Au service de la Tradition française/Pour la Belgique

Bibliothèque de l’Action française (p. 199-203).

Pour la Belgique[1]



Messieurs,

C’est vraiment tout un peuple qui vous acclame.

La ville de Montréal, centre de cette vieille province, a voulu vous exprimer son admiration, vous manifester sa sympathie et vous dire les titres que vous avez à sa reconnaissance émue.

Nous avons toujours été vos alliés pacifiques. Vous nous avez donné le meilleur de vous-mêmes : votre pensée, votre énergie. Vous nous avez envoyé vos professeurs, vos ingénieurs, vos industriels, vos artistes ; nous avons su apprécier vos paysans et vos ouvriers. À l’œuvre de conquête que nous devons accomplir, vous avez aussi apporté l’appui de capitaux patiemment accumulés. Vous avez été pour nous des collaborateurs amis. Si le Canada vous doit quelque chose de sa splendeur, souffrez qu’il vous en remercie d’abord.

Aussi bien, vos premières victoires ne nous ont pas étonnés. Nous vous connaissions. Vos couleurs aussitôt nous sont devenues familières. Regardez ! Elles se sont multipliées chez nous, comme sous les murs de Liège les soldats de la Belgique. Nous les portons avec orgueil. Il semble qu’il y ait sur toutes nos poitrines des parcelles de votre gloire.

Elles nous rappellent votre belle patrie. Vous y avez donné l’exemple d’une activité merveilleuse. Mais en même temps que vous faisiez rayonner sur le monde vos initiatives et vos idées, vous conserviez précieusement le culte de votre histoire et vous restiez jaloux de votre indépendance. Ceux qui ont cherché dans les livres le secret de l’âme belge en connaissent maintenant la sublime beauté.

Dès que l’Allemagne, au mépris de sa signature, eût foulé votre sol, vous avez tressailli. Du pays de Maeterlinck, qui chanta les abeilles, et révéla dans une œuvre immortelle les qualités profondes de votre race ; du pays de Bruges, où, sous l’apparente et douce torpeur des toits crénelés vit et travaille l’active dentellière du Nord ; du pays des clochers et des beffrois, où se transmettent de génération en génération l’audace et le courage des grands bourgeois communiers ; de Gand, ville des fleurs et reine de la terre flamande ; de Liège au cœur français ; des noires régions de Mons et de Charleroi ; de toute la Belgique (de la petite Belgique, comme nous disons, pour mieux marquer la grandeur de ses destinées et mieux traduire notre attendrissement) une armée se leva, vaillante, généreuse, intrépide, qui répondit à l’envahissement par ce mot, le plus beau que je sache quand il se heurte à la force cruelle et injuste : Non serviam, je ne servirai pas !

Promesses et menaces ont été vaines : rien n’a pu réduire cette admirable fierté. Sous la conduite d’un roi soldat, la Nation résolut de lutter jusqu’au bout, avec l’appui des deux grands pays auxquels nous sommes attachés par tous les liens de notre histoire l’Angleterre à qui nous avons gardé une foi sans réplique, la France qui vit toujours dans notre souvenir

Faut-il dire l’éclat de ces batailles ? L’héroïsme du sergent Rousseau ; le geste du major Namèche, dont le corps garde encore les ruines du fort de Chaudfontaine ; la médaille militaire sur la poitrine du roi Albert ; Liège, résistant à 120,000 Allemands, décorée de la Légion d’honneur ; le général Leman à qui un vainqueur étonné n’a pu enlever son épée ; la vaillance obscure, mais si touchante, des petits, des sans grades, de tous ceux dont le faisceau gagne les victoires ?

Faut-il dire aussi les deuils qui ont assombri cette terre valeureuse ?

Il y a des êtres devant qui le cœur s’émeut d’amour ou de pitié : un vieillard qui souffre, un enfant qui sourit, une femme qui pleure. Ce sont les faibles, ceux qui ne peuvent pas faire mal et qui ne savent qu’aimer. Il y a des choses devant lesquelles l’homme se découvre, respectueux : les cathédrales, auguste prière des siècles, les bibliothèques silencieuses qui devraient être immortelles. Il y a des choses qui sont la vie d’un peuple et sur lesquelles l’histoire s’accumule chaque jour jusqu’à former une civilisation. Il y a des êtres et des choses auxquels on ne touche pas sans les profaner. Sur tout cela une main criminelle s’est pourtant crispée. Nous avons tout à coup eu l’horrible vision de la barbarie. Certes, vous avez souffert plus qu’aucun autre peuple ! Nous ne pouvons pas vous rendre vos mères, vos épouses et vos enfants ; mais nous ferons tout pour que ces cruautés soient vengées et que votre peine immense soit un peu apaisée par nous.

Enfin, Messieurs, voici notre dernier vœu. Il fut formulé par une femme belge, madame Vandervelde. Nous l’avons recueilli pour en faire notre plus cher espoir.

Plus tard, lorsque le sort des armes en aura décidé ; lorsque les alliés auront signé ce qu’on appellera le traité de Berlin, pour mieux le clouer dans l’histoire ; lorsque tout sera terminé et que la justice aura vaincu ; lorsque les troupes reviendront vers Paris, qui, demain comme hier, apportera à tout acte d’héroïsme la consécration de sa gloire, souhaitons voir, précédant les soldats russes, lourds de leurs victoires, précédant les chers fantassins français, alertes et gais, précédant les soldats anglais, impassibles et tenaces ; s’avancer au chant de la Brabançonne, où perce un appel de clairon, les glorieux soldats de la Belgique, restés debout dans la lumière d’une Europe nouvelle ; de la Belgique, pays du droit vengé, des libertés conquises, de la parole gardée fût-ce dans le suprême silence de la mort !

  1. Allocution prononcée lors de la réception faite par les citoyens de Montréal à MM. Carton de Wiart, Paul Hymans et Émile Vandervelde, délégués de la Belgique, le 24 septembre 1914.