Au bord des terrasses/16

Madame Alphonse Daudet ()
Alphonse Lemerre, éditeur (p. 47-49).




CHANTELOUP



Pour Madame Léon Daudet.



Cherchez la place ; où fut le féerique château ?
L’herbe pousse et verdit les profondes allées,
Et la pagode seule, au milieu du plateau,
Témoigne pour la fin des grandeurs écoulées ;

Elle monte amincie en étages nombreux,
Triomphante au sommet, et de bases fragiles ;
Le vent qui l’escalade, avec ses bonds frileux,
Fait trembler les balcons, les grilles et les tuiles ;


Il souffle, il agrandit l’espace limité
De la calme Touraine, indulgente aux ruines,
Vers Amboise, au royal domaine inhabité,
Vers la Loire, argentant le pied de ses collines.

Un grand ciel se déploie entre les arbres roux ;
La forêt, du passé, garde dans ses murmures
Le nom de ce qui fut, un siècle, Chanteloup :
Un peu de gloire, un peu de faste en ses ramures,

Et dans ses carrefours : celui du Grand Veneur,
La route de Penthièvre, avec celle du Maître,
Le souvenir des sons de trompes en l’honneur
Des Choiseul, s’élevant sous le chêne et le hêtre.

L’aveugle étang, sans rien qu’il baigne ou qu’il reflète.
N’est qu’une immense coupe aux multiples roseaux ;
Autrefois il a vu plus d’une belle fête,
Et des barques rayant le cristal de ses eaux !


Des barques débordant de chatoyantes soies,
De rameurs d’opéra, de femmes en atours,
De musiques aussi, chantant les courtes joies,
Les dépits souriants des légères amours.

Des marches tout au bord descendent vers la terre
Où cette eau se perdit, détruisant son miroir.
Et le passant rêveur, en l’éclat d’un beau soir,
Songe aux Embarquements, les derniers, pour Cythère !