Au fond des bois/Printemps

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Printemps


Le semeur esquisse dans la plaine son geste divin. Les sapins reprennent leur vieille sève, la Terre retrouve sa beauté perdue, et la vie joyeuse chante dans les grands chênes. Salut ô printemps, saison de promesse et de résurrection ! J’ai revu la corneille au plumage noir comme la nuit, et son cri est un cri d’espérance. Il dit son merci au soleil, aux feuilles, aux bourgeons nouveaux, aux parfums, aux moucherons ; il dit sa gratitude aux torrents de jeunesse et de lumière, aux sèves en mouvement qui montent à l’assaut de tout comme une armée triomphale… Tous les rêves se sont ranimés. Rêves des jeunes amoureux attendant la bien-aimée à la lueur des « clairs d’étoiles » ; rêves du laboureur comptant sur les champs pleins d’épis ; rêves de la fermière admirant ses légumes abondants et dorés ; rêves du pauvre vieux espérant un regain de santé. Tous les rêves sont éveillés et font une ronde lumineuse dans la réjouissance printanière.

Les jeunes buissons sourient à côté des arbres vénérables. Voici que le jour danse autour des futaies et que le feuillage des peupliers frissonne dans la lumière. Les petites sources gazouillent à l’ombre des bouleaux. La forêt s’habille d’un manteau de soleil. Les violettes sauvages, tremblantes et timides, lèvent vers le jour leurs petites têtes, semblables à de minuscules clochettes. Les hauts cerisiers, les frêles aulnes, les bruyères odorantes, les broussailles en dentelle, tout s’agite, tout se redresse, tout vibre. Sous les branches qui craquent on entend le chant de l’eau vive, et le vent semble balayer une poussière d’or…

C’est l’heure des rayons, des senteurs, des calices ouverts, des ailes revenues. Les coqs chantent, les fenêtres s’ouvrent, les portes grincent. Les enfants, en robes pâles, tournent autour des vieux saules. Les moutons, lentement, s’en vont paître le long des sentiers. La cloche des vaches résonne dans la brousse lointaine, et les roues se lamentent dans l’ornière des routes.

Ô printemps, sous ton haleine de feu l’hiver interminable a fui, et l’homme des champs se remet à espérer ! Il espère en la moisson prochaine qui germe au sein de la terre maternelle. Déjà il rêve à ces longs épis que Dieu fera naître et qui vont se balancer dans le jour éblouissant. Et ce sera là l’œuvre de ses mains. Il se retrouve grandi en se voyant nécessaire. Et tandis que les jours viennent vers lui chargés de promesses, il revoit sous la lueur de la lampe sa femme et ses enfants, réunis pour manger le pain quotidien.

Salut printemps, saison d’espoir ! Voici l’heure d’aimer davantage la vie avec ses « petits bonheurs ». Je songe au grand saint d’Assise, « le Petit Pauvre », qui tombait en extase en écoutant le chant des oiseaux. N’est-ce pas là pour nous une sublime leçon ? Aimons la campagne, aimons la nature, richesse des pauvres, joie des simples et des sages. Soyons heureux des blancs nuages qui passent, du vert rajeuni des montagnes, du bégaiement des feuilles, du bavardage des petits ruisseaux, du miroitement des lacs sous les branches, et du murmure des fontaines aux pleurs d’argent. Nous respirerons encore la vivifiante odeur des sapins et la fraîche senteur des fougères, qui se penchent comme des cierges vivants sous la voûte du ciel. Nos pieds fatigués fouleront encore la douce et légère mousse des savanes, qui s’étend comme une écharpe de soie sur les épaules de la Terre. Nous pourrons apercevoir, comme jadis, du fond de sa grotte de verdure, le charmant petit écureuil aux yeux vifs, qui nous regarde, curieux et surpris.

Et voici l’heure aussi d’aimer davantage notre pays. Que toutes les fibres de notre âme se rattachent à la terre natale, comme la racine des arbres et la tige des épis qui trouvent une force nouvelle dans le sol nourricier ! Voici que les splendides moissons canadiennes vont chanter bientôt l’hymne de la survivance à travers le grand vent qui souffle sur nos plaines. Le prodigieux et rapide été bondit sur les bords de notre fleuve, de nos collines et de nos monts. Fixons les yeux sur notre pays ; aimons-le d’un amour intense. Il est riche, il est fécond, il est glorieux. Rendons-lui en amour ce qu’il nous donne en bienfaits…

Saluons le printemps canadien qui sort des blanches neiges !