Au fait, au fait !!! Interprétation de l’idée démocratique/2

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II.

Il y a quelques mois, quand il s’agissait d’élire des mandataires pour procéder à la liquidation des gouvernements morts, ceux qui avaient vu des peuples sans tutelle, des peuples majeurs ; ceux qui, trop fiers pour être ambitieux, faisaient consister leur égoïsme démocratique à n’appartenir à personne ; ceux enfin dont le visage n’avait jamais été vu dans les antichambres d’aucun régime ; les vrais démocrates, les gentilshommes de l’humanité ont pu parler de la République, et son nom ne s’est pas souillé en passant sur leurs lèvres.

Ceux-là disaient, ou pouvaient dire, en parlant des membres du gouvernement provisoire :

Ne comptons pas sur des théoriciens verbeux pour asseoir la démocratie en France, pour introduire la liberté dans la pratique des faits sociaux.

Il y a de grandes intelligences au conseil improvisé, mais ces grandes intelligences ont conservé intacts et l’appareil gouvernemental des monarchies, et l’organisme administratif des constitutions condamnées ; mais ces grandes intelligences n’ont point abrogé la législation organique, qui avait pour base les constitutions condamnées ; mais ces grandes intelligences se sont attribué tous les pouvoirs dont l’usurpation avait été le crime des royautés condamnées.

Ils disaient encore ou pouvaient dire :

M. de Lamartine a écrit une Robespierréïde où se trouve consacré le principe autocratique de la personnification de la démocratie, et cette doctrine ne peut cesser d’être un rêve de poète que pour devenir un attentat à la façon russe ou chinoise : — Jugé !

M. Ledru-Rollin fait de l’exclusivisme comme en faisait M. Guizot : — Jugé !

M. Louis Blanc aristocratise l’atelier : — Jugé !

Tous ces hommes qui disent que la France a reconquis ses libertés tiennent effectivement dans la main et ne veulent pas lâcher les libertés de la France.

Tous ces hommes qui disent que le peuple doit se gouverner, gouvernent réellement le peuple.

Il y a là des rêveurs ou des ambitieux, mais pas un démocrate.

Et ceux qui argumentaient ainsi exprimaient une opinion bien respectable, car c’était l’opinion de la France, de cette France qui ne veut que deux choses toutes simples et fort légitime : être libre et payer peu.

À cette époque dont je viens de parler, époque que j’appellerai républicaine puisque l’autorité était publique, puisque tous les citoyens au lieu de se rattacher à un gouvernement qui n’existait que de nom, se rattachaient au pays, seul fait immuable, et éprouvaient le besoin de se serrer fraternellement la main ; à cette époque, dis-je, qui a précédé la réunion de l’Assemblée Nationale, on pouvait parler de la République : il n’y avait plus de partis alors, il n’y avait que le parti du bon sens, le parti de la moralité publique établie, en fait, sur la loi démocratique de la confiance en chacun, et sanctionnée par la sécurité de tous.

Alors, quand on parlait de la République, tout le monde savait ce que cela voulait dire.

Aujourd’hui, dès que j’ai prononcé ce mot, on se demande autour de moi de quelle couleur est la république dont je veux parler ; et le maire de ma commune, qui n’est quelqu’un qu’à la condition d’être quelque chose, demande au préfet l’autorisation de me faire arrêter.