Barberine/Acte II
ACTE II
Scène I
Soyez le bienvenu, comte Ulric. Le Roi notre époux est retenu en ce moment loin de nous par une guerre bien longue et bien cruelle, qui a coûté à notre jeunesse une riche part de son noble sang. C’est un triste plaisir que de la voir ainsi toujours prête à le répandre encore, mais cependant c’est un plaisir, et en même temps une gloire pour nous. Les rejetons des premières familles de Bohême et de Hongrie, en se rassemblant autour du trône, nous ont rendu le cœur fier et belliqueux. Quel que soit le sort d’un guerrier, qui oserait le plaindre ? Ce n’est pas nous qui sommes Reine, ni moi, Ulric, qui fus une fille d’Aragon. J’ai beaucoup connu votre père, et votre jeune visage me parle du passé. Soyez donc ici comme le fils d’un souvenir qui m’est cher. Nous parlerons de vous ce soir, avec le chancelier ; ayez patience, c’est moi qui vous recommande à lui. Le Roi vous recevra sous cet auspice. Puisque nos clairons vous ont réveillé dans votre château, et que du fond de votre solitude vous êtes venu trouver nos dangers, nous ne vous laisserons pas repentir d’avoir été brave et fidèle ; en voici pour gage notre royale main.
- La reine sort. Ulric lui baise la main, puis se retire à l’écart.
Voilà un homme mieux reçu, pour la première fois qu’il voit notre Reine, que nous qui sommes ici depuis trente ans.
Abordons-le, et sachons qui il est.
Ne l’avez-vous pas entendu ? C’est le comte Ulric, un gentilhomme bohémien. Il cherche fortune comme un nouveau marié qui veut avoir de quoi faire danser sa femme.
Dit-on que sa femme soit jolie ?
Charmante ; c’est la perle de la Hongrie.
Quel est cet autre jeune homme qui court par là en sautillant ?
Je ne le connais pas. C’est encore quelque nouveau venu. La libéralité du Roi attire ici toutes ces mouches, qui cherchent un rayon de soleil.
- Entre Rosemberg.
Celui-ci me paraît fine mouche, une vraie guêpe dans son corset rayé. — Seigneur, nous vous saluons. Qui vous amène dans ce jardin ?
On me questionne de tous côtés, et je ne sais si je dois répondre. Toutes ces figures nouvelles, ces yeux écarquillés qui vous dévisagent, cela m’étourdit à un point !
- Haut.
Où est la Reine, messieurs ? Je suis Astolphe de Rosemberg, et je désire lui être présenté.
La Reine vient de sortir du palais. Si vous voulez lui parler, attendez son passage. Elle reviendra dans une heure.
Diable ! cela est fâcheux.
- Il s’assoit sur un banc.
Vous venez sans doute pour les fêtes ?
Est-ce qu’il y a des fêtes ? Quel bonheur ! — Non, messieurs, je viens pour prendre du service.
Tout le monde en prend à cette heure.
Eh ! oui, c’est ce qui paraît. Beaucoup s’en mêlent, mais peu savent s’en tirer.
Vous en parlez avec sévérité.
Combien de hobereaux ne voyons-nous pas, qui ne méritent pas seulement qu’on en parle, et qui ne s’en donnent pas moins pour de grands capitaines ! On dirait, à les voir, qu’ils n’ont qu’à monter à cheval pour chasser le Turc par delà le Caucase, et ils sortent de quelque trou de la Bohême, comme des rats effarouchés.
Seigneur, je suis le comte Ulric, gentilhomme bohémien, et je trouve un peu de légèreté dans vos paroles, qu’on peut pardonner à votre âge, mais que je vous conseille d’en retrancher. Être étourdi est un aussi grand défaut que d’être pauvre, permettez-moi de vous le dire, et que la leçon vous profite.
C’est mon Bohémien de l’auberge.
- Haut.
S’exprimer en termes généraux n’est faire offense à personne. Pour ce qui est d’une leçon, j’en ai donné quelquefois, mais je n’en ai jamais reçu.
Voilà un langage hautain, — et d’où sortez-vous donc vous-même, pour avoir le droit de le prendre ?
Allons, seigneurs, que quelques paroles échappées sans dessein ne deviennent pas un motif de querelle. Nous croyons devoir intervenir ; songez que vous êtes chez la Reine. Ce seul mot vous en dit assez.
C’est vrai, et je vous remercie de m’avoir averti à temps. Je me croirais indigne du nom que je porte, si je ne me rendais à une si juste remontrance.
Qu’il en soit ce que vous voudrez ; je n’ai rien à dire à cela.
- Les courtisans sortent. Ulric et Rosemberg restent assis chacun de son côté.
Le chevalier Uladislas m’a recommandé de ne jamais démordre d’une chose une fois dite. Depuis que je suis dans cette cour, les paroles de ce digne homme ne me sortent pas de la tête. Je ne sais ce qui se passe en moi, je me sens un cœur de lion. Ou je me trompe fort, ou je ferai fortune.
Avec quelle bonté la Reine m’a reçu ! Et cependant j’éprouve une tristesse que rien ne peut vaincre. Que fait à présent Barberine ? Hélas ! hélas ! l’ambition ! — N’étais-je pas bien dans ce vieux château ? pauvre, sans doute, mais quoi ? Ô folie ! ô rêveurs que nous sommes !
C’est surtout ce livre que j’ai acheté qui me bouleverse la cervelle ; si je l’ouvre le soir en me couchant, je ne saurais dormir de toute la nuit. Que de récits étonnants, que de choses admirables ! L’un taille en pièces une armée entière ; l’autre saute, sans se blesser, du haut d’un clocher dans la mer Caspienne, et dire que tout cela est vrai, que tout cela est arrivé ! Il y en a une surtout qui m’éblouit :
- Il se lève et lit tout haut.
« Lorsque le sultan Boabdil… » Ah ! voilà quelqu’un qui m’écoute ; c’est ce gentilhomme bohémien. Il faut que je fasse ma paix avec lui. Lorsque je lui ai cherché querelle, je ne pensais plus qu’il a une jolie femme.
- À Ulric.
Vous venez de Bohême, seigneur ? Vous devez connaître mon oncle, le baron d’Engelbreckt ?
Beaucoup, c’est un de mes voisins ; nous allions ensemble à la chasse l’hiver passé. Il est allié, de loin, il est vrai, à la famille de ma femme.
Vous êtes parent de mon oncle Engelbreckt ? Permettez que nous fassions connaissance. Y a-t-il longtemps que vous êtes parti ?
Je ne suis ici que depuis un jour.
Vous paraissez le dire à regret. Auriez-vous quelque sujet de regarder en arrière avec tristesse ? Sans doute il est toujours fâcheux de quitter sa famille, surtout quand on est marié. Votre femme est jeune, puisque vous l’êtes, belle par conséquent. Il y a de quoi s’inquiéter.
L’inquiétude n’est pas mon souci. Ma femme est belle ; mais le soleil d’un jour de juillet n’est pas plus pur dans un ciel sans tache, que son noble cœur dans son sein chéri.
C’est beaucoup dire. Hors notre Seigneur Dieu, qui peut connaître le cœur d’un autre ? J’avoue qu’à votre place je ne serais pas à mon aise.
Et pourquoi cela, s’il vous plaît ?
Parce que je douterais de ma femme, à moins qu’elle ne fût la vertu même.
Je crois que la mienne est ainsi.
C’est donc un phénix que vous possédez. Est-ce de notre bon roi Mathias que vous tenez ce privilège qui vous distingue entre tous les maris ?
Ce n’est pas le Roi qui m’a fait cette grâce, mais Dieu, qui est un peu plus qu’un roi.
Je ne doute point que vous n’ayez raison, mais vous savez ce que disent les philosophes avec le poète latin : Quoi de plus léger qu’une plume ? la poussière ; — de plus léger que la poussière ? le vent ; — de plus léger que le vent ? la femme ; — de plus léger que la femme ? rien.
Je suis guerrier et non philosophe, et je ne me soucie point des poètes. Tout ce que je sais, c’est que, en effet, ma femme est jeune, droite et de beau corsage, comme on dit chez nous ; qu’il n’y a ouvrage de main ni d’aiguille où elle ne s’entende mieux que personne ; qu’on ne trouverait dans tout le royaume ni un écuyer, ni un majordome qui sache mieux servir et de meilleure grâce qu’elle à la table d’un seigneur ; ajoutez à cela qu’elle sait très bien et très résolûment monter à cheval, porter l’oiseau sur le poing à la chasse, et en même temps tenir ses comptes aussi bien réglés qu’un marchand. Voilà comme elle est, seigneur cavalier, et avec tout cela je ne douterais pas d’elle, quand je resterais dix ans sans la voir.
Voilà un merveilleux portrait.
- Entre Polacco.
Je baise vos mains, seigneurs, je vous salue. Santé est fille de jeunesse. Hé ! hé ! les bons visages de Dieu ! Que Notre-Dame vous protège !
Qu’y a-t-il, l’ami ? À qui en avez-vous ?
Je baise vos mains, seigneurs, et je vous offre mes services, mes petits services pour l’amour de Dieu.
Êtes-vous donc un mendiant ? Je ne m’attendais pas à en rencontrer dans ces allées.
Un mendiant ! Jésus ! un mendiant ! Je ne suis point un mendiant, je suis un honnête homme ; mon nom est Polacco ; Polacco n’est pas un mendiant. Par saint Mathieu ! mendiant n’est point un mot qu’on puisse appliquer à Polacco.
Expliquez-vous, et ne vous offensez pas de ce que je vous demande qui vous êtes.
Hé ! hé ! point d’offense ; il n’y en a pas. Nos jeunes garçons vous le diront. Qui ne connaît pas Polacco ?
Moi, puisque j’arrive et que je ne connais personne.
Bon, bon, vous y viendrez comme les autres ; on est utile en son temps et lieu, chacun dans sa petite sphère ; il ne faut pas mépriser les gens.
Quelle estime ou quel mépris puis-je avoir pour vous, si vous ne voulez pas me dire qui vous êtes ?
Chut ! silence ! la lune se lève ; voilà un coq qui a chanté.
Quelle mystérieuse folie promènes-tu dans ton bavardage ? Tu parles comme la fièvre en personne.
Un miroir, un petit miroir ! Dieu est Dieu, et les saints sont bénis ! Voilà un petit miroir à vendre.
Jolie emplette ! il est grand comme la main et cousu dans du cuir. C’est un miroir de sorcière bohémienne ; elles en portent de pareils sur la poitrine.
Regardez-y ; qu’y voyez-vous ?
Rien, en vérité, pas même le bout de mon nez. C’est un miroir magique ; il est couvert d’une myriade de signes cabalistiques.
Qui saura verra, qui saura verra.
Ah ! ah ! Je comprends qui tu es ; oui, sur mon âme, un honnête sorcier. Eh bien ! que voit-on dans ta glace ?
Qui verra saura, qui verra saura.
Vraiment ! je crois donc te comprendre encore. Si je ne me trompe, ce miroir doit montrer les absents ; j’en ai vu parfois qu’on donnait comme tels. Plusieurs de mes amis en portent à l’armée.
Pardieu ! seigneur Ulric, voilà une offre qui vient à propos. Vous qui parliez de votre femme, ce miroir est fait pour vous. Et dites-moi, brave Polacco, y voit-on seulement les gens ? N’y voit-on pas ce qu’ils font en même temps ?
Le blanc est blanc, le jaune est de l’or. L’or est au diable, le blanc est à Dieu.
Voyez ! cela n’a-t-il pas trait à la fidélité des femmes ? Oui, gageons que les objets paraissent blancs dans cette glace si la femme est fidèle, et jaunes si elle ne l’est pas. C’est ainsi que j’explique ces paroles : L’or est au diable, le blanc est à Dieu.
Éloignez-vous, mon bon ami ; ni ce seigneur, ni moi, n’avons besoin de vos services. Il est garçon, et je ne suis pas superstitieux.
Non, sur ma vie ! seigneur Ulric ; puisque vous êtes mon allié, je veux faire cela pour vous. J’achète moi-même ce miroir, et nous y regarderons tout à l’heure si votre femme cause avec son voisin.
Éloignez-vous, vieillard, je vous en prie.
Non ! non ! il ne partira pas que nous n’ayons fait cette épreuve. Combien vends-tu ton miroir, Polacco ?
- Ulric s’éloigne un peu et se promène.
Hé ! hé ! chacun son heure, mon cher seigneur ; tout vient à point, chacun son heure.
Je te demande quel est ton prix ?
Qui refuse muse, qui muse refuse.
Je ne muse pas, je veux acheter ton miroir.
Hé ! hé ! qui perd le temps le temps le gagne, qui perd le temps…
Je te comprends. Tiens, voilà ma bourse. Tu crains sans doute qu’on ne te voie ici faire en public ton petit négoce.
Bien dit, bien dit, mon cher seigneur, les murs ont des yeux, les arbres aussi. Que Dieu conserve la police ! les gens de police sont d’honnêtes gens !
Maintenant tu vas nous expliquer les effets magiques de cette petite glace.
Seigneur, en fixant vos yeux avec attention sur ce miroir, vous verrez un léger brouillard qui se dissipe peu à peu. Si l’attention redouble, une forme vague et incertaine commence bientôt à en sortir ; l’attention redoublant encore, la forme devient claire ; elle vous montre le portrait de la personne absente à laquelle vous avez pensé en prenant la glace. Si cette personne est une femme et qu’elle vous soit fidèle, la figure est blanche et presque pâle ; elle vous sourit faiblement. Si la personne est seulement tentée, la figure se colore d’un jaune blond comme l’or d’un épi mûr ; si elle est infidèle, elle devient noire comme du charbon, et aussitôt une odeur infecte se fait sentir.
Une odeur infecte, dis-tu ?
Oui, comme lorsque l’on jette de l’eau sur des charbons allumés.
C’est bon ; maintenant prends ce qu’il te faut dans cette bourse, et rends-moi le reste.
Qui viendra saura, qui saura viendra.
Vends-tu si cher cette bagatelle ?
Qui viendra verra, qui verra viendra.
Que le diable t’emporte avec tes proverbes !
Je baise les mains, les mains… Qui viendra verra.
- Il sort.
Maintenant, seigneur Ulric, si vous le voulez bien, il nous est facile de savoir qui a raison de vous ou de moi ?
Je vous ai déjà répondu ; je ne puis souffrir ces jongleries.
Bon ! vous avez entendu, comme moi, les explications de ce digne sorcier. Que nous coûte-t-il de tenter l’épreuve ? Jetez, de grâce, les yeux sur ce miroir.
Regardez-y vous-même, si bon vous semble.
Oui, en vérité, à votre défaut j’y veux regarder et penser pour vous à votre chère comtesse, ne fût-ce que pour voir apparaître, blanche ou jaune, sa charmante image. Tenez, je l’aperçois déjà !
Une fois pour toutes, seigneur cavalier, ne continuez pas sur ce ton. C’est un conseil que je vous donne.
Scène II
Comte Ulric, la reine va rentrer tout à l’heure au palais. Elle nous a ordonné de vous dire que votre présence y sera nécessaire.
Je vous rends mille grâces, messieurs, et je suis tout aux ordres de Sa Majesté.
Dites-moi, messieurs, ne sentez-vous pas quelque odeur singulière ?
Quelle espèce d’odeur ?
Hé ! comme du charbon éteint.
Avez-vous donc juré de lasser ma patience ?
Regardez vous-même, comte Ulric ; assurément ce n’est pas là du blanc.
Enfant, tu insultes une femme que tu ne connais pas.
C’est que, peut-être, j’en connais d’autres.
Eh bien ! puisque les miroirs te plaisent, regarde-toi dans celui-ci.
- Il tire son épée.
Attendez, je ne suis pas en garde.
- Il tire aussi son épée.
Scène III
Que veut dire ceci, jeunes gens ? je croyais que ce n’était pas pour arroser les fleurs de mon parterre que se tiraient des épées hongroises. Qui a donné lieu à cette dispute ?
Madame, excusez-moi. Il y a telle insulte que je ne puis supporter. Ce n’est pas moi qui suis offensé, c’est mon honneur.
De quoi s’agit-il ? Parlez.
Madame, j’ai laissé au fond de mon château une femme belle comme la vertu. Ce jeune homme, que je ne connais pas, et qui ne connaît pas ma femme, n’en a pas moins dirigé contre elle des railleries dont il fait gloire. Je proteste à vos pieds qu’aujourd’hui même j’ai refusé de tirer l’épée, par respect pour la place où je suis.
Vous paraissez bien jeune, mon enfant. Quel motif a pu vous porter à médire d’une femme qui vous est inconnue ?
Madame, je n’ai pas médit d’une femme. J’ai exprimé mon opinion sur toutes les femmes en général, et ce n’est pas ma faute si je ne puis la changer.
En vérité, je croyais que l’Expérience n’avait pas la barbe aussi blonde.
Madame, il est juste et croyable que Votre Majesté défende la vertu des femmes ; mais je ne puis avoir pour cela les mêmes raisons qu’elle.
C’est une réponse téméraire. Chacun peut en effet avoir sur ce sujet l’opinion qu’il veut ; mais que vous en semble, messieurs ? N’y a-t-il pas une présomptueuse et hautaine folie à prétendre juger toutes les femmes ? C’est une cause bien vaste à soutenir, et si j’y étais avocat, moi, votre reine en cheveux gris, mon enfant, je pourrais mettre dans la balance quelques paroles que vous ne savez pas. Qui vous a donc appris, si jeune, à mépriser votre nourrice ? Vous qui sortez apparemment de l’école, est-ce là ce que vous avez lu dans les yeux bleus des jeunes filles qui puisaient de l’eau dans la fontaine de votre village ? Vraiment ! le premier mot que vous avez épelé sur les feuilles tremblantes d’une légende céleste, c’est le mépris ? Vous l’avez à votre âge ? Je suis donc plus jeune que vous, car vous me faites battre le cœur. Tenez, posez la main sur celui du comte Ulric ; je ne connais pas sa femme plus que vous, mais je suis femme, et je vois comment son épée lui tremble encore dans la main. Je vous gage mon anneau nuptial que sa femme lui est fidèle comme la vierge l’est à Dieu !
Reine, je prends la gageure, et j’y mets tout ce que je possède sur terre, si ce jeune homme veut la tenir.
Je suis trois fois plus riche que vous.
Comment t’appelles-tu ?
Astolphe de Rosemberg.
Tu es un Rosemberg, toi ? Je connais ton père, il m’a parlé de toi. Va, va, le comte Ulric ne gage plus rien contre toi ; nous te renverrons à l’école.
Non, Majesté. Il ne sera pas dit que j’aurai reculé, si le comte tient le pari.
Et que paries-tu ?
S’il veut me donner sa parole de chevalier qu’il n’écrira rien à sa femme de ce qui s’est passé entre nous, je gage mon bien contre le sien, ou du moins jusqu’à concurrence égale, que je me rendrai dès demain au château qu’il habite, et que ce cœur de diamant sur lequel il compte si fort ne me résistera pas longtemps.
Je tiens, et il est trop tard pour vous dédire. Vous avez parié devant la reine, et puisque sa présence auguste m’a oblige de baisser l’épée, c’est Elle que je prends pour témoin du duel honorable que je vous propose.
J’accepte, et rien ne m’en fera dédire ; mais il me faut une lettre de recommandation, afin de me procurer un plus libre accès.
De tout mon cœur, tout ce que vous voudrez.
Je me porte donc comme témoin, et comme juge de la querelle. Le pari sera inscrit par le chancelier de la justice du Roi, mon maître, et à votre parole j’ajoute ici la mienne, qu’aucune puissance au monde ne pourra me fléchir quand le jour sera passé. Allez, messieurs, que Dieu vous garde !