Agence Korea (p. 177-189).

DÉCLARATION D’INDÉPENDANCE DE LA RÉPUBLIQUE CORÉENNE

Nous, les représentants du peuple coréen, par la présente, déclarons à toutes les nations du monde, l’indépendance de la Corée et la liberté du peuple coréen, et, nous annonçons à nos enfants et nos petits-enfants les grands principes d’égalité et le droit éternel du peuple à se préserver lui-même. Pleins d’une auguste vénération pour les quatre mille ans de notre histoire et au nom de nos vingt millions d’habitants loyaux et unis, nous déclarons notre indépendance pour garantir le libre développement de nos enfants dans tous les temps à venir, en conformité avec la conscience éveillée de l’homme dans cette ère nouvelle. Ceci est la claire inspiration de Dieu, le principe vivant de l’âge présent et le juste droit de la race humaine.

Victimes du temps passé quand la force brutale et l’esprit de pillage régnaient, nous avons souffert l’agonie d’une oppression étrangère pendant les derniers dix ans ; nous avons été privés de tous droits d’existence, nous avons été dépouillés de notre liberté de penser et de parler, on nous a refusé toute juste participation dans le progrès intelligent de l’âge dans lequel nous vivons.

Assurément, si les torts du passé doivent être redressés, si la souffrance du présent doit être soulagée, si une oppression future doit être évitée, si la pensée doit être exprimée librement, si le droit à l’action doit être reconnu, si nous devons obtenir le privilège du libre développement, si nous devons délivrer nos enfants de l’héritage douloureux et honteux, ce qui s’impose d’abord, c’est la complète indépendance de notre Nation. Aujourd’hui, nous tous Coréens, au nombre de vingt millions, armés des principes d’équité et d’humanité, nous nous levons pour la Vérité et la Justice. Quelles barrières sont sur notre chemin que nous ne puissions briser ?

Nous n’avons nullement l’intention d’accuser le Japon de déloyauté, quand il imputa à la Chine la violation du traité de 1876 ; d’arrogances injustifiées quand ses bureaucrates nous traitèrent comme un peuple conquis ; de desseins honteux lorsqu’il bannit notre chère langue et notre histoire ; de honte quand il employa des moyens intellectuels tels qu’ils paralysèrent notre culture, d’où dérive sa propre civilisation se complaisant à nous fouler sous sa botte, dans nos terres comme dans celles des sauvages.

Ayant de plus nobles devoirs, nous n’avons pas le temps de trouver des torts aux autres. Notre besoin urgent est le rétablissement de notre maison et non la discussion de ce qui l’a détruite. Notre travail est d’éclairer l’avenir en accord avec les ordres formels dictés par la conscience de l’espèce humaine. Ne nous offensons pas des torts du passé.

Notre rôle est d’influencer le gouvernement japonais obstiné comme il l’est dans ses anciennes méthodes de force brutale contre l’Humanité, de façon qu’il puisse modifier avec sincérité ses principes dirigeants selon la Justice et la Loyauté. Ayant annexé notre contrée sans le consentement de notre peuple, le Japon a établi à son propre bénéfice des comptes faux de profits et de pertes ; il nous a opprimés de façon indescriptible, creusant un fossé de haine de plus en plus profond.

Les torts du passé ne seront-ils pas redressés par une raison éclairée et un noble courage ? Est-ce qu’une compréhension sincère et une amitié loyale fourniront les bases de nouvelles relations entre les deux peuples ?

Nous aveugler, nous, vingt millions de Coréens, par pure force, ne signifie pas seulement la perte de la paix pour toujours entre les deux nations ; mais ce serait la cause d’une défiance et d’une haine toujours grandissantes contre le Japon de la part de quatre cents millions de Chinois qui sont le pivot sur lequel repose la paix perpétuelle de l’Asie orientale et même de l’Univers. Le temps de la force est passé. Une nouvelle ère est arrivée, une renaissance universelle que nous envisageons sans hésitation et sans crainte. Pour la liberté de notre peuple coréen, pour le développement libre de notre génie national, pour l’inviolabilité de notre sol, nous sommes tous unis par cette mâle détermination en ce jour mémorable ! Puisse l’esprit de nos aïeux nous aider à l’intérieur et la force morale du monde nous aider à l’extérieur ! Que ce jour soit celui de notre réussite et de notre gloire !

Dans cet esprit, nous nous engageons à observer les trois résolutions suivantes :

I. Pour la Justice, l’Humanité et l’Honneur, nous nous efforcerons qu’aucune violence ne soit faite à qui que ce soit.

II. Jusqu’au dernier homme, jusqu’au dernier moment nous garderons ce même esprit.

III. Tous les actes seront honorables et en accord avec notre esprit coréen de probité et de franchise.

En cette quatre mille deux cent cinquante-deuxième année de la fondation de notre Nation Coréenne, en ce premier jour du troisième mois.
Au nom du peuple coréen :

Signatures des trente-trois représentants
du peuple coréen.


Les trente-trois représentants qui signèrent cette déclaration de l’Indépendance se réunirent la veille du 1er mars 1919, dans une salle de Tai-Wha-Kwan, un des plus grands hôtels coréens de Séoul. C’est dans cette salle simple autour d’une table ovale qu’ils proclamèrent solennellement l’Indépendance de la Corée et la liberté du peuple coréen. Après avoir juré de sacrifier leurs vies pour la cause de la patrie, ils élevèrent leurs verres pour la santé des uns et des autres. Ce n’est que le lendemain matin qu’ils terminèrent leur conversation solennelle, et puis aussitôt ils prévinrent la police japonaise. Celle-ci surprise, envoya immédiatement sur les lieux des troupes et des automobiles. Les trente-trois représentants de la Corée remirent aux policiers chacun un exemplaire de la proclamation et ils montèrent le plus naturellement du monde dans les automobiles qui devaient les amener dans l’enfer des prisons japonaises.

Dans l’espace de vingt-quatre heures, dans tous les coins du pays, les Coréens de tout âge et de tout sexe manifestèrent en faveur de la libre Corée en criant le fameux Mansai, qui veut dire : Vive la Corée indépendance !

Le mouvement d’indépendance fut, dès son début, simplement une démonstration pacifique et une résistance passive. Les leaders aussi bien que les partisans furent liés par un serment solennel de ne commettre aucune violence, comme on l’a vu plus haut, quoi qu’il arrivât, et de ne pas offrir de résistance en cas d’arrestation.

Mais le Japon crut nécessaire de faire comprendre une fois de plus aux Coréens combien pointues sont ses baïonnettes et combien tranchants sont ses sabres ! En moins de trois semaines, trente-deux mille hommes et femmes furent jetés en prison. Environ cent mille furent tués et blessés, entre autres des vieillards, des jeunes filles et des enfants !

Le 28 mars 1919, plus de mille personnes sans armes furent tuées, pendant une démonstration de trois heures faite à Séoul. Les gens furent flagellés, fusillés ou passés au fil de la baïonnette. Les femmes en particulier furent dépouillées, mises à nu, traînées dans les rues, et fouettées devant la foule, spécialement les membres des familles des leaders. Les emprisonnés furent torturés, et s’il en fut ainsi dans la capitale, ce fut bien pis dans les districts de la campagne, et quelques étrangers ont été témoins de scènes déchirantes.

Voici une autre cruauté sans précédent : le 15 avril 1919, à Chai-Am-Li, village du district de Suwon (trente-cinq kilomètres de Séoul) trente-neuf maisons furent cernées par des soldats japonais en armes, pour que personne n’en pût sortir. Puis ils les incendièrent. Quarante-deux maisons à Suchon et vingt-cinq à Whasuri, districts de Suwon, furent détruites de la même manière. Arrêtons ici, car il serait impossible d’énumérer tous les gestes criminels du Japon à l’égard de la Corée.


Bac Sontcho, l’âme de la révolution coréenne, resté toujours à sa place de simple militant, déploya plus que jamais toute son activité. Il réussit à constituer un gouvernement provisoire, d’accord avec l’Assemblée Nationale de la République coréenne, qui fut réuni à Séoul pour la première fois par les représentants des treize provinces coréennes, d’ailleurs mitraillés ou emprisonnés par les autorités japonaises. En attendant le résultat de la Conférence de Versailles, on travaillait avec un immense espoir.

Pendant ce temps-là, la délégation coréenne à Versailles, dès le premier jour de son arrivée, rencontra une triste déception ! Où était la joie débordante du départ ? La Conférence refusa purement et simplement de s’occuper de la Corée ! Le principe wilsonien n’y était que de vains mots. L’Humanité, la Justice n’y étaient que pour être foulées poliment aux pieds. Chacun s’y était armé jusqu’aux dents pour remplir son ventre le mieux possible. Nul n’y était plus éloquent qu’un sombre loup aux dents tranchantes et aux ongles terribles. Il démontrait facilement, en un discours, fort applaudi par de trop mielleux renards, la culpabilité des innocents agneaux et le crime des stupides baudets.

Qu’importe aux puissants le malheur des faibles dont ils font cyniquement leur bonheur glorieux.

Déçu et indigné, le peuple coréen crut d’abord que son espoir s’évanouissait dans le néant, que ses efforts s’écroulaient dans l’abîme ! Cependant il ne se découragea point, au contraire, sa déception et son indignation ayant fortifié son courage, il s’apprêtait toujours avec un élan grandissant à s’engager dans une lutte nouvelle infiniment plus complexe. Bac Sontcho lui-même, jugeant sa tâche principale à l’étranger terminée, rentra secrètement en Corée pour réorganiser le mouvement révolutionnaire qui se développa dans tous les coins du pays.

Malheureusement, à la fin de l’année 1921, Bac Sontcho fut arrêté par la police japonaise qui le fusilla sans aucun procès !

Voilà une vie bien mal récompensée ! c’est la Justice qui doit s’en scandaliser !

Voilà une lumière trop brusquement éteinte ! c’est l’Humanité qui doit en rougir !

C’est le monde civilisé qui doit punir les gestes criminels du Japon.

C’est lui qui doit se défendre contre le Japon oppresseur !


Non, non, Bac Sontcho n’est pas mort. Il est plus vivant que jamais dans les cœurs de tous les Coréens ! Sa mémoire sera célébrée par l’Humanité et par la Justice ! Bac Sontcho, c’est l’Humanité, c’est la Justice !

Bac Sontcho, c’est la Liberté.


FIN