Au bord des terrasses/8

Madame Alphonse Daudet ()
Alphonse Lemerre, éditeur (p. 27-28).




PORTRAIT D’UNE FEMME INCONNUE




Quel attrait curieux, inquiet et jaloux,
Dans ce titre : Portrait d’une Femme inconnue !
Les yeux pers ou foncés, les cheveux bruns ou roux,
Rêveuse, ou présentant des fleurs dans sa main nue,
Son image persiste et se reflète en nous ;

Ce n’est plus une femme, humble ou patricienne,
Marguerite ou Thérèse, Angélique ou Ninon,
Si d’un regard chacun pouvait la faire sienne,
Chacun à son désir, lui donnerait un nom :
C’est l’Ève tentatrice et son énigme ancienne.


C’est la femme, en un mot ; la femme seulement,
Quoique par un détail l’image soit datée :
Les perles des Valois sur son ajustement,
Ou quelque fanfreluche aux épaules jetée,
Le ruban qui séduit, ou le bandeau qui ment !

C’est la femme ! et le peintre, en la première pose,
Qui traça la beauté, le premier en souffrit,
En mettant sur la joue un peu d’ambre et de rose,
En arquant d’un pinceau si léger le sourcil,
Sachant qu’il travaillait pour la métamorphose

Du temps inexorable et du long avenir !
Et qu’il fixait bien moins un charme de jeunesse,
L’épanouissement de ce qui doit finir,
Qu’une forme pour le rêve et pour la caresse
Et la tentation des lustres à venir !