune, bon garçon, dévoué à Beaumarchais, avec lequel il était lié depuis quelque temps, et qui l’avait sans doute introduit chez Mlle Ménard, mais enclin à s’effrayer facilement, assez peu belliqueux et craignant beaucoup de se compromettre.
« Jeudi dernier, sur les onze heures du matin, je me rendis chez Mlle Ménard, après avoir été dans plusieurs endroits. — Il y a bien long-temps que je ne vous ai vu, me dit-elle. J’ai cru que vous n’aviez plus d’amitié pour moi. — Je la rassurai et je m’assis dans un fauteuil au bord de son lit. Elle fondit en pleurs, et son cœur ne pouvant contenir sa peine, elle me conta combien elle avait à souffrir des violences de M. le duc de Chaulnes. Elle me parla ensuite d’un propos tenu contre M. de Beaumarchais. Le duc entre ; je me lève, je le salue, je lui cède la place que j’occupais au bord du lit. — Je pleure, lui dit Mlle Ménard, je pleure, et je prie M. Gudin d’engager M. de Beaumarchais à se justifier du propos ridicule qu’on a tenu contre lui. — De quelle nécessité est-il, repart le duc, de justifier un coquin comme Beaumarchais ? — C’est un très honnête homme, repartit-elle en versant de nouvelles larmes. — Vous l’aimez ! s’écria le duc en se levant ; vous m’humiliez : je vous déclare que je vais me battre avec lui. — Il y avait dans la chambre où nous étions une amie de Mme Ménard, une servante ou femme de chambre, et une jeune enfant, fille de Mlle Ménard[13]. Nous nous levons tous avec des cris. Mme Ménard saute de son lit ; je cours après le duc, qui sort malgré ma résistance et en tournant sur moi la porte de l’antichambre. Je rentre dans l’appartement ; je crie à ces femmes éperdues : Je cours chez Beaumarchais, j’empêcherai ce combat. Je pars du voisinage de la Comédie-Italienne, où elle demeure, pour me rendre vis-à-vis de l’hôtel de Condé, où demeure M. de Beaumarchais. Je rencontre son équipage dans la rue Dauphine, près du carrefour de Bussy. Je me jette à la tête des chevaux, je monte à la portière. — Le duc vous cherche pour se battre avec vous ; courez chez moi, je vous dirai le reste. — Je ne le puis, dit-il, je vais à la capitainerie tenir l’audience[14] ; quand elle sera finie, je me rendrai chez vous. — Il part, je suis le carrosse des yeux et je reprends le chemin de ma maison. En montant les marches du pont-Neuf qui confinent au quai de Conti, je me sens arrêté par la basque de mon habit, et je tombe renversé dans les bras du duc de Chaulnes, qui, plus grand et plus robuste que moi, m’enlève comme un oiseau de proie, me jette malgré ma résistance dans un fiacre dont il était descendu, crie au cocher rue de Condé, et me dit en jurant que je lui trouverai Beaumarchais. — De quel droit, lui dis-je, monsieur le duc, vous qui criez sans cesse à la liberté, osez-vous attenter à la mienne ? — Du droit du plus fort. Vous me trouverez Beaumarchais, ou… — Monsieur le duc, je n’ai point d’armes, et vous ne m’assassinerez peut-être pas. — Non, je ne tuerai que ce Beaumarchais, et quand je lui aurai plongé mon épée dans le corps, que je lui aurai arraché le cœur avec les dents, cette Ménard deviendra ce qu’elle pourra. (Je supprime les juremens exécrables dont ces mots étaient accompagnés.) — Je ne sais point où est M. de Beaumarchais, et, quand je le saurais, je ne vous le dirais pas, dans la fureur où vous êtes. — Si vous me résistez, je vous donnerai un soufflet. — Je vous le rendrai, monsieur le duc. — À moi, un soufflet ! — Aussitôt il se jette sur moi, il veut me prendre aux cheveux ; mais, comme je porte perruque, elle lui reste à la main, ce qui rendit cette scène comique, comme je le compris aux éclats de rire que la populace faisait autour de ce fiacre, dont toutes les portières étaient ouvertes. Le duc, qui ne voyait rien, me prend à la gorge et me fait quelques écorchures sur le cou, à l’oreille et au menton. J’arrête ses coups comme je peux et j’appelle la garde à grands cris. Il se modère alors ; je recouvre ma tête et je lui déclare qu’en sortant de chez M. de Beaumarchais, où il me menait de force, je ne le suivrais nulle part que chez un commissaire. Je lui fis toutes les remontrances que le trouble où j’étais et le peu de temps que j’avais me permirent. Bien sûr qu’il ne trouverait pas M. de Beaumarchais chez lui, et non moins sûr que, si on me voyait paraître, ses gens ne manqueraient pas de me dire où était leur maître, j’espérai que, s’ils ne voyaient que le duc seul, son trouble les empêcherait de le lui apprendre. Ainsi, dans le moment où le duc sauta du carrosse pour frapper à la porte de M. de Beaumarchais, j’en sautai aussi et je revins chez moi, mais par des chemins détournés, de peur que le duc ne recourût après moi… »
Je supprime ici la partie de la déposition de Gudin qui ferait double emploi avec ce qui va suivre, et j’en reproduis seulement la fin à cause du ton.
« Voilà, monsieur, dit-il, dans la plus exacte vérité, ce que j’ai vu et ce qui m’est arrivé ; j’en suis d’autant plus fâché que cette affaire me fera vraisemblablement un ennemi irréconciliable de M. le duc de Chaulnes, quoique je n’aie rien fait que pour lui rendre service à lui-même en empêchant le combat, qui, de quelque manière qu’il se fût terminé, n’aurait pu manquer de lui être funeste, surtout dans les malheureuses circonstances où il se trouve. C’est ce que je lui ai dit à lui-même dans ce fiacre où il me retenait. Je suis avec le plus profond respect, monsieur, etc.
Voilà donc Gudin en fuite et le duc de Chaulnes qui frappe à la porte de Beaumarchais. On lui dit imprudemment qu’il est au Louvre, au tribunal de la capitainerie, et il y court, toujours très pressé de le tuer. Beaumarchais, déjà prévenu par Gudin, était en train de juger majestueusement des délits de chasse, lorsqu’il voit entrer son furieux ennemi. C’est lui maintenant qui va prendre la parole ; ce qui suit est extrait d’un mémoire inédit qu’il adressa au lieutenant de police et au tribunal des maréchaux de France.
« J’avais ouvert l’audience de la capitainerie, lorsque j’ai vu arriver M. le duc de Chaulnes avec l’air le plus effaré qu’on puisse peindre, et qui m’est venu dire tout haut qu’il avait quelque chose de pressé à me communiquer et qu’il fallait que je sortisse à l’instant. — Je ne le puis, monsieur le duc, le service du public me force à terminer décemment la besogne commencée. — Je veux lui faire donner un siège ; il insiste ; on s’étonne de son air et de son ton. Je commence à craindre qu’on ne le devine, et je suspends un moment l’audience pour passer avec lui dans un cabinet. Là il me dit, avec toute l’énergie du langage des halles, qu’il veut sur-le-champ me tuer, me déchirer le cœur et boire mon sang, dont il a soif. — Ah ! ce n’est que cela, monsieur le duc, permettez que les affaires aillent avant les plaisirs. — Je veux rentrer ; il m’arrête en me disant qu’il va m’arracher les yeux devant tout le monde si je ne sors pas avec lui. — Vous seriez perdu, monsieur le duc, si vous étiez assez fou pour l’oser. — Je rentre froidement et je lui fais donner un siège. Environné que j’étais des officiers, des gardes, etc., j’opposai, pendant deux heures que dura l’audience, le plus grand sang-froid à l’air pétulant et fou avec lequel il se promenait, troublant l’audience et demandant à tout le monde : En avez-vous encore pour long-temps[16] ? Il tire à part M. le comte de Marcouville, officier qui était à côté de moi, et lui dit qu’il m’attend pour se battre avec moi. M. de Marcouville se rassied d’un air sombre ; je lui fais signe de garder le silence et je continue. M. de Marcouville le dit tout bas à M. de Vintrais, officier de maréchaussée et inspecteur des chasses. Je m’en aperçois ; nouveaux signes de silence de ma part. Je disais : M. de Chaulnes se perd si l’on suppose qu’il vient m’arracher d’ici pour me couper la gorge. L’audience finie, je me mets en habit de ville, et je descends en demandant à M. de Chaulnes ce qu’il me veut et quels peuvent être ses griefs contre un homme qu’il n’a pas vu depuis six mois ? — Point d’explications, me dit-il ; allons nous battre sur-le-champ ou je fais un esclandre ici. — Au moins, lui dis-je, vous me permettrez bien d’aller chez moi prendre une épée. Je n’en ai dans ma voiture qu’une mauvaise de deuil, avec laquelle vous n’exigez apparemment pas que je me défende contre vous.
« — Nous allons passer, me répond-il, chez M. le comte de Turpin, qui vous en prêtera une et que je désire engager à nous servir de témoin. Il saute dans mon carrosse le premier, j’y monte après lui, le sien nous suit. Il me fait l’honneur de m’assurer que, pour le coup, je ne lui échapperai pas, en ornant son style de toutes les superbes imprécations qui lui sont si familières. Le sang-froid de mes réponses le désole et augmente sa rage. Il me menace du poing dans ma voiture. Je lui fais observer que, s’il a le projet de se battre, une insulte publique ne peut que l’éloigner de son but, et que je ne vais pas chercher mon épée pour me battre, en attendant, comme un crocheteur. Nous arrivons chez M. le comte de Turpin, qui sortait. Il monte sur la botte de ma voiture. — M. le duc, lui dis-je, m’entraîne sans que je sache pourquoi : il veut se couper la gorge avec moi ; mais, dans cette aventure étrange, il me fait espérer au moins que vous voudrez bien, monsieur, témoigner de la conduite des deux adversaires. — M. de Turpin me dit qu’une affaire pressée le force à se rendre à l’heure même au Luxembourg, et qu’elle l’y retiendra jusqu’à quatre heures après midi (je ne doutais point que M. le comte de Turpin n’eût pour objet de laisser pendant quelques heures le temps à une tête échauffée de se calmer). Il part. M. de Chaulnes veut m’emmener chez lui jusqu’à quatre heures. — Oh ! pour cela non, monsieur le duc ; de même que je ne voudrais pas me rencontrer seul sur le pré avec vous, à cause du risque d’être accusé par vous de vous avoir assassiné, si vous me forciez à vous blesser par une attaque, je n’irai pas dans une maison dont vous êtes le maître et où vous ne manqueriez pas de me faire faire un mauvais parti. J’ordonne à mon cocher de me mener chez moi. — Si vous y descendez, me dit M. de Chaulnes, je vous poignarde à votre porte. — Vous en aurez donc le plaisir, lui dis-je, car je n’irai pas ailleurs attendre l’heure qui doit me montrer au juste vos intentions. — Force injures dans le carrosse. — Tenez, monsieur le duc, quand on a envie de se battre, on ne verbiage point tant. Entrez chez moi, je vous ferai donner à dîner, et, si je ne parviens pas à vous remettre en votre bon sens d’ici à quatre heures et que vous persistiez à me forcer à l’alternative de me battre ou d’être dévisagé, il faudra bien que le sort des armes en décide. — Mon carrosse arrive à ma porte, je descends, il me suit, et feint d’accepter mon dîner. Je donne froidement mes ordres. Le facteur me remet une lettre, il se jette dessus et me l’arrache devant mon père et tous mes domestiques. Je veux tourner l’affaire en plaisanterie, il se met à jurer. Mon père s’effraie, je le rassure, et j’ordonne qu’on nous porte à dîner dans mon cabinet. Nous montons. Mon laquais me suit, je lui demande mon épée. — Elle est chez le fourbisseur. — Allez la chercher, et, si elle n’est pas prête, apportez-m’en une autre. — Je te défends de sortir, dit M. de Chaulnes, ou je t’assomme ! — Vous avez donc changé de projet ? lui dis-je. Dieu soit loué ! car je ne pourrai pas me battre sans épée. — Je fais un signe à mon valet qui sort. Je veux écrire, il m’arrache ma plume. Je lui représente que ma maison est un hospice que je ne violerai pas, à moins qu’il ne m’y force par de semblables excès. Je veux entrer en pourparler sur la folie qu’il a de vouloir absolument me tuer ; il se jette sur mon épée de deuil qu’on avait posée sur mon bureau et me dit, avec toute la rage d’un forcené et en grinçant les dents, que je ne la porterai pas plus loin. Il tire ma propre épée, la sienne étant à son côté ; il va fondre sur moi. — Ah ! lâche ! m’écriai-je, et je le prends à bras-le-corps pour me mettre hors de la longueur de l’arme, je veux le pousser à ma cheminée pour sonner ; de la main qu’il avait de libre, il m’enfonce cinq griffes dans les yeux et me déchire le visage, qui à l’instant ruisselle de sang. Sans le lâcher, je parviens à sonner, mes gens accourent. — Désarmez ce furieux ! leur criai-je, pendant que je le tiens. — Mon cuisinier, aussi brutal et aussi fort que le duc, veut prendre une bûche pour l’assommer. Je crie plus haut : — Désarmez-le, mais ne lui faites pas de mal ; il dirait qu’on l’a assassiné dans ma maison. — On lui arrache mon épée. À l’instant il me saute aux cheveux et me dépouille entièrement le front. La douleur que je sens me fait quitter son corps que j’embrassais, et de toute la raideur de mon bras je lui assène à plein fouet un grand coup de poing sur le visage. — Misérable ! me dit-il, tu frappes un duc et pair ! — J’avoue que cette exclamation si extravagante pour le moment m’eût fait rire en tout autre temps ; mais, comme il est plus fort que moi et qu’il me prit à la gorge, il fallut bien ne m’occuper que de ma défense. Mon habit, ma chemise sont déchirés, mon visage est de nouveau sanglant. Mon père, vieillard de soixante-seize ans, veut se jeter à la traverse, il a sa part lui-même des fureurs crochetorales du duc et pair ; mes domestiques se mettent à nous séparer. J’avais moi-même perdu la mesure, et les coups étaient rendus aussitôt que donnés. Nous nous trouvons au bord de l’escalier, où le taureau tombe, roule sur mes domestiques et m’entraîne avec lui. Ce désordre horrible le rend un peu à lui-même. Il entend frapper à la porte de la rue : il y court, il voit entrer ce même jeune homme[17] qui m’avait averti le matin dans mon carrosse, il le prend par le bras, le pousse dans la maison et jure que personne n’entrera ni ne sortira que par son ordre jusqu’à ce qu’il m’ait mis en morceaux. Au bruit qu’il fait, le monde s’amasse devant la porte ; une femme de ma maison crie par une fenêtre qu’on assassine son maître. Mon jeune ami, effrayé de me voir défiguré et tout en sang, veut m’entraîner en haut. Le duc ne veut pas le souffrir. Sa rage se ranime, il tire son épée, qui était restée à son côté, car il est à remarquer qu’aucun de mes gens n’avait encore osé la lui ôter, croyant, à ce qu’ils m’ont dit, que c’était un manque de respect qui aurait pu tirer à conséquence pour eux ; il fond sur moi pour me percer, huit personnes se jettent sur lui, on le désarme. Il blesse mon laquais à la tête, mon cocher a le nez coupé, mon cuisinier a la main percée. — L’indigne lâche ! m’écriai-je, c’est pour la seconde fois qu’il vient sur moi qui suis sans armes avec une épée. — Il court dans la cuisine chercher un couteau ; on le suit, on serre tout ce qui peut blesser à mort. Je remonte chez moi. Je m’arme d’une tenaille de foyer. J’allais redescendre, j’apprends un trait qui me prouve à l’instant que cet homme est devenu absolument fou : c’est que, sitôt qu’il ne me voit plus, il entre dans la salle à manger, se met à table tout seul, mange une grande assiettée de soupe et des côtelettes, et boit deux carafes d’eau. Il entend encore frapper à la porte de la rue, court ouvrir, et voit M. le commissaire Chenu, qui, surpris du désordre horrible où il voit tout mon monde, frappé surtout de mon visage déchiré, me demande de quoi il s’agit. — Il s’agit, monsieur, d’un lâche forcené qui est entré ici dans l’intention d’y dîner avec moi, qui m’a sauté au visage dès qu’il a mis le pied dans mon cabinet, a voulu me tuer de ma propre épée, ensuite de la sienne. Vous voyez bien, monsieur, qu’au monde que j’ai autour de moi j’aurais pu le faire mettre en pièces, mais on me l’aurait demandé meilleur qu’il n’est. Ses parens, charmés d’en être débarrassés, ne m’en auraient peut-être pas moins cherché une mauvaise affaire. Je me suis contenu, et, à l’exception de cent coups de poing avec lesquels j’ai repoussé l’outrage qu’il a fait à mon visage et à ma chevelure, j’ai défendu qu’on lui fît aucun mal.
« M. le duc prend la parole et dit qu’il devait se battre à quatre heures avec moi devant M. le comte de Turpin, choisi comme témoin ; il n’avait donc pu attendre jusqu’à l’heure convenue. — Comment trouvez-vous, monsieur, cet homme qui, après avoir fait un esclandre horrible dans ma maison, divulgue lui-même, devant un homme public, sa coupable intention, compromet un officier-général en le nommant comme témoin désigné et détruit d’un seul mot toute possibilité d’exécuter son projet, que cette lâcheté prouve qu’il n’a jamais conçu sérieusement ? — À ces mots, mon forcené, qui est brave à coups de poing comme un matelot anglais, s’élance une cinquième fois sur moi ; j’avais quitté ma tenaille à l’arrivée du commissaire ; réduit à l’arme de la nature, je me défends de mon mieux devant l’assemblée, qui nous sépare une troisième fois. M. Chenu me prie de rester dans mon salon et emmène M. le duc, qui voulait casser les glaces. En cet instant, mon laquais revient avec une épée neuve ; je la prends et je dis au commissaire : Monsieur, je n’ai pas eu le dessein d’un duel[18], je ne l’aurai jamais ; mais, sans accepter de rendez-vous de cet homme, j’irai par la ville attaché sans cesse à cette épée, et, s’il vient m’insulter, comme la publicité qu’il donne à cette horrible aventure prouve de reste qu’il est l’agresseur, je jure que j’en délivrerai, si je puis, le monde qu’il déshonore par ses lâchetés. — L’arme que je tenais alors étant un porte-respect imposant, il s’est retiré sans rien dire dans ma salle à manger, où M. Chenu, l’ayant suivi, a été aussi surpris qu’effrayé de le voir se meurtrir le visage à coups de poing et s’arracher lui-même une poignée de cheveux de chaque main, de rage de n’avoir pu me tuer. M. Chenu l’a enfin déterminé à rentrer chez lui, et il a eu le sang-froid de se faire coiffer par mon laquais qu’il avait blessé. Je suis remonté chez moi pour me faire panser, et lui s’est jeté dans sa voiture. »
Après quelques autres détails qui m’ont paru inutiles à reproduire, Beaumarchais termine ainsi :
« Je n’ai semé ce récit d’aucune réflexion, j’ai dit le fait simplement et même, autant que je l’ai pu, en employant l’expression dont on s’est servi, ne voulant pas donner la moindre atteinte à la vérité en racontant la plus étrange et dégoûtante aventure qui puisse arriver à un homme raisonnable. »
Voici maintenant le rapport du commissaire de police à M. de Sartines ; on y remarquera surtout à la fin, comme un des caractères du temps, avec quelle timidité révérencieuse un magistrat de police, même dans l’exercice de ses fonctions, parle d’un duc et pair qui s’est conduit comme un crocheteur, et semble redouter de s’expliquer sur son compte :
« Vous m’avez demandé un détail de l’affaire arrivée entre M. le duc de Chaulnes et le sieur de Beaumarchais, lequel je ne suis guère en état de pouvoir vous donner bien juste, n’étant arrivé chez ledit sieur de Beaumarchais qu’après le grand bruit. J’y ai trouvé en bas mondit sieur le duc de Chaulnes, son épée cassée, dont il n’avait plus à son côté qu’une partie du fourreau ; il était sans bourse à ses cheveux, ses habit et veste déboutonnés et sans col ; le sieur de Beaumarchais dans un état à peu près semblable et de plus son habit noir déchiré ainsi que sa chemise, sans col ni bourse, et tout échevelé, avec le visage écorché en plusieurs endroits. J’ai engagé ces messieurs à monter en une pièce au premier étage, où étant, ils se sont repris de propos ; se sont dit des choses désagréables et fait réciproquement des reproches assez malhonnêtes en termes fort durs, ce qui a donné lieu à se saisir de nouveau l’un et l’autre et m’a fait craindre les suites fâcheuses qui pouvaient en résulter. J’ai cependant calmé un peu M. le duc en l’engageant de passer dans une autre pièce pour causer ensemble en particulier, ce qu’il a fait sans difficulté. Je lui ai fait des représentations honnêtes sur cette scène, il les a écoutées et s’est rendu à ce que j’ai exigé de lui, c’est-à-dire qu’il ne se passerait rien davantage, ce dont il m’a donné sa parole d’honneur qu’il a tenue ; car, pendant que je suis sorti un demi-quart d’heure environ pour aller en causer avec un cordon rouge qui dînait dans le quartier et que les deux parties m’avaient nommé[19], il s’en est allé de chez ledit sieur de Beaumarchais. L’on répand dans le public que M. le duc de Chaulnes m’a manqué, quoique sachant qui j’étais : ce fait est absolument faux ; je n’ai eu que lieu de me louer des procédés de M. le duc, qui ne m’a même rien dit de désagréable et qui m’a au contraire traité avec beaucoup d’honnêteté en me témoignant même des égards et de la confiance[20]. Je lui dois cette justice en rendant hommage à la vérité. Je suis avec respect, etc.,
On doit être désireux d’entendre le duc de Chaulnes s’expliquer à son tour ; joignons ici la déposition écrite et adressée par lui au tribunal des maréchaux de France. À l’aide de tout ce qui précède, on démêlera facilement dans son récit les points où il dissimule ou dénature les faits. Le style de cette déposition qu’on reproduit textuellement a également son importance comme signe du temps :
« Depuis plus de trois ans, écrit le duc de Chaulnes, j’avais le malheur d’être la dupe du sieur de Beaumarchais, que je croyais mon ami, lorsque des raisons fortes m’engagèrent à l’éloigner. Il me revint plusieurs fois depuis ce temps qu’il tenait de très mauvais propos sur mon compte ; enfin, jeudi dernier, je trouvai le sieur Gudin, l’un de ses amis, chez une femme de ma connaissance ; il eut l’audace[21] de l’assurer, de la part du sieur de Beaumarchais, qu’il n’était pas vrai, ainsi que je l’avais dit, qu’une femme qualifiée se fût plainte de lui[22]. Voulant en éclaircir le démenti qu’il me faisait donner, et de tout (sic) ce qui m’était revenu, je fus chercher le sieur de Beaumarchais chez lui, avec le sieur Gudin, que je fis monter dans le même fiacre que moi pour qu’il n’eût pas le temps de le prévenir. Le sieur de Beaumarchais étant au tribunal de la capitainerie, je m’y rendis, je le pris dans une chambre à part pour lui dire que je voulais une explication. Il en fut si peu question à l’audience que je lui parlai d’une permission de chasse qu’il m’avait promis de me faire avoir à Orly. M. le comte de Marcouville et autres officiers de la capitainerie étaient présens.
« En sortant de la capitainerie, je montai dans sa voiture, et dis au cocher d’aller chez M. de Turpin, ce qui avait trait à l’explication que je voulais avoir. M. de Turpin, qui sortait, nous observa qu’il valait mieux monter dans un fiacre que de rester trois voitures assemblées à sa porte ; qu’au demeurant il était deux heures, et qu’il n’avait qu’une minute à nous donner, parce qu’il était attendu chez l’ambassadeur de l’empereur. Étant monté dans le fiacre, M. de Beaumarchais me dit que, dans tous les cas, je ne pouvais pas lui demander satisfaction, parce qu’il n’avait qu’une épée de deuil ; je lui observai que, s’il en était question[23], je n’étais pas mieux armé que lui, puisque je n’avais qu’une épée du petit Dunkerque, sans garde, que je lui offrirais d’ailleurs de changer, s’il désirait, mais qu’il s’agissait d’abord d’une explication plus ample. M. de Turpin observa de nouveau qu’il était obligé de s’en aller, ce qu’il fit en convenant qu’il viendrait chez moi à quatre heures. Je me rendis avec M. de Beaumarchais chez lui, pour y dîner[24] ; mais à peine fut-il dans sa chambre, qu’il se mit à me dire des injures atroces. Je lui dis qu’il était un malhonnête homme, et qu’il vînt sur-le-champ me faire raison dans la rue ; mais il préféra de me colleter, en appelant quatre de ses gens, qui se jetèrent, ainsi que lui, sur moi, en m’arrachant mon épée[25]. Il fit en même temps demander par sa sœur M. le commissaire Chenu, devant lequel il a bien encore osé avoir l’impudence de me dire à plusieurs reprises que je mentais comme un vilain gueux, et mille autres horreurs semblables. Sorti de chez M. de Beaumarchais, je fus rendre compte à M. de Sartines, et le surlendemain, par son conseil, à M. de La Vrillière. En revenant de Versailles, j’appris que le sieur de Beaumarchais débitait l’histoire d’une façon déshonnête pour moi, disant qu’il m’avait provoqué et que j’avais refusé de le suivre. Pour lever d’une manière positive tous les nuages de cet article, j’ai cru devoir (plusieurs gens graves l’ont cru de même) aller aux foyers des spectacles y dire que M. de Beaumarchais, tenant des propos sur mon honneur et n’étant pas gentilhomme, ne méritait point que je me compromisse comme j’avais fait la veille, mais bien que je le corrigeasse comme un roturier. Depuis cette époque, le sieur de Beaumarchais a été libre quatre jours sans que j’en aie entendu parler. Il aurait été difficile de savoir qu’il était gentilhomme, puisqu’il est fils d’un horloger ; il n’est pas seulement dans l’almanach royal comme secrétaire du roi[26], et l’on n’a même pas su au tribunal, pendant long-temps, s’il en était compétent. En tout, quand la plus grande partie de cette affaire ne pourrait pas se vérifier aussi facilement qu’elle le peut, quand les injures que M. de Beaumarchais a eu l’impudence de me dire devant le commissaire lui-même ne seraient pas une forte présomption pour ce qu’il a dit et fait sans témoins, il me suffirait de rappeler que je n’ai jamais été connu au tribunal, à la police, à Paris, ni dans aucun lieu, pour querelleur, joueur, ou dérangé, pendant que la réputation de M. de Beaumarchais n’est pas, à beaucoup près, aussi entière, puisque, indépendamment de l’insolence la plus reconnue, des bruits les plus incroyables, il essuie dans ce moment un procès criminel pour avoir fait un faux acte. »
Voilà encore de la part du duc de Chaulnes une grossière calomnie, car il savait parfaitement que Beaumarchais n’essuyait pas un procès criminel pour un faux acte, mais qu’il était en procès civil avec le comte de La Blache à l’occasion d’un acte dont ce dernier contestait la sincérité, sans oser même l’attaquer directement en faux. Seulement on voit ici quelle désastreuse influence ce procès La Blache exerçait sur la réputation de Beaumarchais, puisque le duc de Chaulnes ne craint pas, au moment même du procès, de dénaturer les faits d’une manière aussi révoltante. Ce duc, faisant ainsi les honneurs de la moralité de son adversaire, nous oblige de rappeler que lui-même, à cette époque, soutenait contre sa propre mère un procès horriblement scandaleux, que les documens que j’ai sous les yeux prouvent qu’il était aussi débauché et dérangé de toutes manières qu’il était brutal, et qu’après avoir été banni du royaume pour faits de violence, sa vie tout entière ne fut qu’une suite d’actes de même nature.
Cette journée du 11 février ayant été fort orageuse, on serait tenté de supposer assez naturellement que Beaumarchais consacra la soirée à se remettre, à se reposer, et à prendre ses précautions pour le lendemain ; cependant, si j’en crois le manuscrit de Gudin, comme il était le même soir attendu chez un de ses amis pour lire en nombreuse compagnie le Barbier de Séville, il arriva au rendez-vous frais et dispos, au moins moralement, lut sa comédie avec verve, raconta joyeusement les fureurs du duc de Chaulnes, et passa une partie de la nuit à jouer de la harpe et à chanter des séguedilles. « C’est ainsi, dit Gudin, que, dans toutes les circonstances de sa vie, il était entièrement à la chose dont il s’occupait, sans qu’il fût détourné ou par ce qui s’était passé ou par ce qui devait suivre, tant il était sûr de ses facultés et de sa présence d’esprit. Jamais il n’avait besoin de préparation sur aucun point ; son intelligence était toujours entière dans tous les momens, et ses principes n’étaient jamais en défaut. »
Le lendemain matin, Gudin nous montre le père Caron apportant à son fils une vieille épée du temps de sa jeunesse et lui disant : « Vous autres, vous n’avez plus que de mauvaises armes ; en voici une solide, et d’une époque où l’on se battait plus souvent qu’aujourd’hui ; prends-la, et si ce maraud de duc t’approche, tue-le comme un chien enragé. » Cependant le duel n’était plus possible : le duc de Chaulnes vient de nous apprendre lui-même que le surlendemain il avait cru devoir aller au foyer de tous les théâtres déclarer officiellement que, Beaumarchais n’étant pas gentilhomme, il le corrigerait comme un roturier. L’altercation étant ainsi devenue publique, le tribunal des maréchaux de France, juge de ces sortes de cas entre gentilshommes (et, n’en déplaise au duc de Chaulnes, Beaumarchais l’était, on s’en souvient, en vertu de sa quittance), le tribunal des maréchaux de France s’était saisi de l’affaire, et avait envoyé un garde à chacun des deux adversaires.
Dans l’intervalle, le duc de La Vrillière, ministre de la maison du roi, avait mandé Beaumarchais pour lui ordonner d’aller à la campagne pendant quelques jours, et comme celui-ci protestait énergiquement contre un tel ordre, dont l’exécution, sous le coup des menaces du duc de Chaulnes, aurait compromis son honneur, le ministre lui avait ordonné de garder les arrêts chez lui jusqu’à ce qu’il eût rendu compte de l’affaire au roi. C’est dans cet état de choses que le tribunal des maréchaux de France avait successivement appelé devant lui les deux contendans. Beaumarchais n’avait pas eu de peine à prouver que tous ses torts consistaient à être préféré à un duc et pair par une jolie femme jouissant de sa liberté, ce qui n’était pas un crime capital, et, le résultat de l’instruction ayant été défavorable au duc de Chaulnes, ce dernier fut envoyé le 19 février, par lettre de cachet, au château de Vincennes. Le tribunal des maréchaux de France, ayant mandé une seconde fois Beaumarchais, lui déclara qu’il était libre et que ses arrêts étaient levés.
Tout cela était assez juste ; mais Beaumarchais, qui se défiait un peu de la justice humaine, passe chez le duc de La Vrillière pour lui demander si en effet il est libre. Ne le trouvant pas, il lui laisse un mot et va droit chez M. de Sartines pour lui adresser la même question. Le lieutenant de police lui répond qu’il est parfaitement libre ; alors seulement il se considère comme garanti de tout accident et s’aventure sur le pavé de Paris : il avait compté sans son hôte. Le très petit esprit du duc de La Vrillière s’offense de voir le tribunal des maréchaux de France lever au nom du roi des arrêts donnés par lui au nom du roi, et pour apprendre à ce tribunal à faire plus de cas de son autorité, le 24 février, toujours au nom du roi, il expédie Beaumarchais au For-l’Évêque. Peut-être aussi lui fit-on sentir qu’il était indécent qu’un duc et pair fût envoyé à Vincennes, et que le fils d’un horloger en fût quitte pour réparer de son mieux les avaries faites à son visage par le duc et pair.
III. — BEAUMARCHAIS AU FOR-L’ÉVÊQUE.
Voilà donc Beaumarchais enlevé à sa famille, à ses affaires, à son procès, et emprisonné contre toute justice. En d’autres temps, une telle iniquité n’eût point passé inaperçue ; mais le public s’intéressait alors très peu à l’homme qui devait bientôt devenir son idole. « Ce particulier, dit à cette époque le recueil de Bachaumont en parlant de Beaumarchais et de l’aventure que nous racontons, ce particulier fort insolent[27], qui ne doute de rien, n’est point aimé, et, quoique dans cette rixe il ne paraît pas qu’on ait à lui reprocher aucun tort, on le plaint moins qu’un autre des vexations qu’il éprouve. »
La première lettre de Beaumarchais dans sa prison est assez philosophique ; elle est adressée à Gudin :
« En vertu, écrit-il, d’une lettre sans cachet[28] appelée lettre de cachet, signée Louis, plus bas Phelippeaux, recommandée Sartines, exécutée Buchot et subie Beaumarchais, je suis logé, mon ami, depuis ce matin au For-l’Évêque, dans une chambre non tapissée, à 2,160 livres de loyer, où l’on me fait espérer qu’hors le nécessaire je ne manquerai de rien. Est-ce la famille du duc, à qui j’ai sauvé un procès criminel, qui me fait emprisonner ? Est-ce le ministère, dont j’ai constamment suivi ou prévenu les ordres ? Sont-ce les ducs et pairs, avec qui je ne puis jamais avoir rien à démêler ? Voilà ce que j’ignore ; mais le nom sacré du roi est une si belle chose, qu’on ne saurait trop le multiplier et l’employer à propos. C’est ainsi qu’en tout pays bien policé l’on tourmente par autorité ceux qu’on ne peut inculper avec justice. Qu’y faire ? Partout où il y a des hommes, il se passe des choses odieuses, et le grand tort d’avoir raison est toujours un crime aux yeux du pouvoir, qui veut sans cesse punir et ne jamais juger. »
Tandis que les deux rivaux sont sous les verrous, occupés tous deux à réfléchir aux inconvéniens des liaisons disproportionnées, revenons un peu à Mlle Ménard. En apprenant l’accès de fureur du duc de Chaulnes, cette belle Hélène était allée se jeter aux pieds de M. de Sartines, en implorant sa protection. Le galant magistrat l’avait rassurée de son mieux ; le lendemain elle lui écrit la lettre suivante :
« Quelque témoignage de bonté que vous m’ayez fait connaître en me prenant sous votre protection, je ne peux vous dissimuler mes alarmes et mes craintes ; le caractère de l’homme violent que je fuis m’est trop connu pour ne me pas faire redouter un avenir qui serait aussi funeste à lui qu’à moi pour m’y soustraire et le sauver de son jaloux transport, je suis absolument résolue de me mettre au couvent. Quel que soit mon asile, j’aurai l’honneur de vous en informer. J’ose vous supplier qu’il soit pour lui inaccessible. Je joindrai cet important bienfait à la reconnaissance, dont je suis d’avance pénétrée pour vos offres de services. J’y compte si fort, qu’à l’abri de votre nom et sous votre autorité j’ai déjà placé ma fille au couvent de la Présentation, où dès ce soir M. l’abbé Dugué m’a fait le plaisir de la conduire. Daignez, monsieur, protéger également la mère et l’enfant, qui, après Dieu, mettent toute leur confiance en vous, confiance qui n’a d’égale que les sentimens respectueux avec lesquels j’ai l’honneur d’être, monsieur, votre très humble et très obéissante servante,
Le jour suivant, nouvelle lettre où Mlle Ménard persiste dans son projet de couvent. « Lasse, dit-elle, d’être sa victime (du duc de Chaulnes) et de me donner en jouet au public, je me fortifie de plus en plus dans la résolution de prendre le couvent pour partage. » Seulement, en relisant sa lettre, Mlle Ménard éprouve un petit scrupule de conscience, et elle ajoute au bas de la page, au moyen d’un renvoi correspondant au mot partage, ces mots : Du moins pour quelque temps ; on voit qu’elle craint que M. de Sartines ne s’exagère sa vocation.
Ce magistrat mande l’abbé Dugué, dont il vient d’être question, et le charge de trouver un couvent pour Mlle Ménard. Le soir même, l’abbé lui rend compte de sa mission dans une lettre qui m’a paru intéressante. Cette lettre n’est point d’un prêtre frivole, tel qu’on se figure volontiers un abbé du XVIIIe siècle employé par M. de Sartines dans une affaire de ce genre ; elle est d’un brave homme très respectable, très bon, très naïf, passablement embarrassé du rôle qu’on lui fait jouer, ayant peur de compromettre son caractère et craignant aussi beaucoup, comme Gudin, comme le commissaire de police, de s’attirer l’inimitié d’un duc et pair, d’autant que le duc de Chaulnes n’est pas encore en prison au moment où l’abbé Dugué écrit à M. de Sartines en ces termes :
« Au sortir de votre audience, je me suis rendu au couvent de la Présentation pour voir, selon vos ordres, si on y pouvait trouver retraite pour la mère et l’enfant. Je parle de Mlle Ménard et de sa petite que j’avais conduites à ce monastère jeudi soir, selon ce que j’ai eu l’honneur de vous informer samedi dernier. Il m’a été impossible de réussir ; il n’y avait absolument aucune place, et certes qu’à votre recommandation, et vu la bonne volonté de Mme la prieure pour cette demoiselle, on l’y aurait bien reçue, s’il y avait eu lieu. À ce défaut, je suis retourné aux Cordelières de la rue de l’Oursine, faubourg Saint-Marceau, et, après bien des questions qu’il m’a fallu éluder et essuyer, on m’envoya, relativement à ma demande, hier, dimanche matin, une lettre d’acceptation, en conséquence de laquelle j’ai, cejourd’hui, vers onze heures du matin, conduit Mlle Ménard audit couvent des Cordelières. Oserai-je vous l’avouer, monseigneur ? Innocemment compromis dans cette catastrophe qui peut avoir bien de fâcheuses suites, et entendant parler plus que je ne voudrais des violentes résolutions de celui que fuit Mlle Ménard, je crains beaucoup pour moi-même que mon trop de bon cœur ne m’attire à ce sujet de bien disgracieux reproches. Une seule chose pourrait me rassurer, ce serait de savoir qu’il fût possible d’empêcher M. le duc de Ch… ou M. de B… et ses agens, ou leurs agens, car ils en ont, d’aborder cet asile, du moins pour quelque temps, car, vu les difficultés qu’on m’a faites d’accepter cette demoiselle, que le désir de m’en voir quitte m’a fait nommer ma parente et annoncer exempte d’allure, me réclamant moi-même de gens en place dans mon état, que dira-t-on, si, par la violence ou l’imprudence même de l’un ou l’autre de ces intéressés, ces religieuses voient que c’est une maîtresse entretenue que je leur ai procurée ?… Tandis que si ces téméraires rivaux pouvaient la laisser tranquille, ce repos, joint à la douceur de la figure et plus encore du caractère de cette affligée recluse, faisant tout en sa faveur dans cette maison d’ordre, m’empêcherait d’y passer non-seulement pour menteur, mais même pour l’auteur d’une conduite irrégulière. J’ai laissé ces dames très bien disposées pour leur nouvelle pensionnaire ; mais, je le répète, quelle disgrâce pour elle et pour moi, qui me suis si fort avancé, si la jalousie ou l’amour, également hors de place, allaient jusqu’à son parloir faire exhaler leurs transports scandaleux ou leurs soupirs mésédifians[30] !
« Mlle Ménard m’avait chargé de vous faire quelques autres détails relatifs à elle ; une lettre ne peut les contenir ; cette présente n’est déjà que trop importune. Si ce qui la concerne dans les occurrences présentes vous intéresse assez pour m’autoriser derechef à vous parler d’elle, daignez, dans ce cas, m’assigner le moment d’y satisfaire. En obéissant à vos ordres, je répondrai à la singulière confiance qu’elle a prise en moi. Puissent mes faibles services, sans que je sois compromis, adoucir ses peines ! Je suis avec respect, monseigneur, votre très humble et très obéissant serviteur,
« prêtre, cloître Notre-Dame. »
Cette affligée recluse, comme dit le bon abbé Dugué, n’était point faite pour la vie de couvent ; elle avait à peine goûté ce genre d’existence pendant quinze jours, que déjà elle éprouvait le besoin de varier ses impressions, et elle rentrait brusquement dans le monde, rassurée d’ailleurs par la solidité des murailles du château de Vincennes, qui la séparaient du duc de Chaulnes.
Ici intervient Beaumarchais, qui avait approuvé le projet de couvent, et qui, placé lui-même sous les verrous du For-l’Évêque, trouve mauvais que Mlle Ménard n’ait point de penchant pour la réclusion. Il lui adresse la lettre suivante par l’intermédiaire de M. de Sartines :
« Il ne convient à personne de gêner la liberté d’autrui, mais les conseils de l’amitié doivent augmenter de poids en raison de leur désintéressement. J’apprends, mademoiselle, que vous êtes sortie du couvent aussi inopinément que vous y étiez entrée. Quels peuvent être vos motifs pour une action qui paraît imprudente ? Avez-vous craint que quelque abus d’autorité ne vous y retînt ? Réfléchissez, je vous prie, si vous êtes plus à l’abri dans votre maison d’être enlevée pour être mise au couvent, si quelque ennemi puissant se croit assez fort pour vous y retenir ? Les inquiétudes qu’on vous donnerait à ce sujet sont illusoires ou intéressées. De quel bonheur est-il donc pour vous de courir sans cesse d’un lieu à un autre, et quel attrait cet horrible logis où vous avez tant souffert a-t-il pour vous ? Dans la situation pénible de vos affaires, ayant peut-être épuisé votre bourse à payer d’avance un quartier de pension et à vous faire meubler un appartement de couvent, devez-vous tripler sans nécessité vos dépenses, et la retraite volontaire où la frayeur et le chagrin vous avaient conduite n’est-elle pas un asile cent fois plus convenable en ces premiers momens de trouble que l’horrible demeure dont vous devriez désirer d’être à cent lieues ? On dit que vous pleurez ! De quoi pleurez-vous ? Êtes-vous la cause du malheur de M. de Chaulnes et du mien ? Vous n’en êtes que le prétexte, et si, dans cette exécrable aventure, quelqu’un a des grâces à rendre au sort, c’est vous qui, sans avoir aucun reproche à vous faire, avez recouvré une liberté que le plus injuste des tyrans et des fous s’était arrogé le droit d’envahir. Je devrais bien faire entrer en compte ce que vous devez à ce bon et digne abbé Dugué, qui, pour vous servir, a été obligé de dissimuler votre nom et vos peines dans le couvent où vous avez été reçue sur sa parole. Votre sortie, qui a l’air d’une incartade, ne le compromet-elle pas auprès de ses supérieurs en lui donnant l’air de s’être mêlé d’une noire intrigue, lui qui n’a mis dans tout ceci que douceur, zèle et compassion pour vous ? Vous êtes honnête et bonne, mais tant de secousses redoublées peuvent avoir jeté un peu de désordre dans vos idées. Il serait bien à propos que quelqu’un de sage se fît un devoir de vous montrer votre situation juste comme elle est, non heureuse, mais douce. Croyez-moi, ma chère amie, retournez dans le couvent où l’on dit que vous vous êtes fait chérir. Pendant que vous y serez, rompez le ménage inutile et dispendieux que vous tenez contre toute raison : le projet qu’on vous suppose de remonter au théâtre est fou ; il ne faut vous occuper qu’à tranquilliser votre tête et rétablir votre santé. Enfin, mademoiselle, quelles que soient vos idées pour l’avenir, elles ne peuvent ni ne doivent m’être indifférentes. Je dois en être instruit, et j’ose vous dire que je suis peut-être le seul homme dont vous puissiez accepter des secours sans rougir. Plus il sera prouvé par votre séjour au couvent que nous n’avons pas de liaisons intimes, et plus je serai en droit de me déclarer votre ami, votre protecteur, votre frère et votre conseil.
Cependant Beaumarchais se résigna bientôt à voir Mlle Ménard jouir de sa liberté ; elle lui était plus utile qu’au couvent, car elle sollicitait vivement pour lui, et il paraît qu’elle n’était pas sans avoir acquis un certain crédit sur M. de Sartines.
Quant à Beaumarchais, que nous avons vu le premier jour prendre sa position assez philosophiquement, il était horriblement tourmenté. Cet emprisonnement, qui tombait au milieu de son procès contre le comte de La Blache, lui faisait un tort affreux ; son adversaire, profitant de la circonstance, travaillait sans relâche à le noircir auprès de chaque juge, multipliait les démarches, les recommandations, les sollicitations, et pressait ardemment la décision du procès, tandis que le malheureux prisonnier, dont la fortune et l’honneur étaient engagés dans cette affaire, ne pouvait pas même obtenir la permission de sortir pendant quelques heures pour voir à son tour les juges. M. de Sartines lui témoignait la plus grande bienveillance, mais il ne pouvait qu’adoucir sa captivité, sa liberté dépendant du ministre. Beaumarchais avait commencé par plaider sa cause auprès du duc de La Vrillière en citoyen injustement emprisonné. Il lui envoyait mémoires sur mémoires, prouvant surabondamment qu’il n’avait aucun tort ; il demandait le pourquoi de sa détention, et quand M. de Sartines le faisait avertir amicalement que ce ton ne le mènerait à rien, il répondait avec fierté : « La seule satisfaction des gens persécutés est de se rendre témoignage qu’ils le sont injustement. »
En attendant, le jour du jugement du procès La Blache approchait ; aux demandes de M. de Sartines sollicitant pour Beaumarchais la permission de sortir quelques heures par jour, le duc de La Vrillière répondait : « Cet homme est trop insolent ; qu’il fasse suivre son affaire par son procureur ! » Et Beaumarchais, désolé et furieux, écrivait à M. de Sartines :
« Il est bien prouvé pour moi maintenant qu’on veut que je perde mon procès, s’il est perdable ou seulement douteux ; mais je vous avoue que je ne m’attendais pas à l’observation dérisoire de M. le duc de La Vrillière de faire solliciter mon affaire par mon procureur, lui qui sait aussi bien que moi que cela même est défendu aux procureurs. Ah ! grands dieux[31] ! ne peut-on perdre un innocent sans lui rire au nez ? Ainsi, monsieur, j’ai été grièvement insulté, et l’on m’a dénié justice, parce que mon adversaire est de qualité ; j’ai été mis en prison, et l’on m’y retient, parce que j’ai été insulté par un homme de qualité ! l’on va jusqu’à trouver mauvais que je fasse revenir le public des fausses impressions qu’il a reçues, pendant que les gazettes impudentes des Deux-Ponts et de Hollande me déshonorent indignement pour servir mon adversaire de qualité. Peu s’en est fallu qu’on ne m’ait dit que j’étais bien insolent d’avoir été outragé de toutes les façons possibles par un homme de qualité ; car que veut dire la phrase dont tous mes solliciteurs sont payés : « Il a mis trop de jactance dans cette affaire ? » Pouvais-je faire moins que demander justice et prouver par la conduite de mon adversaire que je n’avais nul tort ? Quel prétexte pour perdre et ruiner un homme offensé, que de dire : « Il a trop parlé de son affaire, » comme s’il m’était possible de parler d’autre chose ! Recevez mes actions de grâces, monsieur, de m’avoir fait parvenir ce refus et cette observation de M. le duc de La Vrillière, et, pour le bonheur de ce pays, puisse votre pouvoir égaler un jour votre sagesse et votre intégrité ! Les malheureux ne feront plus de pareils plaidoyers. Ma reconnaissance égale le profond respect avec lequel je suis, etc.,
J’ai dit que Mlle Ménard sollicitait pour lui. Donnons encore à ce sujet une lettre de Beaumarchais à M. de Sartines assez curieuse pour les détails et pour le ton :
« M. le duc de La Vrillière disait à Choisy, la semaine passée, que je devais savoir pourquoi je suis en prison, puisqu’il me l’a mandé dans sa lettre. La vérité est que je n’ai reçu ni lettre ni billet de personne au sujet de ma détention. Permis à moi d’en deviner, si je puis, le motif, selon l’usage de l’inquisition romaine.
« Mme Ménard m’a seulement fait dire hier, par un de mes amis, que vous aviez bien voulu lui promettre de tenter un nouvel effort en ma faveur, dimanche, auprès du ministre ; mais la façon mystérieuse dont cette annonce m’a été faite m’en ferait presque douter, car la bonne petite y met toutes les gentilles et puériles mignardises dont son sexe assaisonne les moindres bienfaits. À l’en croire, il lui faudrait un ordre exprès pour me voir, des témoins pour l’accompagner, des permissions pour m’écrire, et même des précautions pour oser correspondre avec moi par un tiers. À travers tout cela, cependant, agnosco veteris vestigia flammæ ; je ne puis m’empêcher de sourire à ce mélange d’enfantillage et d’aimable intérêt. Vouloir me persuader que le ministre me fait la grâce de porter une sévère attention jusque sur mes liaisons d’amitié ! Un joueur de paume, en pelotant, s’informe-t-il de quoi l’intérieur des balles est composé ?
« Quoi qu’il en soit, monsieur, je vous réitère mes vives instances de remettre sous les yeux du ministre le tort affreux que peut me faire le défaut de sollicitation personnelle dans mon procès La Blache, et je vous fais mes plus sincères remerciemens, si vous avez, en effet, eu la bonté de le promettre à Mme Ménard.
« J’ose espérer encore que vous voudrez bien ne pas faire connaître à cette excellente petite femme que je vous ai instruit de l’importance qu’elle prétend qu’on attache à ses démarches frivoles dans une affaire aussi grave, et où il ne s’agit pas moins que de la détention d’un citoyen insulté, grièvement insulté, plaignant, non jugé, que l’autorité jette en prison, y laisse morfondre et se ruiner.
« Plus cette aimable enfant s’efforce à me le faire croire, moins elle me pardonnerait d’en douter, surtout de vous en entretenir, et, comme dit Ovide ou Properce, nullæ sunt inimicitiæ nisi amoris acerbæ ; mais je m’aperçois qu’en la blâmant je fais comme elle, et que je mêle indiscrètement de petites choses aux sollicitations les plus sérieuses. Je m’arrête, et je suis avec le plus profond respect, monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur,
Cette correspondance, où Beaumarchais associe Ovide, Properce et Mlle Ménard à la défense de ses droits de citoyen, amusait sans doute M. de Sartines, mais elle n’avançait en rien les affaires du prisonnier. Ce que le duc de La Vrillière exigeait avant tout de lui, c’est qu’il cessât d’être insolent, c’est-à-dire de demander justice, et qu’il se décidât à demander pardon. Le prisonnier avait tenu bon pendant près d’un mois, jusqu’au 20 mars, lorsqu’il reçoit ce même jour une longue lettre sans signature, écrite par un homme qui paraît s’intéresser beaucoup à lui et qui s’efforce de lui faire comprendre que sous un gouvernement absolu, quand on a encouru la disgrâce d’un ministre, que ce ministre vous tient en prison, et qu’on a le plus grand intérêt à sortir de prison, il ne s’agit pas de plaider en citoyen opprimé, mais de subir la loi du plus fort et de parler en suppliant. Que fera Beaumarchais ? Il est à la veille de perdre le procès le plus important pour sa fortune et son honneur ; sa liberté est entre les mains d’un homme peu estimable par lui-même, car le duc de La Vrillière est un des ministres les plus justement dédaignés par l’histoire, mais la situation est telle que cet homme dispose à son gré de sa destinée. Beaumarchais se résigne enfin et s’humilie. Le voici à l’état de suppliant.
« L’affreuse affaire de M. le duc de Chaulnes est devenue pour moi un enchaînement de malheurs sans fin, et le plus grand de tous est d’avoir encouru votre disgrâce ; mais si, malgré la pureté de mes intentions, la douleur qui me brise a emporté ma tête à des démarches qui aient pu vous déplaire, je les désavoue à vos pieds, monseigneur, et vous supplie de m’en accorder un généreux pardon. Ou, si je vous parais mériter une plus longue prison, permettez-moi seulement d’aller pendant quelques jours instruire mes juges au palais dans la plus importante affaire pour ma fortune et mon honneur, et je me soumets après le jugement, avec reconnaissance, à la peine que vous m’imposerez. Toute ma famille en pleurs joint sa prière à la mienne. Chacun se loue, monseigneur, de votre indulgence et de la bonté de votre cœur. Serai-je le seul qui vous ait vainement imploré ? Vous pouvez d’un seul mot combler de joie une foule d’honnêtes gens, dont la vive reconnaissance égalera le très profond respect avec lequel nous sommes tous, et moi particulièrement, monseigneur, votre, etc.,
Le duc de La Vrillière est satisfait dans sa mesquine vanité ; aussi la réponse ne se fait pas attendre. Le lendemain 22 mars, le ministre envoie à M. de Sartines l’autorisation de laisser sortir Beaumarchais dans la journée, sous la conduite d’un agent de police, à la condition pour lui de rentrer chaque jour au For-l’Évêque pour prendre ses repas et coucher.
Si, par hasard, on ne trouvait pas Beaumarchais assez héroïque, je ferais remarquer que le duc de Chaulnes, prisonnier à Vincennes et dont la correspondance est également sous mes yeux, ne l’est pas davantage. Par une coïncidence assez bizarre, lui aussi a un procès à suivre, des affaires à régler, et ses lettres au duc de La Vrillière sont aussi lamentables que celles de Beaumarchais. On lui permet également de sortir sous la conduite d’un agent de police, à la condition qu’il laissera en paix son rival et qu’il n’ira pas voir Mlle Ménard malgré elle. C’est M. de Sartines qui est chargé de surveiller tous ces graves intérêts, et c’est à lui qu’aboutissent également les billets facétieux de Beaumarchais et les soupirs mésédifians du duc de Chaulnes.
Puisque ce duc s’est d’abord présenté à nous sous un aspect fâcheux, il est juste qu’avant de le quitter pour toujours, nous lui tenions compte de ce qui peut se rencontrer de bon en lui. Il battait, il est vrai, Mlle Ménard, il arrachait la perruque de Gudin et il se gourmait avec Beaumarchais ; tout cela n’est pas très aristocratique, mais voici deux billets de lui adressés à M. de Sartines, où l’on peut découvrir un fonds de résignation triste et de générosité qui nous réconcilie un peu avec cet être violent et sauvage :
« J’ai appris, monsieur, en rentrant, où était Mme Ménard. Je vous tiendrai parole et n’irai la voir que de son consentement. Je vous promets d’ailleurs qu’il n’arrivera rien entre M. de Beaumarchais et moi, si vous voulez bien lui faire dire de s’en tenir à la distance où il s’en est volontairement tenu depuis deux jours. Je compte d’ailleurs m’arranger pour partir dans un mois ou six semaines. J’espère que Mme Ménard voudra bien attendre jusque-là pour vivre avec M. de Beaumarchais et ne me faire annoncer cette nouvelle que par vous, si c’est son intention permanente d’après ce qui se passera dans l’intervalle.
« J’ai l’honneur d’être véritablement, monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur,
Le second billet prouve, en même temps que la générosité peut-être un peu intéressée du duc, l’extrême complaisance de M. de Sartines, transformé en facteur de la poste à l’usage de Mlle Ménard.
« Vous avez bien voulu, monsieur, me rendre les services qui ont dépendu de vous ; oserais-je vous demander encore celui de faire passer cette lettre à Mme Ménard ? Celle du duc de Luxembourg avait pour objet d’assurer son sort, celle-ci a pour but de l’en instruire directement. L’inquiétude sur le sort d’une amie bien tendre est un trop grand malheur à ajouter à ceux qui m’accablent pour ne pas espérer que vous y aurez égard et que vous me donnerez cette marque d’amitié, qui serait faite pour accroître, s’il se pouvait, ma reconnaissance et le très parfait attachement avec lequel j’ai l’honneur d’être, monsieur, etc.,
Quelque lecteur curieux demandera peut-être ce qu’est devenue la belle dame qui causa cette grande querelle. J’avouerai humblement que je n’en sais rien. Mlle Ménard disparaît des papiers de Beaumarchais, qui avait bien autre chose à faire que de songer, pour employer les termes du duc de Chaulnes, à vivre avec elle. Quelques feuilles à la main d’une date postérieure de beaucoup à celle-ci et qui sont tombées sous mes yeux en parlent comme d’une femme qui aurait fini par mériter complètement la qualification un peu sévère que lui donne La Harpe sans la connaître ; mais, comme ces feuilles à la main ne sont point des articles de foi, nous laisserons Mlle Ménard dans la nuance moyenne entre l’honnête femme et la courtisane que lui assigne avec une précision mathématique cet excellent abbé Dugué.
Revenons à Beaumarchais, qui profite de sa demi-liberté pour aller, comme c’était d’usage alors, solliciter ses juges ; mais, avant de le montrer perdant son procès, qu’on me permette d’extraire encore de son dossier de prison un petit incident assez gracieux où il figure très agréablement. J’ai dit ailleurs qu’il était en rapports d’intimité avec M. Le Normand d’Étioles, le mari de Mme de Pompadour, qui, après la mort de sa première femme, s’était remarié et avait un enfant charmant de six ans et demi. Ce petit garçon, nommé Constant, aimait beaucoup Beaumarchais ; en apprenant que son ami était en prison, il lui écrit spontanément ce billet :
« Je vous envoie ma bourse, parce que dans une prison on est toujours malheureux. Je suis bien fâché que vous êtes en prison. Tous les matins et tous les soirs je dis un Ave Maria pour vous. J’ai l’honneur d’être, monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur,
Beaumarchais répond sur-le-champ à la mère et à l’enfant deux lettres où se montre tout ce qu’il y a en lui de sensibilité, de délicatesse et de bonhomie. Voici d’abord sa lettre à Mme Le Normand :
« Je vous remercie bien sincèrement, madame, de m’avoir fait parvenir la lettre et la bourse de mon petit ami Constant. Ce sont les premiers élans de la sensibilité d’une jeune ame qui promet d’excellentes choses. Ne lui rendez pas sa propre bourse, afin qu’il ne puisse pas en conclure que tout sacrifice porte cette espèce de récompense ; il lui sera bien doux un jour de la voir en vos mains comme une attestation de la tendre honnêteté de son cœur généreux. Dédommagez-le d’une façon qui lui donne une idée juste de son action sans qu’il puisse s’enorgueillir de l’avoir faite ; mais je ne sais ce que je dis, moi, de joindre mes observations à des soins capables d’avoir fait germer et développer une aussi grande qualité que la bienfaisance dans l’âge où il n’y a d’autre moralité que de tout rapporter à soi. Recevez mes remerciemens et mes complimens. Permettez que M. l’abbé Leroux[32] les partage ; il ne se contente pas d’apprendre à ses élèves à décliner le mot vertu, il leur en inculque l’amour ; c’est un homme plein de mérite et plus propre qu’aucun autre à bien seconder vos vues. Cette lettre et cette bourse m’ont causé une joie d’enfant à moi-même. Heureux parens ! vous avez un fils capable à six ans de cette action. Et moi aussi j’avais un fils, je ne l’ai plus ! et le vôtre vous donne déjà de tels plaisirs ! Je les partage de tout mon cœur, et je vous prie de continuer à aimer un peu celui qui est la cause de cette charmante saillie de notre petit Constant. On ne peut rien ajouter au respectueux attachement de celui qui s’honore d’être, madame, etc. »
Voici maintenant la réponse au petit Constant :
« Mon petit ami Constant, j’ai reçu avec bien de la reconnaissance votre lettre et la bourse que vous y avez jointe ; j’ai fait le juste partage de ce qu’elles contiennent selon les besoins différens des prisonniers mes confrères, et de moi, gardant pour votre ami Beaumarchais la meilleure part, je veux dire les prières, les Ave Maria dont certes j’ai grand besoin, et distribuant à de pauvres gens qui souffrent tout l’argent que renfermait votre bourse. Ainsi, ne voulant obliger qu’un seul homme, vous avez acquis la reconnaissance de plusieurs ; c’est le fruit ordinaire des bonnes actions comme la vôtre.
« Bonjour, mon petit ami Constant.
Tel est l’homme que le comte de La Blache appelait charitablement un monstre achevé, une espèce venimeuse dont on doit purger la société, et, au moment où le comte parlait ainsi, son opinion était presque universellement adoptée. C’est en vain que Beaumarchais, suivi de son garde et rentrant chaque soir en prison, passait la journée à courir chez ses juges : le discrédit alors attaché à son nom le suivait partout.
Sous l’influence de ce discrédit et sur le rapport d’un conseiller nommé Goëzman, le parlement décida enfin entre lui et M. de La Blache, et rendit, le 6 avril 1773, un jugement étrange au point de vue du droit, car ce jugement, réformant celui du tribunal de première instance, déclarait nul et de nul effet un acte fait librement entre deux majeurs, sans qu’il soit besoin, disait l’arrêt, de lettres de rescision[33], c’est-à-dire que, la question de dol, de surprise ou d’erreur étant écartée, Beaumarchais se trouvait indirectement déclaré faussaire, quoiqu’il n’y eût contre lui aucune inscription de faux. Et pour qu’il n’existât aucun doute sur le sens de l’arrêt, voici comment l’expliquait plus tard le juge Goëzman, qui l’avait fait rendre, et qui va devenir bientôt l’adversaire personnel de Beaumarchais : « Le parlement, disait-il, a jugé par là non pas précisément que les engagemens que cet écrit paraît renfermer à la charge du sieur Paris Du Verney sont l’effet du dol, de la surprise et de l’erreur, mais qu’ils ne sont absolument point du fait du sieur Du Verney, en un mot que l’écrit qui se trouve au-dessus de sa signature a été fabriqué sans qu’il y ait eu aucune part, et comme le sieur Caron convient que cet écrit est entièrement de sa main, il s’ensuit que l’on a jugé qu’il était le fabricateur d’un acte faux. » En même temps que cet arrêt déshonorait Beaumarchais, il portait une rude atteinte à sa fortune. Le parlement n’avait cependant pas osé adjuger à M. de La Blache, comme il le demandait, tout le passif de l’arrêté de comptes déclaré nul : l’iniquité eût été par trop criante ; mais il condamnait Beaumarchais à payer les 56,300 livres de créances annulées par l’arrêté de comptes, les intérêts de ces créances depuis cinq ans et les frais du procès. Beaumarchais exagère un peu, dans ses mémoires contre Goëzman, quand il dit que le procès lui coûtait 50,000 écus ; il lui coûtait moins, mais assez pour l’écraser, d’autant qu’au même moment où le comte de La Blache faisait saisir tous ses revenus, d’autres prétendus créanciers, aussi mal fondés que lui, mais alléchés par son succès, unissaient leurs poursuites aux siennes, et Beaumarchais, obligé de faire face à tout, de nourrir son père, ses sœurs, ses nièces, demandait en vain à grands cris qu’on lui ouvrît les portes de sa prison.
« Je suis au bout de mon courage, écrivait-il le 9 avril 1773 à M. de Sartines. Le bruit public est que je suis entièrement sacrifié ; mon crédit est tombé, mes affaires dépérissent ; ma famille, dont je suis le père et le soutien, est dans la désolation. Monsieur, j’ai fait le bien toute ma vie sans faste, et j’ai toujours été déchiré par les méchans. Si l’intérieur de ma famille vous était connu, vous verriez que, bon fils, bon frère, bon mari et citoyen utile, je n’ai rassemblé que des bénédictions autour de moi, pendant qu’on me calomniait sans pudeur au loin. Quelque vengeance qu’on veuille prendre de moi pour cette misérable affaire de Chaulnes, n’aura-t-elle donc pas de bornes ? Il est bien prouvé que mon emprisonnement me coûte 100,000 francs. Le fond, la forme, tout fait frémir dans cet inique arrêt, et je ne puis m’en relever tant qu’on me retiendra dans une horrible prison. J’ai des forces contre mes propres maux ; je n’en ai point contre les larmes de mon respectable père, âgé de soixante-seize ans, qui meurt de chagrin de l’abjection où je suis tombé ; je n’en ai plus contre la douleur de mes sœurs, de mes nièces, qui sentent déjà l’effroi du besoin à venir par l’état où ma détention a jeté ma personne et le désordre où cela plonge mes affaires. Toute l’activité de mon âme tourne aujourd’hui contre moi, ma situation me tue, je lutte contre une maladie aiguë, dont je sens les avant-coureurs par la privation du sommeil et le dégoût de toute espèce d’aliment. L’air de ma prison est infect et détruit ma misérable santé. »
Il n’y a, on le voit, nulle exagération dans les pages éloquentes des mémoires contre Goëzman où plus tard Beaumarchais peint sa situation à cette époque ; elles ne sont que la reproduction plus ornée des plaintes que cette situation lui arrache ici.
Le ministre La Vrillière se laisse enfin toucher, et le 8 mai 1773, après deux mois et demi d’une détention sans cause, il rend au prisonnier sa liberté. C’est ici que de ce procès perdu sort tout à coup un nouveau, un plus terrible procès, qui devait achever la ruine de Beaumarchais, et qui le sauve, qui le fait passer en quelques mois de l’état d’abjection et de malheur où, pour employer ses propres expressions, il se faisait honte et pitié à lui-même, à l’état de triomphateur d’un parlement et de favori d’une nation. « Il était, dit Grimm, l’horreur de tout Paris il y a un an ; chacun, sur la parole de son voisin, le croyait capable des plus grands crimes : tout le monde en raffole aujourd’hui. » Comment s’opéra ce revirement de l’opinion ? C’est ce que nous aurons à expliquer.
- ↑ Voyez les livraisons du 1er et du 15 octobre, et celle du 1er novembre.
- ↑ Ceci a trait au désir de Du Verney de résilier la société pour l’exploitation de la forêt de Chinon, désir auquel Beaumarchais accédait, mais en faisant ses conditions.
- ↑ À la vérité, l’avocat expliquait cette prolixité du style de l’acte en disant que le rédacteur, ayant soustrait un blanc-seing, avait été obligé de remplir deux pages pour arriver jusqu’à la signature de Du Verney ; mais si Beaumarchais avait été capable d’une pareille action, comme le tableau placé sur la troisième page de la feuille double était parfaitement inutile à la validité du règlement de comptes, rien ne l’aurait empêché de se servir d’une feuille simple, et, en écrivant son acte sur la page même dont l’extrémité portait la signature de Du Verney, il n’aurait eu qu’une page à remplir.
- ↑ En sa qualité de premier gentilhomme de la chambre du roi.
- ↑ Quelques feuilles du temps écrivent Mesnard ; mais la demoiselle en question, dont nous avons l’honneur de posséder des autographes, signe Ménard. Nous écrirons donc son nom comme elle l’écrivait elle-même.
- ↑ Je demande pardon aux lecteurs délicats sur le choix des termes de citer textuellement les mots de Grimm et quelques autres un peu plus loin. Ces citations ont aussi leur physionomie historique, surtout si l’on veut bien se souvenir que les comptes-rendus de Grimm faisaient les délices d’une foule de princes et de princesses qui les payaient fort cher.
- ↑ Nous verrons tout à l’heure un respectable abbé modifier un peu ce portrait de Grimm, et nous apprendre que la douceur était le caractère distinctif de la physionomie de Mlle Ménard.
- ↑ Correspondance littéraire, juin, 1770.
- ↑ Ajoutons à ce portrait de Gudin que le duc de Chaulnes, au milieu de sa vie désordonnée et extravagante, avait conservé quelque chose des goûts de son père, savant distingué en mécanique, en physique et en histoire naturelle, qui mourut membre honoraire de l’Académie des sciences. Le fils aimait passionnément la chimie, et il a fait quelques découvertes dans cette partie. Toutefois, même en ce genre d’occupation, il se distinguait par l’excentricité de son caractère. C’est ainsi que, pour vérifier l’efficacité d’une préparation qu’il avait inventée contre l’asphyxie, il s’enferma dans un cabinet vitré et s’asphyxia, s’en remettant à son valet de chambre du soin de le secourir à temps et de faire sur lui l’essai de son remède. Il avait heureusement un serviteur ponctuel qui ne le laissa pas aller trop loin.
- ↑ On verra tous les amis de cette demoiselle l’appeler madame, mais cela ne tire pas à conséquence.
- ↑ C’était de l’argent qu’il avait prêté au duc.
- ↑ Allusion à un procès que le duc de Chaulnes avait alors avec sa mère, dont il parlait très mal.
- ↑ C’était une fille de Mlle Ménard et du duc de Chaulnes.
- ↑ Dans cette déposition, Gudin affaiblissait et sa phrase et la réponse de Beaumarchais, de crainte de lui nuire. Le vrai texte restitué dans son manuscrit et dans la déposition de Beaumarchais est celui-ci : « Le duc vous cherche pour vous tuer ; » réponse de Beaumarchais : « Il ne tuera que ses puces. »
- ↑ Je prends le récit de Beaumarchais au moment précis où lui-même entre en scène.
- ↑ Il est impossible de ne pas noter le côté comique de cette scène, où Beaumarchais, en robe de juge, fait probablement durer l’audience tant qu’il peut, tandis que le duc, pressé de le tuer, demande : « En avez-vous encore pour long-temps ? » Il est permis de croire que Beaumarchais était moins impatient, car le duc était un colosse, et il était furieux, on va le voir, jusqu’à la frénésie.
- ↑ C’est Gudin.
- ↑ Les lois étant encore très rigoureuses contre le duel, on va voir le duc de Chaulnes nier de son côté qu’il eût voulu un duel.
- ↑ C’était le comte de Turpin.
- ↑ Ici le commissaire de police ajoute en note, ainsi que le sieur de Beaumarchais. Il est assez curieux de voir ce magistrat constater que le duc de Chaulnes « ne lui a même rien dit de désagréable, qu’il lui a témoigné même des égards, etc. »
- ↑ Il est peu probable que Gudin ait eu aucune espèce d’audace.
- ↑ Ceci a trait au propos déjà indiqué dans la déposition de Gudin, et qui, si l’on en croit son manuscrit inédit, se rapportait à quelque indiscrétion dont on accusait à tort Beaumarchais à l’égard d’une grande dame fille d’un maréchal de France, que Gudin ne nomme pas. On reconnaît sans peine que le duc ne veut pas avouer ici le véritable motif de sa fureur ; il l’avoue dans une autre lettre au duc de La Vrillière, où il se reconnaît coupable de s’être laissé égarer par un transport de jalouse colère.
- ↑ S’il en était question est amusant ; le duc, traduit devant le tribunal des maréchaux de France, ne veut pas dire qu’il a provoqué Beaumarchais.
- ↑ Pour y dîner est d’une naïveté charmante après la conversation avec Gudin dans le fiacre, où le duc dit qu’il veut arracher le cœur de Beaumarchais avec les dents.
- ↑ Le récit de Beaumarchais est dix fois plus vraisemblable et détruit complètement cet exposé du duc, qui se détruit d’ailleurs de lui-même par la phrase qui suit ; car si Beaumarchais avait eu l’intention de faire assommer le duc par quatre de ses gens, quel intérêt aurait-il eu à faire en même temps demander le commissaire de police ?
- ↑ Tout le passage qui précède est curieux comme ton ; la dernière assertion du duc est inexacte. Je n’ai pu la vérifier sur l’almanach de 1773, mais j’ai trouvé le nom de Beaumarchais sur plusieurs almanachs d’une date antérieure.
- ↑ On doit noter que, si les uns reprochaient à Beaumarchais d’être trop insolent, d’autres, et notamment Dumouriez, qui était alors en liaison avec lui, trouvaient qu’il n’avait pas mis assez de bonne volonté à rencontrer de nouveau le duc de Chaulnes le lendemain de la scène. On peut objecter qu’il y avait dans la situation de Beaumarchais plus d’un péril à passer outre, la famille du duc étant très puissante. Après cela, je ne voudrais pas jurer qu’il eût une envie démesurée de rencontrer le duc de Chaulnes.
- ↑ Cette plaisanterie, que Beaumarchais renouvelle dans ses mémoires contre Goëzman, s’explique par ce fait que les lettres de cachet, qui s’appelaient aussi lettres closes, se distinguaient des autres missives royales en ce qu’elles étaient signées du roi seulement et n’étaient point scellées du grand sceau de l’état.
- ↑ On ne donnait pas du monseigneur au lieutenant de police, mais le bon abbé Dugué n’y regarde pas de si près.
- ↑ N’est-ce pas un très digne homme, cet abbé Dugué, avec ses soupirs mésédifians ? M. de Sartines et Beaumarchais, tous deux beaucoup moins ingénus, ont dû sourire un peu en lisant ce passage.
- ↑ J’ai dit ailleurs que Beaumarchais était païen en amour ; il l’était un peu en tout sans s’en douter, car je le vois ici écrivant tout naturellement ; Ah ! grands dieux ! au pluriel, comme l’auraient pu faire Horace ou Tibulle s’écriant : Dii immortales !
- ↑ C’était le précepteur du petit Constant.
- ↑ L’action en rescision, qui conduit à l’annulation d’une convention pour cause de dol, de surprise, de violences ou d’erreur, s’intentait alors au moyen de lettres du prince, qu’on nommait lettres de rescision. Ces lettres, demandées par l’une des parties, étaient adressées par elle aux tribunaux, qui les admettaient ou les rejetaient, et, dans le premier cas, prononçaient l’entérinement des lettres de rescision.