La Semeuse (p. 32-33).


VII

La visite des malades.


Contrairement à ce qui se passe généralement, ce n’est pas le médecin qui se déplace en Allemagne, mais le malade. C’est ainsi que nos malades devaient se rendre à la visite chaque jour et faire une marche de 3 à 4 kilomètres, distance qui nous séparait de l’usine servant de lazaret (tout l’hiver 1914-1915).

Afin de me documenter sérieusement, voulant avant tout faire un livre vrai, je me suis porté malade, pour constater de visu comment la visite avait lieu.

L’organisation de la colonne pour se rendre à « l’hôpital » était tout un poème : on nous divisait en quatre groupes composés comme suit : les blessés ouvraient la marche ; venaient ensuite les fiévreux, suivis immédiatement des hommes atteints de coliques et pour fermer la marche les… constipés. Dans toute autre circonstance on aurait pu rire, mais ici la situation ne s’y prêtait guère.

Ce jour-là nous étions 203, et la visite dura exactement 50 minutes. Le tout jeune homme (étudiant en médecine) qui accomplissait les graves fonctions de médecin, consacrait donc à chaque malade, quelques secondes. Les blessés avaient leurs pansements renouvelés par d’autres déjà usagés qui avaient été lavés plus ou moins proprement ; les diarrhéïques recevaient du bismuth pour devenir constipés et ces derniers une cuiller à soupe d’huile de ricin. Cette dernière drogue sitôt avalée, nos hommes étaient mis sur deux rangs et conduits aux water-closets par quatre sentinelles, baïonnette au canon et qui ne badinaient pas avec les affaires sérieuses.

Quant aux fiévreux, leur examen sous la pluie fut des plus rapides. Un comprimé d’aspirine guérissait invariablement les maux de tête, de gorge, d’estomac, les rages de dents les plus rebelles, les entorses, lumbagos, furoncles, etc…

Un ordre bref et la colonne se remettait péniblement en marche pour rentrer au camp.