Barzaz Breiz/1846/Les Nains



LES NAINS,


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ARGUMENT.


Il en est des chants sur les Nains comme des chants dont les fées sont l’objet; ils sont très-rares, tandis que les traditions relatives à ces êtres surnaturels sont multipliées à l’infini. Celui que nous donnons ici revêt le plus souvent la forme d’un conte ; il a tout l’air d’une satire contre les tailleurs, cette classe vouée au ridicule, en Bretagne comme dans le pays de Galles, en Irlande, en Écosse, en Allemagne et ailleurs, et qui l’était jadis chez toutes les nations guerrières, dont la vie agitée et errante s’accordait mal avec une existence casanière et paisible. Le peuple dit encore de nos jours, en Bretagne, qu’il faut neuf tailleurs pour faire un homme, et jamais il ne prononce leur nom, sans ôter son chapeau et sans ajouter : « sauf votre respect. » La Très-ancienne Coutume de cette province paraît les ranger dans la classe des « vilains natres, ou gens qui s’entremettent de vilains métiers, comme être écorcheurs de chevaux, de viles bestes, garsailles, truandailles, pendeurs de larrons, porteurs de pastez et plateaux en tavernes, crieurs de vins, cureurs de chambres quoies, poissonniers ; qui s’entremettent de vendre vilaines marchandises, et qui sont ménestriers ou vendeurs de vent ; lesquels ne sont pas dignes de eux entremettre de droits ni de coustume. »

V


LES NAINS.


( Dialecte de Cornouaille. )


Paskou le Long, le tailleur, s’est mis à faire le voleur, dans la soirée de vendredi.

Il ne pouvait plus faire de culottes; tous les hommes sont partis pour la guerre contre les Français et leur roi.

Il est entré dans la grotte des Nains avec sa pelle, et il s’est mis à creuser pour trouver le trésor caché.

Le bon trésor, il l’a trouvé, et il est revenu chez lui en courant bien vite ; et il s’est mis au lit.

— Fermez la porte, fermez-la bien ! Voici les petits Dus de la nuit.

— « Lundi, mardi, mercredi, et jeudi, et vendredi ! » —

— Fermez la porte, mes amis : voici, voici les Nains !

Les voilà qui entrent dans la cour ; les voilà tous qui y dansent à perdre haleine.

— « Lundi, mardi, mercredi, et jeudi, et vendredi. » —

— Les voilà qui grimpent sur ton toit ; les voilà qui y font une trouée.

Tu es pris, mon pauvre ami ; jette vite dehors le trésor.

Pauvre Paskou, tu es un homme mort ! Asperge-toi d’eau bénite ;

Jette ton drap sur ta tête ; Paskou, ne fais pas un mouvement.

— Aïe ! ils rient aux éclats ; qui s’échapperait serait fin.

Seigneur Dieu ! en voici un ; je vois sa tête qui s’avance par le trou ;

Ses yeux sont rouges comme des charbons. Il glisse le long du pilier.

Seigneur Dieu ! un,deux et trois ! les voilà en danse sur l’aire !

Ils bondissent et enragent. Sainte Vierge ! je suis étranglé !

— « Lundi, mardi, mercredi, et jeudi, et vendredi. » —

Deux, trois, quatre, cinq et six ! — « Lundi, mardi , mercredi !

« Tailleur, cher petit tailleur, comme tu ronfles là, hé !

« Tailleur, cher petit tailleur, montre un peu le bout de ton nez.

« Viens-t’en faire un tour de danse ; nous t’apprendrons la mesure ;

« Tailleur, cher petit tailleur ! Lundi, mardi, mercredi.

« Petit tailleur, tu es un fripon. Lundi, mardi, mercredi.

« Reviens nous voler encore ; reviens, méchant petit tailleur ;

« Nous t’apprendrons un bal qui fera craquer ton échine. — Monnaie des Nains ne vaut rien. —


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NOTES ET ÉCLAIRCISSEMENTS.


Une autre version de la même chanson attribue l’aventure à un certain fournier nommé Iannik-ann-Trevou, plus fin que notre tailleur : en rentrant chez lui avec son trésor, il prend la précaution de couvrir de cendres et de charbons brûlants l’aire de sa maison, et quand les Nains arrivent au milieu de la nuit pour reprendre leur bien, ils se brûlent tellement les pieds, qu’ils déguerpissent au plus vite, en poussant des cris effroyables, mais non sans avoir préalablement tiré vengeance du voleur, dont ils brisent toute la vaisselle, comme la chanson le dit :

« Chez lannik-ann-Trevou, nous avons brûlé nos pieds cornus, et fait bon marché de ses pots[1]. »

On remarquera que la chanson des Nains leur donne entre autres noms, celui de Duz, diminutif Duzik, que portaient en Gaule ces mêmes génies du temps de saint Augustin[2]; qu’elle leur assigne pour demeure, comme aux Fées, les Dolmen, et qu’elle leur fait danser en chœur une ronde infernale, dont le refrain est toujours : « Lundi, mardi, mercredi, et jeudi, et vendredi. » Un voyageur, attiré, dit-on, dans leur cercle, trouvant le refrain monotone, et y ayant ajouté les mots : « samedi et dimanche, » ce fut parmi le peuple nain une telle explosion de trépignements, de cris et de menaces, que le pauvre homme faillit mourir de peur : s’il eût ajouté aussitôt: « Et voilà la semaine terminée ! » la longue pénitence à laquelle les Nains sont condamnés finissait avec la chanson.

Les Nains passent pour veiller, dans leurs grottes de pierres, à la garde d’immenses trésors ; mais leur monnaie est de mauvais aloi.

La même opinion se trouve mentionnée dans une antique tradition galloise, rapportée par un auteur du onzième siècle[3].


Mélodie originale




  1.         E ti Iannik-ann-Trevon
            Nun euz rostet hor c’harnou
            Ha gret foar gand he bodou,

  2. Daemones quos Duscios Galli nuncupant (De Civit. Dei, c. XXIII).
  3. Lyfr goc’h Hergest Mss, col. 705, et le Greal, p. 241.