Avertissement (1752)/Édition Garnier

Œuvres complètes de VoltaireGarniertome 23 (p. 557-558).

AVERTISSEMENT[1]


On mettra en vente incessamment à Leipzig une nouvelle édition du Siècle de Louis XIV, augmentée de près d’un tiers, et qui ne contiendra pourtant que deux volumes portatifs. La première édition de Berlin, incomplète et remplie de fautes, comme le sont presque toutes les premières éditions, a du moins servi à faire parvenir à l’auteur beaucoup de remarques, d’anecdotes et d’instructions très-importantes en tout genre, dont il a fait usage dans la nouvelle édition qu’il revoit avec soin. Les libraires qui se sont hâtés d’imprimer suivant la première de Berlin auraient dû au moins le consulter. Il leur aurait fourni volontiers toutes les additions et les changements ; et la magnifique édition d’Angleterre[2] ne serait pas, comme elle l’est, une entreprise inutile.

C’est un abus intolérable que des libraires impriment un auteur sans sa permission. Voilà comme on a donné depuis peu une partie d’une histoire universelle du même écrivain, tronquée, défigurée, et remplie de fautes absurdes. C’est avec la même infidélité qu’on s’est empressé d’imprimer la tragédie de Rome sauvée ou Catilina, que des éditeurs clandestins avaient transcrite à la hâte aux représentations. Ils ont vendu ce manuscrit à un malheureux libraire, et y ont inséré plus de cinquante vers de leur façon, après avoir défiguré le reste de l’ouvrage. Si le libraire avait eu seulement le bon sens d’avertir l’auteur, il lui aurait envoyé la véritable pièce pour l’empêcher de tromper le public ; mais presque tous ses ouvrages ont été ainsi traités.

Il tâche au moins de remédier à cet abus par l’édition exacte qu’on fait à Leipzig du Siècle de Louis XIV.

Toutes les fautes typographiques y sont corrigées, et les noms propres rétablis. Quelques erreurs dans lesquelles on était tombé y sont réformées. Par exemple, on lit dans quelques éditions contrefaites à la hâte sur les premiers exemplaires sortis de Berlin qu’il y a des esclaves à la base de la statue de la place de Vendôme ;

Que le président Périgny était sous-précepteur de Louis XIV ;

Que le parlement complimenta le cardinal de Mazarin en 1653 ;

Que le marquis de Marivaux se plaignit au roi, et qu’un détachement du régiment de la marine fut battu par les fanatiques des Cévennes.

Il n’y a point d’esclaves au pied de la statue de la place de Vendôme. Ce fut au retour de l’île des Faisans que le parlement députa au cardinal Mazarin. Le président Périgny fut précepteur de Monseigneur, fils unique de Louis XIV. Ce ne fut point M. de Marivaux à qui Louis XIV fit la réponse dont il est parlé. Ce n’est point le régiment de la marine, mais des troupes de la marine, c’est-à-dire destinées à servir sur des vaisseaux, qui eurent affaire aux fanatiques.

Ce serait peu de chose que la réformation de ces fautes légères, corrigées même dans un grand nombre des exemplaires de Berlin ; mais il importe d’être détrompé des erreurs capitales dont toutes les histoires volumineuses de Louis XIV fourmillent à chaque page ; il importe de connaître les véritables motifs de la paix de Riswick, les circonstances glorieuses de celle de Nimègue ; les services que le maréchal d’Harcourt rendit en Espagne, et jusqu’à quel point il disposa les esprits ; les nouvelles recherches qu’on a faites sur le prisonnier au masque de fer ; enfin des pièces originales écrites de la main de Louis XIV, qui servent à faire connaître son caractère et à le rendre bien respectable.

Outre ces particularités intéressantes, les chapitres concernant les arts et les progrès de l’esprit humain, principal objet de cet ouvrage, sont augmentés d’articles également curieux et utiles.

On n’attendra pas longtemps cette édition. Tout ce qu’on peut faire, c’est d’avertir les libraires qui voudront la contrefaire de s’y conformer, et de demander à l’auteur ses instructions, en cas que par la suite il ait quelque chose à réformer à cet ouvrage.

FIN DE L’AVERTISSEMENT.
  1. Cet Avertissement est extrait du Mercure, novembre 1752.
  2. Je crois que l’édition dont Voltaire parle ici est celle d’Édimbourg, deux volumes in-12, qui est plus belle que toutes les éditions du Siècle de Louis XIV publiées jusqu’alors, mais qui ne mérite pourtant pas l’épithète que lui donne Voltaire. (B.)