Barzaz Breiz/1846/Notre-Dame du Folgoat



NOTRE-DAME DU FOLGOAT.


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ARGUMENT.


« En l’année 1315, dit un vieil auteur, fleurissait en Bretagne, en simplicité et sainteté de vie, un pauvre innocent nommé Salaün, issu de parents pauvres, dont les noms nous sont inconnus, d’un village d’auprès de Lesneven.

« Ce jeune enfant, croissant en âge, commença, après la mort de ses parents, à chérir les douceurs de la solitude, choisissant pour sa retraite ordinaire un bois, loin d’icelle ville d’une demi-lieue, orné d’une belle fontaine bordée d’un très-beau vert naissant. Là, comme un passereau solitaire, il solfiait à sa mode les louanges de la Vierge adorable, à laquelle, après Dieu, il avait consacré son cœur ; et de nuit, comme le gracieux rossignol, perché sur l’épine de l’austérité, il chantait Ave Maria.

« Il était misérablement vêtu, toujours nu-pieds ; n’avait pour lit, en ce bois, que la terre, pour chevet qu’une pierre, pour toit qu’un arbre tortu près de ladite fontaine. Il allait tous les jours mendier son pauvre pain par la ville de Lesneven ou ès environs, n’importunant personne aux portes que de deux ou trois petits mots ; car il disait Ave Maria, et puis en son langage breton : Salaün a zebrè bara, c’est-à-dire « Salaün mangerait du pain. » Il prenait tout ce qu’on lui donnait, revenait bellement en son petit ermitage auprès de la fontaine, en laquelle il trempait ses croûtes, sans autre assaisonnement que le saint nom de Marie.

« Au cœur de l’hiver, il se plongeait dans cette fontaine jusqu’au menton, comme un beau cygne en un étang, et répétait toujours et mille fois Ave Maria, ou bien chantait quelque rhythme breton en l’honneur de Marie.

« On rapporte que lorsqu’il grouait à pierre fendre, il montait en son arbre, et, prenant deux branches de chaque main, il se

La veille du jour où elle va être brûlée vive, elle apparaît en rêve à son père, du fond de la prison où elle est retenue captive. Il la voit au lavoir occupée à blanchir des nappes déjà blanches, symbole de son innocence, et elle le prie d’aller en pèlerinage, à son intention, à Notre-Dame du Folgoat.

VII


NOTRE-DAME DU FOLGOAT.


( Dialecte du Léon. )


I.


— Santé et joie à vous, mon père !

— Que faites-vous là si matin ?

Pourquoi laver ces nappes plus blanches que neige ? que faites-vous là, ma fille ?

— Je suis venue vous prier, mon père, d’aller pour moi au Folgoat ;

Et d’y aller à pied, et pieds nus, et sur vos deux genoux, si vous pouvez y tenir.

Vous y trouverez les cendres du cœur que vous avez nourri.

— Qu’avez-vous fait, ma pauvre fille, pour être ainsi réduite en cendres ?

— Un petit enfant a été tué, et on m’accuse, mon père, de l’avoir fait mourir. —


II.


Un jour, monsieur De Pouliguen était allé chasser avant dîner.

— Tiens! voici un lièvre écorché , ou un petit enfant étranglé ;

On l’a pendu à la branche de l’arbre ; il a encore le ruban au cou. —

Et il vint trouver sa femme, en rêvant tristement dans son cœur.

— Voyez ! ce pauvre enfant qu’on a tué ; qui a pu le mettre au monde ?

La dame, sans rien répondre, se rendit aussitôt à la ferme.

— Vous vous portez bien, fermière ? Voilà du chanvre qui pousse à merveille.

— Mon chanvre ne pousse guère bien ; il s’en va tout avec vos pigeons.

— Où sont allées vos filles, que je ne vois que vous ?

— Deux sont à la rivière avec les bardes, et deux autres à préparer le chanvre ;

Et deux autres à préparer le chanvre ; et les deux dernières à le peigner.

Pour Marie Fanchonik, ma nièce, elle est au lit malade ;

Elle est au lit malade, depuis huit ou neuf jours.

— Ouvrez-moi, ma fermière, que je voie ma filleule.

— Dites-moi, ma filleule, où avez-vous mal ?

— C’est entre mon ventre et mon cœur que j’ai mal, ma marraine.

— Levez-vous, levez-vous, ma filleule, et allez vous confesser au père François ;

Confessez-lui votre péché et prenez garde à vous, je vous y engage.

— Je ne suis point pécheresse : il y a huit jours que j’ai été confessée.

— Ne mentez pas ; vous avez fait un grand péché : C’est vous qui êtes allée ce matin au bois ; vos sabots sont rougis de sang ! —


III.


— Mon petit page, dis-moi, qui est-ce qui passe dans la rue ?

— Vos métayers de Guigourvez, le bourreau et votre filleule. —

Dur eût été celui qui n’eût pas pleuré, sur la place du Folgoat, quand elle arriva ;

Quand arriva la jeune fille de quinze ans, entre deux archers, pour être pendue ;

Une pauvre vieille petite femme, en avant, portait un cierge devant elle ;

Et la jeune fille disait, en marchant : — Cet enfant-là n’était pas à moi ! —

Par derrière venait la dame, demandant instamment grâce pour sa filleule.

— Rendez-moi ma filleule, et je vous donnerai son pesant d’argent,

Et, si cela ne vous convient pas, je vous en donnerai le poids de ma haquenée.

Je vous en donnerai le poids de ma haquenée, la jeune fille et moi dessus.

— Votre filleule ne vous sera pas rendue ; quiconque a tué, on le tue. —


IV.


Comme le sénéchal allait dîner, le bourreau alla la pendre.

Au bout d’un peu de temps, il vint trouver le sénéchal :

— Monsieur, excusez-moi, Marie Fanchonik ne meurt pas ;

Quand je lui mets le pied sur l’épaule, elle se détourne vers moi, et rit.

— Prenez-la, jetez-la, menez-la au bûcher.

— Prenons-la, jetons-la, faisons du feu et de la fumée pour la brûler ! —

Au bout d’un peu de temps, le bourreau revenait :

— Monsieur le sénéchal, excusez-moi, Marie Fanchonik ne meurt pas ;

Elle a du feu jusques au sein, et elle rit de tout son cœur.

— Avant que je croie ce que vous dites, ce chapon-ci aura chanté. —

(Un chapon rôti sur un plat, et tout mangé, hormis les pattes.)

Le sénéchal resta confus : le chapon venait de chanter.

Marie Fanchonik, pardonnez-moi, c’est moi qui ai failli et non vous ;

C’est moi qui ai failli et non vous : qui vous préserve de ce feu ?

— Notre-Dame Marie du Folgoat le balaye de dessous mes pieds ;

La Vierge, mère des chrétiens, le balaye d’autour de mon sein.

— Qu’on envoie vite à Guigourvez, qu’on envoie chez la fermière ;

Qu’on envoie chez la fermière, qu’on sache qui est la pécheresse. —

Ils passèrent tous à travers les flammes, et aucun d’eux ne sourcilla ;

Ils passèrent tous sans sourciller ; la servante seule y resta.

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NOTES ET ÉCLAIRCISSEMENTS.


Celle ballade est une des plus populaires de Bretagne ; elle se chante dans les dialectes de Cornouaille, de Tréguier, de Léon et de Vannes. Elle n’est pas antérieure au quinzième siècle, car l’église du Folgoat n’a été bâtie qu’à cette époque, et c’est elle qui a donné naissance au village où elle s’élève. Il y a lieu de la croire du milieu du siècle suivant, le P. François dont elle fait mention étant probablement Maistre François du Fou, doyen en l’église collégiale du Folgoat, qui comparut à Nantes, le second jour d’octobre de l’an 1509, pour la rédaction des reformations des Coutumes de Bretagne. Le petit manoir de Pouliguen existe encore à quelques lieues du Folgoat. Le bourg de Guigourvez est aussi dans les environs. La cause de l’immense popularité de notre ballade vient sans doute de l’idée sur laquelle elle repose, idée que nous avons déjà vue développée dans celle du Frère de lait, et qui fait le sujet de mille autres chants populaires.

Sous l’empire d’une pareille croyance, l’épreuve devenait un moyen naturel de découvrir la vérité ; on ne pouvait supposer que la Providence permît la mort de l’innocent. L’épreuve est encore en usage chez certaines peuplades sauvages ; elle l’était jusqu’à une époque assez rapprochée dans toute l’Europe, comme en Bretagne. Son origine remonte peut-être aux Celtes ; on sait que pour éprouver la vertu de leur femme, ils livraient au courant du fleuve leur enfant sur un bouclier, ou bien qu’ils la conduisaient à certaines roches druidiques appelés pierres de la vérité, ou pierres branlantes, qu’elle devait faire mouvoir sous peine de passer pour coupable. Cette dernière épreuve se pratique encore en Bretagne, mais jamais aucune femme ne manque d’ébranler le rocher.