Augustin d’Hippone/Deuxième série/Solennités et panégyriques/Sermon CXCII. Pour le jour de Noël. IX. Bonté de Dieu dans l’Incarnation

Solennités et panégyriques
Œuvres complètes de Saint Augustin (éd. Raulx, 1864)


SERMON CXCII. POUR LE JOUR DE NOËL. IX. BONTÉ DE DIEU DANS L’INCARNATION.

ANALYSE. – Quelque grandes que soient les merveilles qui se manifestent dans l’Incarnation, la bonté de Dieu s’y révèle avec plus d’éclat encore. C’est pour nous en effet qu’il s’est fait homme, c’est pour tous en général et pour chacun en particulier ; et quand il retourne au ciel, c’est encore pour veiller sur nous.

1. « La Vérité » aujourd’hui « s’est élevée de terre[1] » ; le Christ est né de la chair. Livrez-vous à une sainte joie ; que ce jour attache vos esprits à la pensée du jour éternel, souhaitez, espérez fermement les biens célestes, et puisque vous en avez reçu le pouvoir, comptez devenir enfants de Dieu. N’est-ce pas pour vous qu’est né dans te temps l’Auteur même des temps, pour vous que s’est montré au monde le Fondateur du monde, pour vous enfin que le Créateur est devenu créature ? Pourquoi donc, ô mortels, mettre encore votre esprit dans ce qui est mortel ? pourquoi consacrer toutes vos forces à retenir, s’il était possible, une vie fugitive ? Ah ! de plus brillantes espérances rayonnent sur la terre, et ceux qui l’habitent n’ont reçu rien moins que la promesse de vivre dans les cieux. Or, pour faire croire à cette promesse, une chose bien plus incroyable vient d’être donnée au monde. Pour rendre les hommes des dieux, Dieu s’est fait homme ; sans rien perdre de ce qu’il était, il a voulu devenir ce qu’il avait fait ; oui, devenir ce qu’il a fait, unissant l’homme à Dieu, sans anéantir Dieu dans l’homme. Nous sommes étonnés de voir une Vierge qui devient Mère ; il nous faut des efforts pour convaincre les incrédules de la réalité de cet enfantement tout nouveau, pour leur faire admettre qu’une femme a conçu sans le concours d’aucun homme ; qu’elle a donné le jour à un Enfant dont aucun mortel n’était le père ; enfin que le sceau sacré de sa virginité est resté inviolable au moment de la conception et au moment de l’enfantement. La puissance de Dieu se montre ici merveilleuse ; mais sa miséricorde plus admirable encore, puisqu’à la puissance il a joint la volonté de naître ainsi. Il était le Fils unique du Père, avant de devenir le Fils unique de sa Mère ; lui-même l’avait formée, avant d’être formé dans son sein ; avec son Père il est éternel, et avec sa Mère il est enfant d’un jour ; moins âgé que la Mère dont il est formé, il est antérieur à tout sans être formé de son Père ; sans lui le Père n’a jamais existé, et sa Mère n’existerait pas sans lui.

2. Vierges du Christ, réjouissez-vous ; sa Mère est l’une de vous. Vous ne pouviez donner le jour au Christ, et pour lui vous ne voulez donner le jour à personne. Il n’est pas né de vous, mais c’est pour vous qu’il est né. Et pourtant, si vous gardez, comme vous y êtes obligées, le souvenir de sa parole, vous aussi vous êtes ses mères, puisque vous accomplissez la volonté de son Père. N’a-t-il pas dit : « Quiconque fait la volonté de mon Père, celui-là est mon frère, et ma sœur, et ma mère[2] ? » Veuves chrétiennes, réjouissez-vous : il a rendu la virginité féconde, et c’est à lui qua vous avez fait le veau sacré de continence. Réjouis-toi aussi, chasteté nuptiale, vous tous qui gardez la fidélité conjugale ; conservez dans vos cœurs ce que n’ont plus vos corps Si la chair ne peut rester étrangère à certaines impressions, que la conscience soit vierge dans la foi, vierge comme l’est toute l’Église. La pieuse virginité de Marie a donné naissance au Christ ; la longue viduité d’Anne l’a reconnu petit enfant ; et pour lui a combattu la chasteté conjugale et la miraculeuse fécondité d’Élisabeth. Ainsi tous les ordres de l’Église ont fait pour le Christ ce que par sa grâce des membres fidèles pouvaient en faveur de leur Chef. Et vous, puisque le Christ est la vérité, la paix et la justice, concevez-le par la foi, enfantez-le par vos œuvres ; que votre cœur fasse pour sa loi ce qu’a fait pour son corps le sein de sa Mère. Êtes-vous étrangers à l’enfantement de la Vierge, puisque vous êtes les membres du Christ ? À votre Chef Marie a donné naissance ; à vous, c’est l’Église ; car l’Église aussi est à la fois vierge et mère ; mère, par les entrailles de la charité ; vierge, par l’intégrité de la foi et de la piété. Elle enfante des peuples entiers ; mais ils ne sont que les membres de Celui dont elle est à la fois et le corps et l’épouse ; semblable encore, sous ce rapport, à la Vierge qui est devenue pour nous tous la Mère de l’unité.

3. Ainsi donc célébrons tous avec unanimité de cœur, célébrons avec des pensées chastes et de saintes affections, le jour de la naissance du Seigneur. C’est en ce jour, comme nous le disions en commençant, que « la Vérité s’est élevée de terre ». Aussi bien ce que dit ensuite le même psaume est également accompli. En effet, comme Celui qui s’est élevé de terre, c’est-à-dire, qui est né de la chair, est descendu du ciel et se trouve au-dessus de tous[3] ; il est hors de doute qu’en remontant vers son Père, il est « la justice qui regarde du haut du ciel ». Lui-même, en promettant l’Esprit-Saint, dit expressément qu’il est la justice. Cet Esprit, dit-il, « convaincra le monde au a sujet du péché, et de la justice, et du jugement. Du péché, parce qu’on n’a pas cru en moi ; de la justice, parce que je vais à mon Père et que vous ne me verrez plus[4]. ». Telle est donc la justice qui regarde du haut du ciel. « Elle s’élance d’une extrémité du ciel et s’étend jusqu’à l’autre ». Il était à craindre qu’on ne vînt à mépriser la Vérité à cause qu’elle s’est élevée de terre, lorsque, semblable à l’époux qui sort du lit nuptial, elle s’est élancée du sein maternel où le Verbe de Dieu avait contracté avec la nature humaine une ineffable union. Afin de détourner ces mépris, et pour empêcher que malgré sa naissance admirable, malgré ses paroles et ses œuvres merveilleuses, la ressemblance de la chair du Christ avec la chair de péché ne fît voir en qui qu’un homme ; après ces mots : « Pareil à l’époux sortant du lit nuptial, il s’est élancé comme un géant pour fournir sa carrière », viennent aussitôt ceux-ci : « Il est parti d’une extrémité du ciel[5] ». Si donc, « la Vérité s’est élevée de « terre », c’était bonté de sa part, et non pas nécessité ; miséricorde, et non pas dénuement. Pour s’élever de terre, cette Vérité est descendue des cieux ; pour sortir de son lit nuptial, l’Époux s’est élancé d’une extrémité du ciel. Voilà pourquoi il est né aujourd’hui. Ce jour est le plus court des jours de la terre ; et c’est à dater de lui que les jours commencent à grandir. Ainsi Celui qui s’est rapetissé pour nous élever, a fait choix du jour qui est à la fois le moindre et le principe des grands jours. En naissant ainsi et malgré son silence, il nous crie en quelque sorte avec une voix retentissante, que pour nous il s’est fait pauvre et qu’en lui nous devons apprendre à être riches ; que pour nous il s’est revêtu de la nature de son esclave et que nous devons en lui recouvrer la liberté ; que pour nous il s’est élevé de terre et que nous devons avec lui posséder le ciel.

  1. Psa. 84, 12
  2. Mat. 12, 50.
  3. Jn. 3, 31.
  4. Jn. 16, 8-10
  5. Psa. 18, 6-7.