Autres balades (Christine de Pisan)/LIII


LIII


Je ne croy pas que ma malle fortune
Puisse souffrir qu’aucun bien me secuere ;
Car de long temps, par rigle trop commune,
M’a couru sus, et quanque je labeure
N’est fors en vain ; car tout despiece en l’eure
La desloyal qui tout mal me pourchace ;
Quant bien me doit venir, meseur l’en chace.

N’il ne me vient a nulle heure pas une
Riens a droit point, pour chose que je queure,
La ou secours cuid trouver, mais nesune
Voye n’y a : il fault que je demeure
A tousjours mais ainsi, par quoy je pleure
Souvent, veant que, par diverse chace,
Quant bien me doit venir, meseur l’en chace.

Et puis qu’ainsi tel fortune respune
A tout boneur pour moy et tout deveure
Mes reconfors, avoir ne doy aucune
Espérance de jamais veoir l’eure
D’avoir reppos du mal qui m’acuere ;
Car je congnois qu’a tout quanque rechace,
Quant bien me doit venir, meseur l’en chace.

Princes, ainsi a cuer plus noir que meure
Me fault lenguir ; car tout vent me dechace ;
Est ce bien droit meschiel qui me cuert seure,
Quant bien me doit venir, meseur l’en chace ?