Au couchant de la monarchie
Revue des Deux Mondes5e période, tome 54 (p. 41-74).
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AU
COUCHANT DE LA MONARCHIE[1]

VI.[2]
LA DISGRACE DE TURGOT


I

L’équilibre du ministère reposait tout entier sur l’entente politique entre Turgot et le comité de Maurepas. Que cette union fût définitivement détruite, la combinaison s’écroulait, tout était remis en question. C’était donc sur ce point vital que devait se porter l’effort des adversaires du Cabinet, et c’est ce que saisirent fort bien les petits Machiavel de la société de la Reine. Nous retrouvons encore ici l’initiative du baron de Besenval. Dans une conversation qu’il eut avec Mme de Polignac, tous deux tombèrent d’accord que « l’on ne pouvait se flatter d’ébranler le crédit de M. de Maurepas, » que, « ne pouvant rien contre lui, » il était à souhaiter qu’on le rapprochât de la Reine, afin de l’avoir dans son jeu[3]. Cette résolution prise, on se partagea la besogne ; Mme de Polignac se chargea de la Reine, Besenval de Maurepas. Chacun d’eux s’acquitta heureusement de son rôle. Les argumens dont se servit Besenval pour décider Maurepas les peignent au vif l’un et l’autre : « Je consens, lui dit le baron, à me lier avec vous et à vous rapprocher de la Reine ; j’y ferai ce que je pourrai. Il vous est plus aisé qu’à qui que ce soit de parvenir à gagner son amitié ; vous êtes gai, très aimable ; en l’amusant, vous pourrez l’instruire. C’est un des devoirs de la place où le Roi vous a mis, et celui qui peut le plus contribuer au bien des affaires et à l’agrément de la Cour. »

C’était prêcher un converti. Maurepas comprit à demi-mot et accepta de se prêter à ce qu’on désirait de lui. La Reine, de son côté, fut aisée à convaincre. Une entrevue fut arrangée entre elle et le Mentor. Une fois de plus, Maurepas promit son dévouement, Marie-Antoinette sa confiance ; ils échangèrent les plus gracieux propos. Louis XVI, qu’on avait eu soin d’avertir, entra pendant cette scène touchante : « Sire, s’écria Maurepas, vous voyez l’homme le plus heureux, le plus pénétré des bontés de la Reine, et qui n’existera dorénavant que pour lui en témoigner sa reconnaissance et lui prouver son zèle ! » La Reine parla de même, toutefois avec moins de chaleur : « J’ai reconnu, dit-elle, que j’étais dans l’erreur au sujet des sentimens de M. de Maurepas. Je vous déclare que je suis contente de lui. » Le Roi, rapporte l’abbé de Véri, « courut alors à elle pour l’embrasser, en serrant d’une de ses mains celle de M. de Maurepas. La Reine, se soulevant de son canapé pour répondre aux caresses du Roi, laissa tomber sa coiffure, que M. de Maurepas se trouva à portée de relever, tandis qu’il se baissait pour baiser la main du Roi. Tout cela produisit un mélange d’attendrissement et de gaîté[4]. »

Un accommodement analogue eut lieu entre Maurepas et la comtesse de Polignac, qui, jusqu’alors, plutôt méfiante à l’égard du vieil homme d’Etat, fit soudain volte-face et prôna ses mérites avec une telle ardeur que quelques personnes de la Cour en conçurent des soupçons : « J’ai découvert et fait voir à la Reine, mande l’ambassadeur autrichien[5], que la comtesse de Polignac était manifestement gagnée et conduite par le comte de Maurepas. Mes preuves à cet égard ont acquis le plus grand degré d’évidence à la suite des propos que la comtesse a hasardé d’insinuer, pour persuader la Reine qu’il serait de son intérêt de déterminer le Roi à nommer le comte de Maurepas premier ministre. » Mercy revient, à quelques jours de là, sur les rapports « plus que suspects » établis secrètement entre la favorite et le conseiller de Louis XVI, ainsi que sur l’utilité de mettre la souveraine en garde contre l’union de ces deux puissans personnages. Peine perdue ; la coalition a désormais un chef ; elle marche vers un but précis, dont nul ne parle ouvertement, mais que chacun poursuit dans l’ombre : le renversement de Turgot, la destruction de ses réformes.

Certaines imprudences du ministre, qu’on ne peut passer sous silence, servirent singulièrement les projets de ses adversaires. Rude avec ses contradicteurs comme nous le connaissons, il avait des faiblesses pour ceux qui flattaient ses idées et se proclamaient ses disciples. Sa droiture, sa candeur, l’ardeur même de ses convictions, l’entraînèrent ainsi plus d’une fois à protéger des hommes qui méritaient peu sa confiance. De cette crédulité fâcheuse il me serait aisé de multiplier les exemples ; je n’en rapporterai qu’un seul, caractéristique, il est vrai, par l’importance du personnage et par le tort que fit cette aventure au prestige de Turgot. Je veux parler de Jean Devaines[6], type curieux de cette race de gens qui, partis de plus ou moins bas, prétendent arriver à tout prix et s’accrochent, pour s’élever, à ceux dont leur instinct subtil a su deviner la fortune. Fut-il vraiment « fils de laquais, » comme l’ont écrit quelques mémorialistes ? Une ombre plane sur sa naissance et sur ses débuts dans la vie. Toujours est-il qu’il marcha d’un pas leste, tour à tour secrétaire d’un intendant de province, puis d’un riche fermier général, ensuite rédacteur officieux des gazettes du duc de Choiseul, se glissant par cette voie dans l’intimité de Diderot, de Suard, de Morellet, des chefs de l’Encyclopédie, enfin directeur des domaines à Limoges, où Turgot était intendant. Il semble avoir, l’un des premiers, pressenti les hautes destinées de son voisin de résidence. Dans tous les cas, il s’appliqua dès lors, avec un plein succès, à gagner le cœur du grand homme, épousant toutes ses théories, entrant dans toutes ses vues et se pliant à tous ses goûts. Plusieurs années durant, le parvenu vaniteux et épris de luxe, insolent avec ses égaux et familier avec les grands, dont nous ont laissé le portrait ceux qui l’ont rencontré plus tard au temps de sa prospérité[7], prend la figure d’un philosophe austère, détaché des biens de ce monde, ennemi et dédaigneux du faste. « Point de jeu, point de valet de chambre, en un mot la plus grande simplicité, c’est-à-dire au ton de M. Turgot ; » ainsi le jugent ceux qui fréquentent chez le contrôleur général[8].

Comment Turgot se serait-il défié d’un si fidèle disciple ? A peine est-il installé au contrôle, qu’il mande Jean Devaines[9]à Paris, en fait le premier commis des finances, un personnage considérable, qui dispose des emplois et qui manipule les millions. Cependant, avec les grandeurs, commence l’ère des tribulations. En juillet 1775, un sieur Blonde, avocat, lance un pamphlet, où, sous couleur d’éclairer le ministre, il attaque son « bras droit » avec une impressionnante précision, dénonçant les spéculations, les pots-de-vin reçus, les malversations de toute sorte. La brochure fait grand bruit ; Devaines semble « accablé sous ce coup de massue. » Mais Turgot fait tête à l’orage ; il a confiance dans son commis, il le défendra publiquement, avec une chaleur généreuse. Il demande et obtient pour lui la place de « lecteur ordinaire de la Chambre du Roi, » qui donne droit aux « entrées, » et il l’en informe aussitôt, par une lettre qu’il l’autorise à rendre publique à son gré : « Je me devais à moi-même de montrer authentiquement mon mépris pour des calomnies atroces. Il est dans l’ordre que vous y soyez exposé, vous, tous ceux qui ont quelque part à ma confiance, et moi peut-être plus que personne. Trop de gens sont intéressés au maintien des abus, pour que tous ne fassent pas cause commune contre quiconque s’annonce pour vouloir les réformes… Je vous prêche la morale que je tâcherai de suivre pour moi-même. Si la raison ne peut dissiper entièrement l’impression que vous a faite cet amas d’atrocités, je souhaite que l’assurance de mon estime et de mon amitié vous serve de consolation[10]. »

Ce baume est à peine appliqué, que la blessure se rouvre. Une deuxième bombe éclate, un réquisitoire mieux écrit, plus modéré que l’autre, et plus redoutable d’autant : Lettre écrite à M. Turgot par un de ses amis. On soupçonne d’en être l’auteur, — l’inspirateur du moins, — un fermier général du nom de Gérard de Mesjean, « secrétaire des commandemens de M. le Comte de Provence. » Nouvel émoi dans le public, nouvel affolement de Devaines, nouveau geste de protection du contrôleur général. Sur son ordre, on perquisitionne chez le secrétaire de Mesjean, la police interdit la vente de la brochure, les colporteurs sont pourchassés, l’un d’eux est mis à la Bastille, où Blonde, l’auteur de la première attaque, ne tarde pas à le rejoindre. Ces mesures aggravent le scandale ; le parlement s’agite et délibère, toutes chambres assemblées, au sujet des arrestations. Chacun attend avec une curiosité impatiente le grand procès engagé par Devaines pour démontrer son innocence. Hélas ! cette attente est déçue… Après quelques semaines, le plaignant se désiste, les prisonniers sont libérés, le silence se fait sur l’affaire ; personne jamais n’en pénétrera le mystère. Ce qui reste de cette histoire, c’est non seulement un fâcheux discrédit pour le héros de l’aventure, mais les éclaboussures qui rejaillissent sur son patron et son obstiné protecteur. Nul ne suspecte assurément l’exacte probité, la parfaite bonne foi de Turgot, mais on doute de sa clairvoyance, de son talent à discerner les hommes ; et l’on imagine le parti que peuvent tirer de l’incident ceux qui ont intérêt à le desservir près du Roi.


II

Les insinuations personnelles font cependant moins d’effet sur l’esprit du maître que les murmures contre les actes. Construits avec absolutisme et appliqués avec raideur, les édits de Turgot provoquaient maintenant les critiques de ceux-là mêmes qui les acclamaient au début. De fait, cette réaction était peut-être inévitable. Toute réforme profonde, avant d’être entrée dans les mœurs, amène quelques perturbations, un désarroi dans les vieilles habitudes, certains désordres passagers. Les erreurs de détail rendent les contemporains injustes envers les bienfaits de l’ensemble, et le présent leur cache l’avenir. Les innovations de Turgot traversaient cette phage difficile. Le renchérissement survenu à la suite de l’édit sur la circulation des grains n’avait pas encore disparu, et la loi qui portait suppression des corvées, en grevant d’un impôt nouveau les gros propriétaires fonciers, les forçait, disait-on, à vendre à plus haut prix le produit de leurs terres. Il est certain que le pain se maintenait au-dessus du taux habituel, « mal plus réel pour le peuple, écrivait le duc de Croy, que sa gêne d’auparavant. » On se racontait à l’oreille que le contrôleur général, tout en interdisant les magasins de blé, était bien obligé, pour assurer la nourriture du peuple de Paris, de recourir à ce qui subsistait encore des approvisionnerons jadis faits par l’abbé Terray[11].

L’abolition des maîtrises et jurandes était une autre cause de trouble. Dans nombre d’ateliers, à Paris et dans les grandes villes, les ouvriers, affranchis par la loi, avaient, sans crier gare et du jour au lendemain, « planté là leurs patrons » et interrompu le travail. « Ce n’est qu’en haussant les salaires que l’on peut à présent parvenir à s’en procurer, » écrit au prince Xavier de Saxe un de ses correspondans habituels[12]. Des incidens se produisaient, qui, de nos jours, passeraient inaperçus, mais qui excitaient en ce temps la stupeur et l’indignation de la bourgeoisie parisienne. On citait, par exemple, le cas d’un maître serrurier qui, ayant accepté une forte commande à date fixe, voyait « tous ses garçons, » débauchés par l’un d’eux, le quitter brusquement, sans avertissement préalable, et laisser la besogne en plan. Désespéré de ne pouvoir terminer ni livrer l’ouvrage, « le malheureux homme » portait plainte au commissaire de son quartier : les « déserteurs, » admonestés, menacés de Bicêtre, narguaient impertinemment la police, qui s’avouait enfin impuissante et laissait ruiner le patron[13]. Ces scènes, journellement renouvelées, répandaient, disait-on, parmi la population ouvrière, l’habitude du désœuvrement et, par suite, de l’ivrognerie, et la police avait beaucoup à faire pour réprimer tous les excès commis dans les faubourgs. « Tous ces faits, ou vrais, ou controuvés, ou exagérés, sont colportés de bouche en bouche, conclut la relation d’où j’ai tiré ces traits, et les clameurs qu’ils produisent dans la bourgeoisie s’élèvent contre la besogne de M. Turgot. » Tout Paris répéta le mot attribué à l’abbé Terray : « Pendant mon ministère j’ai fait le mal bien, et M. Turgot fait le bien on ne peut plus mal. »

Aussi voit-on bientôt une pluie de récriminations, de plaintes au sujet des édits, s’abattre sur le parlement, lequel profite de l’occasion pour satisfaire ses vieilles rancunes. Un arrêt dogmatique émané de ce corps rappelle les lois fondamentales de la société, « ébranlée en ce moment par des esprits inquiets, » recommande aux vassaux, aux paysans, aux artisans, de ne se point écarter de leurs devoirs d’obéissance, « dont nul fantôme de liberté ne peut ni ne doit les relever. » Cet arrêt, d’après les on-dit, devait être bientôt suivi de remontrances au Roi, pour dévoiler les conséquences des « prétendues réformes » et dénoncer solennellement « au tribunal de la nation » le mal déjà fait à la France par le contrôleur général.

Les méfaits dont on accusait les réformes réalisées redoublaient la défiance à l’égard des nouveaux projets que Turgot portait dans sa tête et que l’on soupçonnait vaguement, sans en savoir au juste la nature. Mieux renseignés que les contemporains, nous en connaissons les grandes lignes. Un mémoire rédigé, ébauché plutôt, par Turgot, peu de semaines avant sa chute et publié après sa mort par Dupont de Nemours, nous a livré le fruit secret de ses méditations. Ce programme gigantesque comportait une refonte complète de l’ancienne administration française, un système ingénieux d’assemblées électives, paroissiales, provinciales, urbaines, couronnées au sommet par une manière d’assemblée nationale qui siégerait à Versailles et que Turgot appelait « la grande municipalité, » une assemblée qui n’aurait point de pouvoir politique, et dont la fonction essentielle serait d’organiser et de répartir l’impôt. Par ce système affirmait hardiment Turgot, « au bout de quelques années, le Roi aurait un peuple neuf et le premier des peuples. Le royaume s’embellirait chaque jour comme un fertile jardin. L’Europe, rire, vous regarderait avec admiration et respect. » A quel moment précis ce document fut-il communiqué au Roi, la chose est incertaine ; mais il est établi que Louis XVI en eut connaissance et qu’il ne crut guère à l’âge d’or que prophétisait son auteur, ainsi qu’en témoignent ces lignes inscrites par lui en marge du mémoire[14] : « Le passage du régime aboli au régime que M. Turgot propose actuellement mérite attention. On voit bien ce qui est, mais on ne voit qu’en idée ce qui n’est pas, et on ne doit pas faire des entreprises dangereuses, si on n’en voit pas le bout. » — « J’ignore, dit-il plus loin, si la France gouvernée par les élus du peuple et les plus riches serait plus vertueuse… Je trouve, dans la suite des administrateurs nommés par mes aïeux, et dans les principales familles de robe et même de finance, des administrateurs qui auraient illustré toutes les nations connues. »

Je n’ai pas à juger ici le mérite intrinsèque de ces conceptions de Turgot, les avantages ou les inconvéniens qui eussent pu résulter de leur application ; mais on conçoit qu’une révolution si hardie ait pu effaroucher Louis XVI et l’inquiéter sur la sagesse de son contrôleur général. Tout ce qu’il entendait était d’ailleurs bien fait pour augmenter ses craintes. De quelque part qu’il se tournât, des doléances, des récriminations et de funestes prédictions retentissaient à ses oreilles. J’ai tour à tour énuméré l’hostilité des grands, l’anathème du clergé, le trouble de la bourgeoisie, la haine du parlement. Turgot n’est guère plus épargné par ceux qui siègent auprès de lui dans les conseils du Roi. Si l’on en excepte Malesherbes, il n’y compte plus un seul ami. Nous connaissons l’attitude de Maurepas, qui le crible de ses railleries, qui murmure d’un ton d’ironie : « Il est trop fort pour moi[15], » qui, passé maître en l’art de ridiculiser toutes choses, « transforme les nouveaux systèmes en projets romanesques, en rêves et en chimères, qu’il est insensé de concevoir et dangereux d’adopter[16]. » C’est aussi Saint-Germain, blessé de voir ses comptes soumis à la révision d’un collègue, s’efforçant à secouer le joug et se rapprochant du Mentor dans l’espérance de sortir ainsi de tutelle[17]. Et c’est encore Sartine, gagné, dit-on, par le parti Choiseul[18], s’associant sournoisement aux manœuvres d’un intrigant dans le procès scandaleux qu’il intente au président Turgot, frère aîné du ministre. En discréditant sa famille, on compte atteindre du même coup le contrôleur lui-même. Vergennes et Berlin restaient neutres et gardaient un silence prudent ; mais leur réserve froide était sans bienveillance.

Surpris, déconcerté par cette levée de boucliers, Louis XVI, au, fond du cœur, s’en prenait à celui qui, l’an dernier si populaire, s’était si promptement attiré la désaffection générale. Un trait rapporté par Véri nous révèle sa pensée intime. Comme il félicitait Malesherbes d’avoir échappé jusqu’alors aux attaques du public : « C’est sans doute, répondait celui-ci en souriant, que je remplis mai la place que Votre Majesté m’a donnée ; car, si je m’en acquittais bien, je ferais une foule de mécontens. » Alors le Roi, avec une mélancolique amertume : « Ce serait donc comme M. le contrôleur général, qui ne peut jamais être aimé ! »

Comme pour donner corps au mouvement, un puissant adversaire entrait tout à coup dans la lice et résumait tous les griefs dans un réquisitoire d’une acre et brûlante éloquence. Le 1er avril 1776, une brochure anonyme[19], répandue, dans la capitale, provoquait une sensation vive, car l’auteur, disait-on, était le propre frère du Roi, le Comte de Provence. S’il n’avait pas tenu la plume, on ne doutait pas, en tout cas, qu’il n’eût inspiré ce libelle, véhémente philippique contre le ministère et spécialement contre Turgot. « Il y avait en France, y lit-on, un homme épais, lourd, né avec plus de rudesse que de caractère, plus d’entêtement que de fermeté, plus d’impétuosité que de tact, charlatan d’administration ainsi que de vertu, fait pour décrier l’une et dégoûter de l’autre, du reste sauvage par amour-propre, timide par orgueil, aussi étranger aux hommes, qu’il n’avait jamais connus, qu’à la chose publique, qu’il avait toujours mal aperçue… C’était une de ces têtes demi-pensantes, qui adoptent toutes les visions, toutes les manies gigantesques. Nuit et jour, il rêvait philosophie, liberté, égalité, produit net. On le croyait profond ; il était creux. Il s’appelait Turgot… » Tous les actes du contrôleur sont passés en revue, habilement travestis, présentés sous un jour perfide. Il n’est pas jusqu’à la répression de l’émeute pour les blés qui n’y soit appréciée en termes que, quinze ans plus tard, n’auraient pas désavoués les chefs de la Révolution : « Turgot déploie le grand étendard de la liberté. Le peuple, prenant la liberté au pied de la lettre, se soulève. Turgot appuie ses raisonnemens de la force. Il prêche très militairement ce pauvre peuple, son bien-aimé ; il emprisonne, il fait pendre. Il se méprend, par exemple, sur les vrais coupables. N’importe ; ce qui est pendu est bien pendu ; le calme est rétabli en France. » Le Roi, poursuit l’auteur, abusé par « ce faux prophète, » et dont « ce prétendu grand homme annihile toutes les volontés, » le Roi, livré aux mains de son ministre, n’est plus « qu’une sorte de mannequin. » Ses ancêtres jadis régnaient sur un seul peuple ; grâce à Turgot, qui a « décomposé l’État, » Louis XVI en tient deux sous son sceptre : l’un, — les privilégiés, — qu’il est « devenu juste de fatiguer » et de dépouiller à merci ; l’autre, — les roturiers, — que l’on s’applique « à caresser, à rendre libre et insolent. » Quel sera, dans ces conditions, le prochain avenir de la France, l’auteur n’hésite pas à le dire : Turgot, si on lui en laisse le loisir, « renversera la monarchie, » et il « restera seul debout au milieu des ruines. »


III

Parmi de tels assauts, dans cette marée montante d’injures, Turgot conservait son sang-froid et poursuivait sa tâche avec une constance héroïque. « La tranquillité d’âme et, je puis dire, la gaîté sont toujours dominantes chez lui, témoigne un homme qui vit dans son intimité. En butte à toute la Cour, haï des financiers qui veulent sa chute, contredit par les parlementaires, étourdi des cris que l’on fait pousser à cette populace de Paris pour laquelle il combat, abandonné par les ministres, jalousé par ses confrères médiocres, aidé seulement dans ses vues par M. de Malesherbes, dont les bourrades d’impatience pour quitter le ministère le découragent plus que tous les autres embarras, c’est dans ces conditions qu’il a l’âme calme et qu’il suit avec persévérance ses plans, sans jamais rien sacrifier à des considérations qui ne soient pas fondées sur le bien de l’Etat[20]. » S’il est un reproche à lui faire, c’est bien plutôt sur son indifférence, sur son silence de parti pris, où perce du dédain pour ses contradicteurs. Il va jusqu’à se refuser à informer le conseil des ministres des résultats heureux de son administration financière. Certain jour que Véri l’engage à publier, dans un tableau succinct, les sommes épargnées au Trésor par ses opérations, les avantages réalisés dans les divers services : « Que voulez-vous ? objecte-t-il, il me semble que l’on ne va dire ces choses-là que pour s’en faire un mérite. Cette idée m’arrête. » Pour qu’il consente au moins à renseigner Louis XVI, l’abbé doit lui faire observer que « son devoir est de mettre le Roi au courant des affaires de la France, qui sont aussi les siennes. » Détachement excessif, où peut-être entre-t-il moins de modestie que d’orgueil.

Ce calme et cette sérénité ne tinrent pas cependant devant la perspective de la retraite imminente de Malesherbes, dont la nouvelle se répandit aux derniers jours d’avril. Rien, à vrai dire, n’était moins imprévu. Depuis qu’il s’était résigné à accepter le ministère, pas un jour ne s’était passé que Malesherbes n’eût déploré son inutilité et gémi sur son impuissance, qu’il n’eût dénoncé les intrigues qui paralysaient, disait-il, tous ses efforts pour faire le bien, pour réformer les multiples abus qui blessaient sa conscience. Du moins prétendait-il, selon son expression, « sauver par sa démission volontaire un quart de son honneur, craignant d’avoir perdu les trois autres quarts depuis le peu de temps qu’il était en place[21]. » Ce découragement, sans nul doute, tenait pour une bonne part au caractère de l’homme ; il faut reconnaître pourtant qu’il n’était pas injustifié.

Une des premières difficultés qu’il avait rencontrées venait de « l’administration des lettres de cachet, » qui ressortissait au ministère de la Maison du Roi. L’abus en avait été criant sous Louis XV ; l’abolition de ce procédé arbitraire était l’un des dogmes sacrés du credo encyclopédique. Lorsque le « parti philosophe » était arrivé aux affaires, il avait fallu, malgré tout, subordonner la rigueur des principes à la raison d’Etat. Turgot, tout le premier, avait senti la nécessité de fléchir ; à Sénac de Meilhan, qui lui envoyait un mémoire pour le rappeler à ses idées d’antan, il répondait d’un ton embarrassé : « J’applaudis aux principes d’humanité et de justice que vous développez… Mais, dans cette espèce de conflit entre la loi et l’autorité, pour établir des principes fixes, il faudrait peut-être distinguer entre les lois faites et les lois à faire. Je crois que, dans l’état actuel des lois et de la police, les actes particuliers d’autorité peuvent être souvent nécessaires, et il est bien difficile d’y éviter tous les abus[22]. » Malesherbes, comme Turgot, en prenant le pouvoir, avait fait amende honorable. Il avait consenti au maintien d’une pratique ancienne, laquelle, d’ailleurs, observait justement Vergennes, ne s’exerçait le plus souvent que dans l’intérêt des familles, le Roi « usant des lettres de cachet pour empêcher le scandale et le déshonneur » et « se prêtant à corriger pour empêcher la justice de punir[23]. » Mais, sans abolir le système, il entendait en restreindre l’usage et en atténuer la dureté. Son premier soin, lorsqu’il se vit ministre, fut de soumettre à une révision minutieuse les hôtes des citadelles et des prisons d’Etat, de rechercher scrupuleusement les prisonniers détenus par une décision arbitraire et sans raisons valables. On prétend que, dans toute la France, il n’en put découvrir que deux rentrant dans cette catégorie[24]. Non content de cette précaution, il aurait voulu obtenir qu’il ne fût lancé à l’avenir nulle lettre de cachet sans un examen préalable dans le conseil du Roi. Mais là il se heurta à une résistance invincible. Il fallut, pour chaque-cas nouveau, batailler, soit contre le Roi, soit contre un des ministres ; de là des conflits incessans. Plus d’une fois, rapporte Hardy, le Roi prit le parti de faire expédier par Bertin telle lettre de cachet refusée par Malesherbes, de même qu’on vit Louis XVI, devant les sollicitations des personnes de son entourage, on arrêter telle autre que le ministre avait jugée « de nécessité indispensable[25]. »

Chacun de ces légers déboires emplissait d’amertume l’âme sensible et douce de Malesherbes. Rebuté par le moindre obstacle, il désertait la lutte, se renfermait dans une inaction désolée, que lui reprochaient ses amis. « Particulier, écrit Condorcet à Voltaire, il avait employé son éloquence à prouver aux rois et aux ministres qu’il fallait s’occuper du bien de la nation ; devenu ministre, il l’emploie à prouver que le bien est impossible. » C’est, au reste, ce dont il convenait lui-même quand il lançait cette boutade familière : « M. de Maurepas rit de tout, M. Turgot ne doute de rien, et moi je doute de tout et je ne ris de rien. Voilà un f… ministère[26] ! »

L’échec de son grand projet de réformes dans la Maison du Roi vint achever son dégoût. Des différens chapitres de dépense, c’était assurément, selon sa judicieuse remarque, celui où les abus provoquaient le plus de scandale, celui où l’on pouvait « tailler » avec le moins de scrupules : « Dans la Guerre, la Marine, les Affaires étrangères, écrivait-il au Roi, en même temps qu’on demande la diminution des dépenses, on craint aussi de diminuer les forces du royaume ; dans la Maison du Roi, on n’a pas la même crainte. » Aussi préparait-il, d’accord avec Turgot, « un plan général de réformation économique. » Ce plan fut prêt en avril et soumis sur-le-champ à l’examen de Maurepas. Ce dernier jeta les hauts cris ; pas une des mesures proposées ne trouva grâce à ses yeux. Il eût sans doute cédé devant une ferme volonté et une longue insistance ; Malesherbes, semble-t-il, n’essaya même pas de la lutte. Discuter, se fâcher, imposer ses résolutions, nul rôle ne convenait moins à ce charmant rêveur, aussi éloquent et habile dans le maniement des idées que gauche et désarmé dans la bataille contre les hommes. Sa démission, de ce moment, fut arrêtée dans son esprit ; ce fut bientôt chez lui un désir maladif. Maurepas, loin de le retenir, parait avoir tout fait pour l’y encourager. En écartant le seul allié que le contrôleur général conservât dans le ministère, en isolant Turgot dans le conseil du Roi, il se sentait sûr de sa chute, et il se saisit de l’atout avec son astuce ordinaire.


On ne sait à quelle date précise Louis XVI fut informé de la décision de Malesherbes. La lettre qu’on va lire indique du moins qu’au début de cette crise il n’y eut pas d’explication verbale entre le Roi et son ministre. Cette lettre, écrite par Malesherbes à Louis XVI au mois d’avril 1776[27], est empreinte d’une émotion grave qui gagne le lecteur, et je me reprocherais de ne pas citer en entier ce qui en est parvenu jusqu’à nous :

« Sire, il y a huit jours, j’ai osé représenter à Votre Majesté que c’est un état fâcheux et embarrassant que celui d’un de vos ministres, qui, n’ayant reçu aucune autre preuve de mécontentement de Votre Majesté, est privé de la liberté de lui parler à Elle-même sur tout ce qui doit le plus l’intéresser. J’ose ajouter aujourd’hui que l’état incertain où je suis nuit aux affaires de votre service dans mon département, surtout dans celui de Paris, où les subalternes ne savent à qui ils doivent obéir, du ministre actuel ou de celui qu’ils imaginent devoir être son successeur.

« Une troisième considération m’engage à demander à Votre Majesté la permission de m’expliquer avec Elle-même. Je quitte le ministère pour les mêmes raisons qui me faisaient craindre d’y entrer ; mais, dans ce moment décisif où il faut tout dire à Votre Majesté, je me crois obligé de lui avouer que mon amour pour la liberté et mon peu d’ambition n’étaient pas les seules causes de ma répugnance. Il est vrai que j’aime la liberté, mais je ne crains pas le travail, et Votre Majesté peut croire, d’après la conduite que j’ai eue toute ma vie, que je suis aussi sensible qu’un autre à la gloire la plus flatteuse, qui est celle de rendre au Roi et à l’Etat des services utiles… Je ne me suis donc refusé si longtemps à la place éminente à laquelle on voulait m’appeler que parce qu’il m’était démontré que je ne pourrais pas y remplir l’attente que Votre Majesté avait conçue de moi.

« J’en suis convaincu plus que jamais, depuis que j’ai vu les affaires de plus près. Or, sire, je ne puis m’empêcher d’observer que les raisons qui font désespérer à un ministre de pouvoir faire le bien méritent d’être connues du Roi ; et, si je n’ai pas pu vous servir aussi utilement que je l’aurais voulu, étant en place, il me semble que je suis dans le moment où je puis vous en rendre un plus considérable, en vous exposant au vrai la situation de mon administration[28]… »

L’audience réclamée par Malesherbes eut lieu à quelques jours de là[29]. Des paroles qui s’y échangèrent, nous connaissions seulement la phrase mélancolique échappée à Louis XVI en acceptant la démission de ce bon serviteur : « Vous êtes plus heureux que moi, vous pouvez abdiquer ! » Le Roi exigea seulement l’engagement que cette affaire restât secrète pendant quelques semaines[30]et il pria Malesherbes de garder ses fonctions jusqu’au jour de son remplacement. La promesse fut faite et tenue ; mais, malgré les précautions prises, l’événement s’ébruita vite dans le monde de la Cour, et les compétitions surgirent pour recueillir la succession ouverte.


IV

Si peu surpris qu’il en pût être, ce fut avec un vif chagrin que Turgot apprit la nouvelle de la défection de Malesherbes. C’était, il n’en pouvait douter, un pas fait vers sa propre chute, la ruine presque assurée de ses belles espérances. Il se refusait, malgré tout, à quitter la partie, à renoncer de soi-même à la lutte, à laisser inachevée, sans un effort suprême, la tâche au succès de laquelle il croyait attaché le salut de la monarchie. Faute de l’homme de son choix, du collaborateur en qui il avait mis toute sa confiance, il se raccrochait à l’espoir de rencontrer, dans le successeur de Malesherbes, un auxiliaire, et peut-être un ami. Il est certain qu’il songea pour ce poste à l’abbé de Véri ; Mercy le dit expressément dans sa dépêche officielle du 16 mai ; Véri lui-même le confirme dans son journal[31]. L’intimité qui unissait l’abbé au ménage du Mentor rendait la chose possible, et Mme de Maurepas semble y avoir été un moment favorable. Turgot mit aussi en avant le nom de Bernard de Fourqueux, intendant des finances, bon administrateur et habile financier. Enfin, comme pis aller, il se rabattait sur Sartine, dont il reconnaissait la stricte probité et la capacité réelle. Les griefs personnels qu’il pouvait avoir contre l’homme s’effaçaient en son âme devant l’intérêt des affaires et le souci du bien public.

Entre ces divers candidats, Maurepas flottait irrésolu. Pour le décider à agir, il fallut les exhortations d’un personnage assez médiocre, le fermier général Augeard, esprit fumeux, intrigant subalterne, féru de politique, où il se croyait passé maître. Augeard, dès qu’il fut informé du portefeuille vacant, alla trouver sa tante, la marquise d’Annezaga, parente et amie de Maurepas, laquelle avait pour fils le sieur Amelot, intendant de Bourgogne et conseiller d’Etat. Le dit Amelot était d’une nullité notoire ; sa propre mère ne retint pas un sursaut d’étonnement lorsque Augeard prononça son nom pour la succession de Malesherbes : « Mon fils, objecta-t-elle, est-il capable d’être secrétaire d’Etat[32] ? » Il fallut, pour la rassurer, cette considération qu’étant donnée sa parenté avec le conseiller du Roi, Amelot serait bien dirigé et, malgré « son faible génie[33], » ne ferait sans doute pas « plus de sottises qu’un autre. » Le consentement de la marquise arraché non sans peine, Augeard courut endoctriner Maurepas. Nouvelle explosion de surprise : « M. de Maurepas, confesse Augeard, m’envoya presque promener. » Augeard insista néanmoins et tint au vieux conseiller de Louis XVI ce discours plein de sens : « Prenez-y garde, si vous mettez à ce département un intrigant, ou un être systématique comme M. Turgot, il vous fera enrager. Il faut mettre là un homme absolument à vos ordres… Je sais que M. Amelot n’est pas bien fort, mais vous le guiderez, et ce département-là n’est pas la mer à boire. Donnez-lui un bon premier commis. » Ces mots produisirent leur effet. Après quelques hésitations, le Mentor accepta l’idée, se chargea d’arranger l’affaire. La Reine, mise au courant de la combinaison projetée, s’y rallia sans difficulté ; Louis XVI, devant cet accord, ne fit guère plus de résistance. Il fut implicitement convenu que Malesherbes, en se retirant, serait remplacé par Amelot. Maurepas, trop avisé pour être bien glorieux d’un pareil dénouement, s’en consolait par une boutade : « Au moins, bouffonnait-il, on ne m’accusera pas d’avoir pris celui-là pour son esprit[34] ! »

Turgot apprit par la rumeur publique le nom de son futur collègue. Un tel choix, dans un tel moment, lui causa une douleur et une indignation dont on trouve l’expression dans les lignes brûlantes, et comme jaillies du cœur, que nous a pieusement conservées l’ami auquel s’adresse cette confidence, j’ai nommé l’abbé de Véri. Découragé, peut-être las, du rôle de conciliateur et d’arbitre qu’il remplissait en vain depuis de si longs mois, l’abbé avait quitté Versailles pour se réfugier en Berri, dans une terre de famille. C’est là que lui parvint ce billet de Turgot, daté du 30 avril[35] : « Croirez-vous, mon ami, ce que je vais vous mander, et à quel point vos amis (M. et Mme de Maurepas) vont se faire tort dans l’opinion publique ? Leur choix est fixé sur M. Amelot pour remplacer M. de Malesherbes ! La chose est encore secrète, mais elle perce, au point que je ne l’ai apprise que par le public. Vous imaginez bien qu’on s’est gardé de me faire une pareille confidence… Oh ! si vous étiez ici, vous les décideriez du moins à un choix raisonnable, comme serait celui de M. de Fourqueux. Je n’ose vous dire : changez tous vos projets de voyage ; mais je vous dis qu’il s’agit de l’honneur de vos amis, du repos et de la gloire du Roi, du salut de plus de vingt millions d’hommes pendant tout son règne, et peut-être pendant des siècles ! Car nous savons quelles racines le mal jette dans cette malheureuse terre, et ce qu’il en coûte pour les arracher ! Je vous embrasse, mon ami, dans l’amertume de mon cœur. »

Le même jour, sous le coup de la même émotion, Turgot écrivait à Louis XVI une lettre longue et passionnée, que l’on peut regarder comme son testament politique. Ce document, d’une si grande importance, ne fut longtemps qu’imparfaitement connu. Un historien, quelquefois imprécis, mais généralement véridique, le fameux abbé Soulavie, avait affirmé avoir lu, parmi les papiers de Louis XVI enfermés dans l’Armoire de fer, des lettres de Turgot au Roi, datées du temps de sa disgrâce et lui disant des vérités « dures, terribles, épouvantables. » L’une de ces lettres, raconte-t-il, avait été mise par Louis XVI « dans une enveloppe cachetée du petit sceau royal, grand comme un centime, avec cette inscription de sa main : Lettre de Turgot[36]. » Et Soulavie en cite de mémoire quelques lignes, qui l’ont plus spécialement frappé. C’est cette même lettre dont Véri reçut, ainsi qu’il le rapporte, une copie faite de la main de Turgot. Il la reproduit tout entière dans le précieux Journal auquel j’ai déjà fait tant d’emprunts[37]. Le texte, dans l’ensemble, est conforme au souvenir qu’en avait gardé Soulavie. Tous les voiles y sont déchirés avec une singulière audace. C’est l’accent d’un loyal sujet qui, à la veille d’être chassé du service de son maître, cherche à soulager sa conscience en lui tenant, une dernière fois, le langage de la vérité.

Pour arriver au Roi, Turgot, à cette époque, n’avait guère d’autres voies que la correspondance. Louis XVI en usait avec lui comme il avait accoutumé de faire envers les gens dont il se détachait. Il ne lui parlait plus, lui répondait à peine, fuyait tout tête-à-tête, évitait toute explication, « le renvoyait à M. de Maurepas chaque fois qu’il présentait quelque projet ayant rapport à ses dernières opérations[38]. » Force était donc au contrôleur d’écrire ce qu’il désirait faire savoir. Il confiait ces messages à son ami, le comte d’Angivilliers, suivant une convention acceptée par Louis XVI. Cet étrange et blessant mutisme du souverain est le sujet des plaintes qu’on lit au début de la lettre.

« 30 avril 1776. — Sire, je ne veux point dissimuler à Votre Majesté la plaie profonde qu’a faite à mon cœur le cruel silence qu’Elle a gardé avec moi, dimanche dernier, après ce que je lui avais marqué avec un si grand détail dans mes lettres précédentes sur ma position, sur la sienne, sur le danger que courent son autorité et la gloire de son règne, sur l’impossibilité où je me verrais de la servir, si Elle ne me donnait du secours. Votre Majesté n’a pas daigné me répondre… Il faut donc que Votre Majesté n’ait pas cru un mot de ce que je lui avais dit et écrit. Il faut donc qu’Elle m’ait cru un fourbe ou un imbécile… »

À ces reproches pour des procédés dont il souffre — « car, dit-il, un ministre qui aime son maître a besoin d’en être aimé, » — succèdent des remontrances hardies sur « le manque d’expérience d’un roi de vingt-deux ans, » qui, « ne pouvant juger les hommes ni les choses » par lui-même, devrait du moins se rappeler les leçons du règne précédent, évoquer le triste tableau de ce qu’était l’autorité royale à la mort du Roi son grand-père : « Sire, vous avez vingt-deux ans, et les parlemens sont déjà plus animés, plus audacieux, plus liés avec les cabales de la Cour, qu’ils ne l’étaient en 1770… Votre ministère est presque aussi divisé et plus faible que celui de votre prédécesseur. Songez que, suivant le cours de la nature, vous avez cinquante ans à régner, et, pensez au progrès que peut faire un désordre qui, en vingt ans, est parvenu au point où nous l’avons vu ! Ah ! sire, n’attendez pas qu’une pareille expérience vous soit venue, et sachez profiter de celle d’autrui. »

Sortant des généralités, Turgot tranche alors dans le vif et vient à la question du jour, la crise ministérielle ouverte par la retraite de Malesherbes et le choix scandaleux que l’on propose au Roi. De ce danger pressant, il se prend franchement à Maurepas. Il peint, en termes saisissans, avec une vigueur implacable, la légèreté, la versatilité de ce vieux conseiller du Roi, dominé par tous ses entours, dominé par sa femme, — « qui, avec infiniment moins d’esprit, mais beaucoup plus de caractère, lui inspire toutes ses volontés, » — changeant d’idées dix fois de suite, cédant « aux cris des gens de Cour, » et craignant en même temps tous ceux qui pourraient le soutenir et lui donner l’énergie qui lui manque. « Sire, vous avez besoin d’un guide ; il faut à ce guide lumière et force. M. de Maurepas a la première de ces qualités, et il ne peut avoir la seconde, s’il n’a lui-même un appui. » Il se défend pourtant de toute hostilité à l’égard d’un collègue qui jouit de la confiance du Roi et qui, — il ne cherche pas à le nier, — possède aussi des droits sur sa propre reconnaissance : « Je dois à M. de Maurepas la place que Votre Majesté m’a confiée, jamais je ne l’oublierai… Mais je dois mille fois davantage à l’Etat et à Votre Majesté. Je ne pourrais sans crime sacrifier les intérêts de l’un et de l’autre. Il m’en coûte horriblement pour dire à Votre Majesté que M. de Maurepas est vraiment coupable s’il vous propose M. Amelot, ou du moins que sa faiblesse vous serait aussi funeste qu’un crime volontaire. M. Amelot est incapable d’aucune vue supérieure ; dans tous les temps de sa vie, il a passé pour un homme sans talent. Voilà, sire, le ministre qu’on veut vous donner ! »

Plus sa plume court sur le papier, plus l’écrivain s’anime. Son style s’échauffe, s’élève, touche à la réelle éloquence : « Voilà où vous en êtes : un ministère faible et peu uni, tous les esprits en fermentation, les parlemens ligués avec toutes les cabales, enhardis par une faiblesse notoire, des revenus au-dessous de la dépense, la plus grande résistance à une économie indispensable, nul ensemble, nulle fixité dans les plans, nul secret dans les résolutions du Conseil. Et c’est dans ces circonstances qu’on propose à Votre Majesté un homme qui n’a d’autre mérite que la docilité !… C’est dans ces circonstances que Votre Majesté peut n’être pas frappée des dangers que je lui ai montrés avec tant d’évidence ! » Une phrase, parmi ces adjurations chaleureuses, une phrase jetée comme au hasard et inconsciemment prophétique semble éclairer d’une lueur sanglante les abîmes obscurs de l’avenir : « N’oubliez jamais, sire, que c’est la faiblesse qui a mis la tête de Charles Ier sur un billot[39] ! »

La lettre se termine par de courtes excuses sur la rudesse de ce langage, que lui inspirent seuls, assure-t-il, son zèle pour le bien de l’Etat, son affection pour la personne du Roi : « Il faut bien que je sois animé par une trop forte conviction, pour que je me sois permis de dire ce que je pense sur la trop grande faiblesse de M. de Maurepas, au risque de déplaire à Votre Majesté… Je vous supplie de réfléchir encore, avant de vous déterminer à un choix qui serait mauvais en lui-même et funeste par ses suites. Si enfin j’ai le malheur que cette lettre m’attire la disgrâce de Votre Majesté, je la supplie de m’en instruire Elle-même. Dans tous les cas, je compte sur son secret. — Turgot. »

Si j’ai fait une si large place à ce document historique, ce n’est pas uniquement à cause de son pathétique intérêt, mais pour l’effet que cette lettre exerça sur la politique générale, en hâtant la chute de Turgot. « Louis XVI, dit l’abbé de Véri, l’a jugée suivant la portée médiocre de son esprit. Il y a vu des critiques dictées par l’intrigue et l’ambition, au lieu d’y voir l’intention pure d’un ministre intègre, qui ne veut qu’indiquer à son souverain ce qu’il croit être son vrai bien. » Ce résultat, Turgot l’avait d’ailleurs prévu : « La démarche que j’ai faite et qui paraît vous avoir déplu, écrira-t-il au Roi peu de jours après sa retraite, vous aura prouvé qu’aucun motif ne pouvait m’attachera ma place, car je ne m’y serais pas exposé, si j’avais préféré ma fortune à mon devoir[40]. » Louis XVI fut spécialement blessé des attaques dirigées contre le vieux ministre auquel il était attaché et qu’il considérait comme son conseiller le plus sûr. Il eut l’impardonnable tort de trahir le secret réclamé par Turgot et de révéler à Maurepas ce qui n’était destiné qu’au Roi seul, dans la plus intime confidence : « Ne croyez pas, lui souffla-t-il, que M. Turgot soit de vos amis. J’ai la preuve du contraire[41]. » Et il lui lut la plus grande partie de la lettre, « en ne passant que les endroits qui étaient personnels au Roi. » On imagine le ressentiment du vieillard, l’indignation qu’il éprouva pour une conduite qu’il crut dictée par la basse convoitise de le supplanter dans sa place, et qu’il regarda de bonne foi comme la plus noire ingratitude. Dès lors, il n’eut plus qu’une pensée, se débarrasser au plus tôt de ce dangereux collègue, saisir la première occasion pour le jeter hors du pouvoir. Il n’eut pas longtemps à attendre. Le malencontreux épisode dont il me faut aborder le récit allait fournir, à point nommé, le prétexte cherché pour satisfaire à cette rancune.


V

Ce fut aux premiers jours de mai que la « coterie » de Marie-Antoinette apprit l’arrivée à Versailles d’un puissant auxiliaire, le comte de Guines, naguère ambassadeur à Londres. Relevé de son poste, il débarquait à l’improviste, bouillonnant de colère contre Turgot et ses amis. Entre Guines et Turgot, la mésintelligence remontait à un incident qui avait un moment ému l’opinion britannique. Vers la fin de l’année 1775, Turgot, dans son désir d’effacer peu à peu l’effet de la persécution contre les réformés, avait expédié secrètement en Angleterre et en Allemagne des émissaires chargés de « travailler sous main » les protestans français connus pour « les plus riches, les plus industrieux, » et de leur persuader qu’ils pouvaient désormais rentrer dans leur ancienne patrie. A Londres, cette mission échut à « trois abbés, » dont les noms restent inconnus et qui agissaient de concert[42] . La chose, malgré les précautions, finit par transpirer ; elle fut connue du ministère anglais, qui se plaignit au comte de Guines. Sur quoi, l’ambassadeur mandait chez lui les trois abbés, les tançait vertement, puis, sans prendre le soin d’en référer à la cour de Versailles, les réembarquait sur-le-champ et les réexpédiait en France. On devine les suites de l’histoire : profond mécontentement de Turgot, lettres « vives et blessantes » échangées les semaines suivantes entre le diplomate et le contrôleur général, plaintes réciproques au Roi sur les procédés discourtois dont on s’accusait des deux parts[43].

Les choses en étaient là, lorsqu’une nouvelle affaire, d’un caractère plus grave, aviva cette hostilité. Le 1er février 1776, l’ambassadeur d’Espagne en France, le comte d’Aranda, remettait à Vergennes une lettre du prince de Masseran, ambassadeur d’Espagne à Londres. Cette lettre rapportait des confidences étranges faites par le comte de Guines sur l’attitude présumée de la France au cas où la guerre éclaterait, comme il semblait probable, entre l’Espagne et Portugal. Si ces propos étaient fondés, c’était, affirmait d’Aranda, la dénonciation de l’alliance espagnole et la rupture du pacte de famille. L’indignation fut vive dans le conseil du Roi, quand Vergennes y donna lecture de cette pièce. Louis XVI, justement irrité, proposa le rappel de son ambassadeur ; les ministres unanimement approuvèrent cette motion, Turgot, dit-on, avec plus d’empressement et de véhémence que les autres[44]. Il fut convenu que Guines aurait avis de sa révocation et que le marquis de Noailles lui succéderait un peu plus tard. La faute de Guines était si évidente, que ses plus chauds amis, dans le premier moment, firent mine de déserter sa cause. Choiseul, son ancien protecteur, le déclarait inexcusable, disait que, si son propre fils eût fait pareille sottise, la seule faveur qu’il demanderait serait « qu’on le mît à la Bastille[45]. »

Cette sagesse, par malheur, fut de courte durée. La coterie de la Reine ne crut pas devoir supporter qu’un de ses membres fût frappé sans que le parti se levât pour prendre sa défense, sans quoi, disait Lauzun à Marie-Antoinette, « il serait impossible aux plus fidèles serviteurs de la Reine de compter sur ses bontés et sur son intérêt. » Un « complot » se forma pour sauver la victime de Vergennes et de Turgot, et la Reine s’y jeta avec une passion singulière, qui désolait le comte de Mercy-Argenteau. « Votre Majesté, écrit-il à l’Impératrice[46], sera sans, doute surprise que ce comte de Guines, pour lequel la Reine n’a ni ne peut avoir aucune affection personnelle, soit cependant la cause de si grands mouvemens. Mais le secret de cette énigme consiste dans les entours de la Reine, qui se réunissent tous en faveur du comte de Guines. Sa Majesté est obsédée… On parvient à piquer son amour-propre, à l’irriter, à noircir ceux qui, pour le bien de la chose, veulent résister à ses volontés. Tout cela s’opère pendant les courses et autres parties de plaisir. »

Guines, resté à son poste jusqu’à l’arrivée de Noailles, attisait habilement le feu. Il adressait lettre sur lettre au Roi, demandant à se justifier, réclamant « une confrontation » avec ceux des ministres qu’il dénonçait comme ses ennemis, le prenant de si haut, que Louis XVI, devant cette audace, commençait à faiblir et que Vergennes avait beaucoup à faire pour maintenir chez son maître un semblant d’énergie. « Si Votre Majesté, écrivait-il au Roi[47], daigne se rappeler que c’est par son commandement exprès que j’ai annoncé au comte de Guines son rappel, Elle sentira que la seule explication que je puisse avoir avec lui est de lui dire ingénument qu’il a été rappelé parce que Votre Majesté m’a ordonné de le faire… Il s’agit bien moins, ajoutait-il, de la justification du comte de Guines que de jeter dans votre ministère une confusion dont on espère profiter. » Il menaçait de se démettre, au cas où le Roi jugerait bon de conserver dans la carrière un homme qui, disait-il, « a trop prouvé que sa vocation n’est pas pour être ambassadeur… Je n’entends rien aux tracasseries. Insuffisant à un genre de combat qui m’est nouveau, je supplie Votre Majesté de me permettre de le refuser et d’offrir le sacrifice de la place dont Elle m’a honoré au respect de son autorité et à mon attachement inviolable pour sa gloire. »

C’est au milieu de ce débat que l’arrivée du personnage à la cour de Versailles venait apporter au conflit une acuité nouvelle. Guines était renseigné ; il savait Turgot ébranlé ; ce fut contre Turgot qu’il dirigea l’effort de ses amis. L’assaut fut rude, mené avec adresse, à la muette et dans l’ombre, sans qu’aucun bruit donnât l’éveil à celui qu’on visait. La Reine, à qui l’on avait fait la leçon, semblait, assure le comte de Creutz, indifférente à la querelle de Guines, affectait en public de ne lui point adresser la parole. « On le croyait abandonné, « tandis que la « cabale » travaillait pour sa cause avec une ardeur acharnée[48]. Tous les moyens furent jugés bons pour échauffer Louis XVI. On alla même, d’après le témoignage de Dupont de Nemours, jusqu’à forger, en imitant son écriture, des lettres de Turgot, pleines de sarcasmes injurieux à l’égard de la Reine, de paroles blessantes sur le Roi. « Toute cette correspondance était portée à Louis XVI ; il la communiquait à M. de Maurepas, qui n’exprimait point, on le pense bien, des doutes trop fermes sur son authenticité. » Mais l’arme la plus efficace fut l’obsession tenace de Marie-Antoinette. Elle harcelait jour et nuit son époux, passant des larmes aux menaces, de la douceur à la colère. Sa véhémence dépassa toute mesure. Non contente d’exiger, sous forme d’un titre ducal, une éclatante réparation pour l’ambassadeur révoqué, elle voulait que « le sieur Turgot fût chassé » le jour même où Guines recevrait cette faveur. Elle alla jusqu’à demander que le contrôleur général fût envoyé à la Bastille. « Il fallut, dit Mercy, les représentations les plus fortes et les plus instantes pour la détourner d’insister sur une pareille folie[49]. »

Louis XVI, devant un tel emportement, pensa sans doute faire preuve de fermeté en n’accordant qu’une part de ce que réclamait sa femme : le prochain départ de Turgot, une lettre au comte de Guines pour panser sa blessure et lui conférer le duché. Cette lettre, il l’écrivit sous l’œil soupçonneux de la Reine ; trois fois, elle la lui fit refaire, « ne la jugeant jamais assez favorable[50]. » Elle fut enfin rédigée en ces termes : « Versailles, 10 mai. — Lorsque je vous ai fait dire, monsieur, que le temps que j’avais réglé pour votre ambassade était fini, je vous ai fait marquer en même temps que je me réservais de vous accorder les grâces dont vous êtes susceptible. Je rends justice à votre conduite, et je vous accorde les honneurs du Louvre, avec la permission de porter le titre de duc. Je ne doute pas, monsieur, que ces grâces ne servent à redoubler, s’il est possible, le zèle que je vous connais pour mon service. Vous pouvez montrer cette lettre. — Louis[51]. »

C’est, comme on voit, une capitulation complète, et rien n’est plus tristement instructif sur l’humiliante faiblesse d’un prince qui, à quelques semaines de distance, se déjuge publiquement avec cette docilité complaisante. « Le Roi, observe Mercy-Argenteau, se trouve ainsi dans une contradiction manifeste avec lui-même. Il se compromet, et il compromet tous ses ministres, au su du public, qui n’ignore aucune de ces circonstances, et qui n’ignore pas non plus que tout cela s’opère par la volonté de la Reine et par une sorte de violence exercée de sa part sur le Roi. » Le scandale provoqué par cette palinodie se mesure au retentissement qu’elle eut dans l’opinion. Les amis sincères de Louis XVI se montrèrent « consternés, » partagèrent le chagrin de Mercy-Argenteau et de l’Impératrice. « Les Choiseul, » en revanche, exultèrent. C’était, depuis l’exil de d’Aiguillon, la première victoire du parti ; ils l’accueillirent avec ivresse. « Que d’événemens, que de surprises, et je peux ajouter que de joie et de plaisir ! s’écrie la marquise du Deffand[52]. Ce qui m’en a fait le plus, c’est le triomphe de M. de Guines. J’y vois non seulement tout ce qu’il a de brillant, de flatteur, de charmant, mais j’y vois mille autres choses, qui s’étendent bien loin ! » La duchesse de Choiseul, à quelques jours de là, appuie plus cruellement encore et tire la morale de l’histoire : « J’ai été[53]comme transportée de joie du triomphe de M. de Guines. Je trouve que la disgrâce des deux ministres, qui l’a accompagné, le fait ressembler aux triomphateurs romains qui traînaient leurs esclaves à leur suite. »


VI

Turgot, tandis que se machinait cette intrigue, semble avoir ignoré le coup médité contre lui. Il savait sa chute imminente, mais croyait avoir, pour tomber, le choix de l’heure et du terrain. « Eh bien ! mandait-il le 10 mai à l’abbé de Véri, tout est dit. Votre vieil ami (Maurepas) a mis tant de force et d’art à parvenir à son but, qu’il a décidé le Roi ce matin. Il vient d’annoncer à notre ami Malesherbes que le Roi l’enverrait chercher ce soir ou demain pour conclure, et il lui a annoncé pour successeur M. Amelot. J’ai lieu de croire que, depuis longtemps, il travaillait à détruire vos deux amis dans l’esprit du maître. Il compte avec raison sur ma retraite… Il me faut peu de jours pour mettre sous les yeux du Roi le plan de réforme dans sa Maison. Il ne sera sûrement pas adopté, et je demanderai ma liberté. » Il ne dissimulait d’ailleurs pas son chagrin de cette perspective : « Je partirai avec le regret d’avoir vu dissiper un beau rêve et de voir un jeune Roi, qui méritait un meilleur sort, et un royaume entier, perdus par celui qui devait les sauver. Mais je partirai sans honte et sans remords[54]. » Un billet du lendemain le montre inquiet à plus brève échéance : « M. de Guines a le brevet de duc, par conséquent blanc comme neige. Le choix de M. Amelot sera déclaré peut-être aujourd’hui. Vous pouvez, d’après ces nouvelles, former vos spéculations politiques. » Enfin, trois jours plus tard, c’est l’annonce du fait accompli : « 14 mai. — Ce que vous pouviez prévoir est arrivé, quoique d’une manière un peu différente. Votre vieil ami m’a fait renvoyer, sans attendre que je demandasse ma retraite. Je vous raconterai ce que je puis deviner de tout cela, si vous voulez venir me voir à la Roche-Guyon, où je dois passer quelque temps. » Si Turgot, comme il le confesse, était encore à ce moment mal instruit du dessous des cartes, nous connaissons, par les détails que l’on a lus plus haut, l’origine immédiate et les raisons cachées de ce brusque renvoi.

Louis XVI, la promesse arrachée et la décision prise, avait senti l’impatience d’en finir. Son procédé, comme il arrive aux faibles, eut même quelque chose de brutal. Turgot, dans l’après-dînée du 10 mai, s’était rendu au château de Versailles, dans l’espoir d’obtenir du Roi quelques explications. Il fut annoncé par Vergennes. Louis XVI, en entendant son nom, eut un mouvement d’humeur ; il ferma un tiroir avec une si grande violence, « qu’il en pensa fausser la clé. » Il se leva, parut sur le seuil de son cabinet : « Que voulez-vous ? dit-il au contrôleur général. Je n’ai pas le temps de vous parler, » et, lui tournant le dos, il rentra dans la chambre[55]. Cette tentative, renouvelée trois fois le lendemain, eut toujours le même insuccès. Le dimanche 12, vers dix heures du matin, Malesherbes, sortant du château, où, suivant la convention faite, il venait d’apporter lui-même sa démission au Roi, fut chez Turgot pour lui en donner la nouvelle. Sa visite terminée, il prit congé de son ami ; dans l’escalier, il rencontra Bertin, l’homme à tout faire, qui, depuis la retraite du duc de La Vrillière, était chargé d’annoncer leur disgrâce aux ministres qu’on renvoyait[56]. Il devina sans peine le sens de cette démarche matinale, remonta les degrés, entra sur les pas de Bertin dans l’appartement de Turgot : « Je comptais partir seul, s’écria-t-il avec gaîté, nous partirons deux ensemble ! » Turgot prit la chose plus gravement. Lorsque Bertin lui eut « brièvement notifié l’ordre du Roi, de remettre son portefeuille en même temps que sa démission de la surintendance des postes, » il parut, au dire de Hardy[57], « aussi surpris que mortifié. » Malgré l’injonction faite, — « sans d’ailleurs prescrire de délai, » — de quitter la ville de Versailles sans paraître à la Cour, une dernière fois il essaya d’obtenir une audience du Roi. Cette faveur lui fut refusée. Alors seulement il partit pour Paris, et de là pour la Roche-Guyon, chez la duchesse d’Anville. Ceux que l’on doit considérer comme les auteurs de cette disgrâce éprouvèrent, semble-t-il, dans le premier moment, un peu de gêne de leur victoire et comme une involontaire confusion. La Reine, en annonçant l’événement à sa mère, décline toute responsabilité directe : « J’avoue à ma chère maman que je ne suis pas fâchée de ces départs, mais je ne m’en suis pas mêlée[58]. » L’Impératrice ne fut qu’à demi convaincue : « Je suis bien contente, répondit-elle[59], que vous n’ayez point eu de part au changement des deux ministres, qui ont bien de la réputation dans le public… Vous dites que vous n’en êtes pas fâchée ; vous devez avoir vos bonnes raisons ; mais le public, depuis un temps, ne parle plus avec tant d’éloge de vous et vous attribue tout plein de petites menées qui ne seraient convenables à votre place. » De même que Marie-Antoinette, les Maurepas s’évertuèrent à retirer leur épingle du jeu. Le jour même du renvoi, la comtesse de Maurepas adressait à Véri ces lignes de condoléance, d’une féminine hypocrisie[60] : « Je vous mandais hier la retraite de M. de Malesherbes. Aujourd’hui je vous dirai que le Roi a remercié M. Turgot. Je vous avouerai que cela me fait beaucoup de peine, et, ce qui l’augmente, c’est que je crois qu’il tenait à sa place plus que vous ne le pensiez. Il y a un mois que cet orage gronde sur sa tête, sans qu’il ait voulu s’en apercevoir. Je lui ai parlé de façon à lui faire voir que le Roi n’était pas prévenu pour lui ; il n’a pas voulu me croire. Enfin voilà tous vos amis hors de la Cour. Il n’y reste plus que nous ; l’âge et les infirmités nous en feront bientôt sortir. » Il n’est pas jusqu’à Maurepas qui, le même jour, n’ait essayé, assez gauchement d’ailleurs, de donner le change à Turgot : « Si j’avais été libre, monsieur, de suivre mon premier mouvement, ne craignit-il pas d’écrire, j’aurais été chez vous. Des ordres supérieurs m’en ont empêché. Je vous supplie d’être persuadé de toute la part que je prends à votre situation. » Ce qui lui valut cette réplique, d’une ironique amertume : « Je reçois, monsieur, la lettre que vous m’avez fait l’honneur de m’écrire. Je ne doute pas de la part que vous avez prise à l’événement du jour, et je vous en ai la reconnaissance que je dois… Quand on n’a ni honte ni remords, quand on n’a connu d’autre intérêt que celui de l’Etat, quand on n’a ni déguisé, ni tu aucune vérité à son maître, on ne peut être malheureux. »

Si peu sincères qu’elles fussent, les excuses déguisées témoignaient tout au moins d’une espèce de pudeur. On n’en peut dire autant de l’attitude des courtisans et des privilégiés. La chute du ministère fut saluée à Versailles par une explosion d’allégresse. A peine la nouvelle du renvoi se répandit-elle au château, ce furent, dit Dupont de Nemours, « des rires bruyans et multipliés, des félicitations réciproques, dans la galerie, dans l’antichambre, dans la chambre même du Roi. » Les princes du sang montraient l’exemple : « Monsieur[61]et le Comte d’Artois manifestent leur joie avec une indécence que quelques personnes regardent comme le plus bel éloge qu’on pût faire du ministre tombé. » Le comte de Saint-Germain, que Turgot, l’année précédente, comme le rappelle Véri, avait « tant désiré, si amicalement accueilli, » oublie toutes ses obligations pour « se réjouir publiquement de sa chute. » L’archevêque de Paris, par allusion à l’événement du jour, déclare dans une audience « qu’il faut attribuer ce succès aux prières du jubilé. » Quant au parti Choiseul, il faut, une fois de plus, recourir à la plume de Mme du Deffand pour connaître de quelle façon on y piétine sur les vaincus : « Le Malesherbes[62]est un sot, bon homme sans talent, mais modeste, qui n’avait accepté sa place que par faiblesse. Il eût voulu faire le bien, mais il ne savait comment s’y prendre. Il aurait fait le mal qu’on lui aurait fait faire, faute de lumière, et par sa déférence pour ses amis… Pour le Turgot, il aurait tout bouleversé. Il avait les plus beaux systèmes du monde sans prévoir aucun moyen. Qui est-ce qui lui succédera, je l’ignore, mais on ne peut avoir pis qu’un homme qui n’a pas le sens commun… De plus, il est d’un orgueil et d’un dédain à faire rire. En voilà assez sur ce sot animal ! »

On n’en juge pas partout ainsi. Une étrangère, la princesse de Kaunitz, dans une lettre adressée de Vienne à l’abbé de Véri, résume ainsi qu’il suit l’état de l’opinion publique : « Je conviens que M. Turgot allait un peu vite et que ses opérations portaient préjudice à la fortune de bien des particuliers haut placés, mais quelle multitude innombrable n’a-t-il pas soulagée ! Versailles se réjouira, et les provinces seront désolées[63]. » Cette formule est exacte. Si l’on excepte ceux « dont l’existence tient aux abus, » l’impression qui domine, dans tout l’ensemble du royaume, c’est un étonnement douloureux et une déception vive. « Tous les honnêtes gens de ce pays-ci gémissent sur le renvoi de M. Turgot, » reconnaît un témoin sincère. Dans la bourgeoisie éclairée, ceux-là mêmes qui le critiquaient, qui redoutaient les entreprises trop promptes « d’un génie un peu chimérique, » envisagent à présent comme une calamité la chute d’un homme dont les vertus, les talens, le zèle généreux, honoraient le pays qui possédait un tel ministre et le prince qui l’avait choisi. Louis XVI portait le poids du mécompte général ; sa popularité en reçut une mortelle atteinte. « Que penser en effet, dit un gazetier du temps[64], d’un Roi qui, après s’être enthousiasmé de son ministre, après avoir adopté ses idées, après avoir résisté aux remontrances de ses cours, avoir déployé les coups d’autorité les plus frappans, tenu deux lits de justice en moins d’un an, retire sa main protectrice à l’auteur d’une constitution nouvelle, non seulement avant d’en avoir pu reconnaître les vices ou les inconvéniens, mais au milieu de la confusion et du désordre qu’entraîne dans son commencement toute opération vaste, alors que tout le mal est fait et qu’on ne peut encore démêler le bien qui doit en résulter ? »

Bien des gens, de ce jour, se sentent l’âme oppressée d’angoisse devant le mystère de l’avenir et sont pris du découragement que l’abbé de Véri confesse sous cette forme éloquente[65] : « Je me réjouissais naguère de ce que l’on travaillait à réparer solidement un bel édifice que le temps avait endommagé. Désormais on verra tout au plus boucher quelques-unes de ses crevasses. Je ne me livre plus à l’espoir de sa restauration ; je ne peux plus qu’en redouter la chute plus ou moins tardive… J’avais eu mon beau rêve, en imaginant que la France pouvait avoir un ministère honnête, capable et uni, dont M. de Maurepas serait le lien. Mon cœur éprouve une vive amertume, quand je pense que les trois hommes publics avec lesquels j’étais le plus lié ont été placés par le sort dans le même ministère, qu’ils semblaient destinés à rendre le règne actuel le plus glorieux de tous, et qu’ils en ont laissé échapper l’occasion, le premier (Malesherbes) faute de volonté pour rester au pouvoir, le second (Turgot) faute de conciliabilité, le troisième (Maurepas) faute d’âme pour suivre ses lumières. Et c’est ainsi que nous avons perdu la circonstance la plus favorable qui se soit rencontrée dans l’histoire pour des hommes d’Etat patriotes et éclairés. »

Les sentimens exprimés par Véri sont aussi, à n’en pas douter, ceux de Turgot lui-même. Sans doute est-il blessé des procédés du Roi, de la brusque façon dont on lui a signifié son congé ; mais la douleur de voir son œuvre arrêtée soudainement, bientôt détruite peut-être, étouffe en lui toute pensée personnelle. De ce détachement de soi-même, le manuscrit que je viens de citer rapporte un trait assez frappant. Turgot, quelques jours après sa retraite, alla faire visite à Véri. Il s’y rencontra par hasard avec M. de Clugny, son successeur au contrôle général. L’entretien se porta sur une grave épizootie qui désolait le Limousin. Turgot s’anima sur ce thème et se mit tout à coup à parler des mesures à prendre, en s’adressant à M. de Clugny, sur un tel ton d’autorité, qu’on eût cru entendre un ministre donnant ses instructions à un intendant de province. « Je riais à part moi de ce ton, dit l’abbé de Véri, et quand je lui en fis l’observation, après le départ de M. de Clugny, il en fut tout surpris. Il n’avait vu que la chose sur laquelle son cœur s’était échauffé, sans aucun retour sur ce qu’il n’était plus rien. »

Même noble désintéressement dans le dernier billet, daté du 18 mai, — six jours après sa chute, — qu’il écrivit au Roi pour refuser tout dédommagement pécuniaire autre que la pension de ministre[66] : « Si je n’envisageais, dit-il en terminant, que l’intérêt de ma réputation, je devrais peut-être regarder mon renvoi comme plus avantageux qu’une démission volontaire, car bien des gens auraient pu regarder cette démission comme un trait d’humeur déplacé… et moi-même j’aurais toujours craint d’avoir mérité le reproche que je faisais à M. de Malesherbes. J’ai fait, sire, ce que je croyais de mon devoir, en vous exposant, avec une franchise sans exemple, les difficultés de la position où j’étais et ce que je pensais de la vôtre[67]. Tout mon désir est que vous puissiez toujours croire que j’avais mal vu et que je vous montrais des dangers chimériques. Je souhaite que le temps ne me justifie pas et que votre règne soit aussi heureux, aussi tranquille, pour vous et pour vos peuples, qu’ils se le sont promis d’après vos principes de justice et de bienfaisance. »

Après ce vœu suprême, il se renferma pour toujours dans la retraite et le silence. Une fois pourtant, à quelques mois de là, quand il connut les projets préparés pour abroger ses principales réformes, il ne put réprimer un mouvement de révolte. Il prit sa plume, écrivit à Maurepas, le conjura de réfléchir avant d’entrer dans une voie si funeste : « Il m’est inconcevable que vous ayez seulement pu en avoir l’idée !… Je veux essayer de vous rappeler à vous-même, à ce que vous avez mille fois pensé et dit, à ce que vous devez au public, au Roi, à votre propre réputation… Pardonnez-moi cette franchise. Mon intention n’est pas de vous blesser par des vérités dures ; mais vous me connaissez assez pour juger que je ne puis voir, sans un sentiment très douloureux, détruire un très grand bien, auquel j’avais eu le bonheur de contribuer, que la volonté du Roi avait soutenu contre les obstacles qui y étaient opposés, et que je devais croire solidement affermi. Je suis sensible sans doute à cet intérêt, j’ose l’être encore à l’honneur du Roi, qui peut être compromis par un changement si prompt, et qui doit m’être cher, comme citoyen, et comme ayant eu part à sa confiance et à ses bontés… » Cette lettre ne fut pas achevée, par conséquent pas envoyée. La réflexion en démontra sans doute la parfaite inutilité. Le brouillon, retrouvé plus tard dans les archives du château de Lantheuil[68], subsiste en témoignage de l’âme sincère et passionnée de celui qui jeta ce généreux cri de souffrance.


Ainsi prit fin la plus vaste entreprise, ainsi échoua le plus puissant effort, qui aient été tentés pour rénover la monarchie, lui donner le moyen et la force de vivre. Quel eût été, si les circonstances eussent permis de la mener jusqu’à son terme, le succès d’une telle œuvre ? Turgot, maintenu et soutenu par Louis XVI, aurait-il réussi à limiter, à canaliser, si j’ose dire, le flot montant de la Révolution ? La royauté, se transformant d’elle-même et de sa propre initiative, serait-elle parvenue à concilier, dans un heureux accord, la tradition et le progrès, le passé et l’avenir ? Enfin, eût-on vu se produire, comme le rêvait Turgot, la fusion du fait historique et du droit national ? Toutes les hypothèses sont permises. Il me sera permis de dire qu’elles sont également vaines. Broder en imagination sur des événemens accomplis et refaire après coup l’histoire est un divertissement d’esprit pour lequel je me sens peu d’aptitude et peu de goût.

Mais une autre question se pose, sur laquelle nous avons des données plus précises et à laquelle, par suite, on peut essayer de répondre : c’est quelle fut l’influence, sur le sort de la monarchie, du ministère réformateur, et quel résultat produisit, dans les conditions politiques où se fit l’expérience, la tentative avortée de Turgot. J’ai rendu aux lumières comme au caractère de Turgot un assez respectueux hommage pour avoir le droit de dire qu’à mon avis le résultat final fut nuisible à la royauté. Turgot, sans peut-être en avoir conscience, concevait la monarchie comme une démocratie royale, où un despote vertueux régnerait seul sur un peuple nivelé. Il semble n’avoir point compris la nécessité primordiale, dans un pays constitué comme la France, d’une aristocratie solide, élargie à sa base, tempérée dans ses privilèges, assez puissante toutefois pour être le support du trône, pour lui servir de digue contre l’assaut de la vague populaire. La vieille constitution française était trop vermoulue pour qu’on pût, sans danger, retirer les étais qui maintenaient encore l’édifice Louis XVI, tout médiocre qu’il fût, en avait eu le sentiment comme en font foi les notes ajoutées de sa main aux éloquens mémoires de son ministre ; le simple instinct de la conservation lui enseignait ce que n’avait pu découvrir l’impeccable logique d’un théoricien de génie. L’échec des projets de Turgot découle essentiellement de cette conception fausse, et cet échec ne pouvait qu’aggraver le péril menaçant. En éveillant des espérances qui ne furent point réalisées, en annonçant de beaux projets qui ne purent aboutir, en faisant luire aux yeux des misérables un idéal qui s’évapora en fumée, Turgot, selon toute apparence, précipita les catastrophes qu’il prévoyait avec lucidité et que son noble cœur voulait épargner à la France. Il avait, en effet, rendu sensibles et, pour ainsi dire, éclatantes, « deux vérités également funestes à la monarchie : la nécessité d’une grande réforme, et l’impuissance de la royauté à l’accomplir[69]. »

Seize ans plus tard, sous la Terreur, au fond du noir cachot qu’il ne devait quitter que pour la guillotine, le confident et le collaborateur de Turgot, Malesherbes, méditait sur les événemens de sa vie. Avec ce détachement et cette clairvoyance supérieure que donnent aux âmes élevées l’attente prochaine et la certitude de la mort, voici comment il appréciait les faits dont on vient de lire le récit[70] : « M. Turgot et moi, nous étions de fort honnêtes gens, très instruits, passionnés pour le bien. Qui n’eût pensé qu’on ne pouvait mieux faire que de nous choisir ? Cependant nous avons très mal administré. Ne connaissant les hommes que par les livres, manquant d’habileté pour les affaires, nous avons laissé diriger le Roi par M. de Maurepas, qui ajouta toute sa faiblesse à celle de son élève, et, sans le vouloir, nous avons, par nos idées mêmes, contribué à la Révolution. » Je ne saurais, au bas de la présente étude, inscrire une meilleure conclusion que ce mélancolique aveu.


MARQUIS DE SEGUR.

  1. Copyright by Calmann-Lévy, 1909.
  2. Voyez la Revue des 1er et 15 février, 15 septembre, 1er et 15 octobre 1909.
  3. Mémoires de Besenval, tome II.
  4. Journal inédit de l’abbé de Véri, passim.
  5. Lettre du 13 avril 1776. — Correspondance publiée par d’Arneth.
  6. Consulter sur Devaines l’intéressante notice de M. Frédéric Masson : Un académicien de l’an XI. — Revue hebdomadaire du 27 octobre 1906.
  7. Mémorial de Norvins. — Mémoires de Frénilly, etc.
  8. Lettre de Mlle de Lespinasse du 29 août 1774. — Éd. Asse.
  9. Entre temps, celui-ci avait coupé son nom en deux et s’était appelé de Vaines, s’anoblissant de la sorte à bon compte.
  10. Lettre du 26 septembre 1775, reproduite par le sieur Rivière dans sa correspondance avec le prince X. de Saxe. — Archives de l’Aube.
  11. Particularités, etc., par M. de Montyon, passim.
  12. Lettre du sieur Rivière, du 14 avril 1776. — Archives de l’Aube.
  13. Ibidem.
  14. Mémoires de Soulavie. — Les Réformes de Louis XVI, par Sémichon.
  15. Journal de l’abbé de Véri, passim.
  16. Particularités, etc., par M. de Montyon.
  17. Un des griefs du comte de Saint-Germain était la remise au Roi par Turgot de deux mémoires, dont l’un proposait deux millions de réduction immédiate dans le département de la Guerre, et dont l’autre faisait prévoir, sur ce même chapitre, quinze millions d’économies pour les années suivantes.
  18. Lettre de Turgot à Louis XVI du 30 avril 1776. — Mémoires de Soulavie.
  19. Le songe de M. de Maurepas, ou les Machines du gouvernement français.
  20. Journal de l’abbé de Véri, passim.
  21. Journal de Hardy, 13 mai 1776, passim.
  22. Lettre du 2 novembre 1775. — Les Autographes, par Lescure.
  23. Vergennes a Sénac de Meilhan. — Ibidem.
  24. Les Intendans, etc., par Ardascheff, passim.
  25. Journal de Hardy, mai 1776, passim.
  26. Souvenirs de Moreau.
  27. Le brouillon, malheureusement incomplet de cette lettre, que je crois inédite, fait partie de la belle collection de M. Gustave Bord, qui a bien voulu me le communiquer.
  28. Le brouillon s’arrête sur cette phrase.
  29. Journal de Hardy, passim.
  30. « Jusqu’à la Pentecôte, » spécifie Turgot dans la lettre à l’abbé de Véri dont il sera question plus loin.
  31. « L’objet principal, écrit-il, pour lequel Turgot voulait mon association, ou celle de tout autre, était son plan de réformes dans la Maison du Roi. » — Journal de Véri.
  32. Mémoires secrets d’Augeard.
  33. Journal de Hardy, passim.
  34. Allusion aux critiques qui avaient naguère accueilli l’élévation de Miromesnil au poste de garde des Sceaux. — Moreau donne de ce mot de Maurepas une version un peu différente : « Ils doivent être las des gens d’esprit ; nous verrons s’ils aiment mieux une bête. »
  35. Journal de Véri. — Cette lettre et celles qui suivent ont été jadis communiquées au baron de Larcy, qui les a publiées en 1866 dans l’article du Correspondant auquel je me suis plus d’une fois référé.
  36. Mémoires historiques sur le règne de Louis XVI, par Soulavie.
  37. Si un témoignage de plus était utile pour démontrer l’authenticité de cette lettre, il suffirait d’invoquer une note récemment retrouvée dans les archives du château de Lautheuil et inscrite par Malesherbes sur la chemise d’un dossier vide. Cette chemise, rapporte Malesherbes, renfermait les minutes de quatre lettres de Turgot adressées à Louis XVI à la veille de sa retraite. L’analyse succincte qu’il en donne est exactement conforme à la lettre conservée par l’abbé de Véri. Malesherbes, en terminant, exprimait le vœu que ces lettres fussent détruites, par une discrète réserve à l’égard des personnes qui y sont désignées et par respect pour la mémoire du Roi. Ce souhait fut exaucé, et les lettres seraient perdues si l’abbé de Véri n’eût préservé l’une d’elles, et sans doute la plus importante.
  38. Journal de Hardy, 14 avril 1776.
  39. C’est cette phrase qu’avait retenue Soulavie et qu’il cite presque textuellement dans ses Mémoires.
  40. Œuvres de Turgot, avec les notes de Dupont de Nemours.
  41. Journal de Véri.
  42. Lettre du sieur Rivière au prince. X. de Saxe, du 22 mars 1776. — Archives de l’Aube.
  43. Ibidem.
  44. D’après une lettre de Mme du Deffand, Turgot aurait d’abord chargé Malesherbes de parler à Louis XVI contre le comte de Guines, croyant qu’il aurait mieux que lui l’oreille du Roi, et Malesherbes, cédant à l’ascendant de son ami, se gérait décidé à faire « cette sotte démarche. » (Lettre du 5 juin 1776. — Éd. Lescure.) Il est plus probable que Turgot et Malesherbes tombèrent d’accord pour faire à ce sujet de justes représentations dans le conseil du Roi.
  45. Mémoires du duc de Lauzun.
  46. Lettre du 16 mai 1770. — Correspondance publiée par d’Arneth.
  47. Correspondance de Vergennes avec Louis XVI. — Archives nationales, K. 164.
  48. Dépêche du comte de Creutz à la cour de Suède, du 12 mai 1776.
  49. Dépêche de Mercy-Argenteau du 16 mai 1776. — Correspondance publiée par d’Arneth.
  50. Dépêche de Mercy-Argenteau du 16 mai 1776. — Correspondance publiée par d’Arneth.
  51. Ce billet du Roi est renfermé dans la lettre du comte de Guines à Mme du Deffand du 14 mai 1776. — Correspondance publiée par M. de Lescure.
  52. Lettre du 14 mai 1776. — Édition Lescure.
  53. Lettre du 18 mai 1776. — Édition Sainte-Aulaire.
  54. Journal de l’abbé de Véri, passim.
  55. Souvenirs de Moreau.
  56. Lettre du sieur Rivière au prince X. de Saxe, du 15 mai 1776. — Archives de l’Aube.
  57. Journal inédit, passim.
  58. Lettre du 15 mai 1776. — Correspondance publiée par d’Arneth.
  59. Lettre du 30 mai 1776. — Ibid.
  60. Lettre du 12 mai 1776. — Journal de l’abbé de Véri.
  61. Journal de Hardy, passim.
  62. Lettre du 5 juin 1776. — Édition Lescure.
  63. Journal de l’abbé de Véri.
  64. L’Espion anglais, 3 juin 1776.
  65. Journal de Véri, passim.
  66. Œuvres de Turgot, avec des notes de Dupont de Nemours.
  67. Allusion évidente à la lettre du 30 avril ci-dessus reproduite.
  68. Ce document fut communiqué par les héritiers de Turgot à M. Léon Say, qui l’a publié dans l’ouvrage déjà cité.
  69. Albert Sorel, l’Europe et la Révolution.
  70. Fragment d’une lettre de Malesherbes adressée à l’un de ses amis. — Collection de M. Gustave Bord.