Au Pays de Rennes/Saint-Georges

Hyacinthe Caillière (p. 48-53).


SAINT-GEORGES


Après Saint-Melaine, l’abbaye la plus importante fut sans contredit celle de Saint-Georges. C’est ce superbe monument qu’on aperçoit devant soi en sortant de la gare de Rennes et qui porte sur sa façade en grandes lettres de fer : « Magdeleine de la Fayette. »

Alain III duc de Bretagne, voyant sa sœur Adèle embrasser la vie religieuse fonda pour elle, en 1032, un monastère aux portes de Rennes.

L’église de cette abbaye fut dédiée à Saint-Georges.

Le domaine concédé à la première abbesse renfermait des vignes, des champs fertiles, de riches prairies, une rivière poissonneuse avec deux moulins : le moulin de Saint-Hélier qui existe encore sur la rivière de Vilaine en amont de Rennes, et celui de la Porte (plus tard de la Poissonnerie), démoli en 1844, lors de la construction des quais.

Les limites de ce domaine étaient au nord l’ancienne voie romaine de Rennes au Mans, au midi la rive gauche de la Vilaine, à l’orient les possessions de l’abbaye de Saint-Melaine et enfin à l’occident la ville de Rennes.

À ces donations d’autres furent ajoutées, ainsi que les droits féodaux qui s’y rattachaient.

Au XIIe siècle pendant la guerre des Plantagenets en Bretagne, le monastère et l’église furent pillés et dévastés. Ils ne tardèrent pas, toutefois, à être restaurés.

Trois siècles plus tard, les nouvelles fortifications de Rennes entreprises par les ducs de Bretagne bouleversèrent l’enclos de l’abbaye, et la promenade de la Motte, appelée alors « Motte à Madame » fut séparée du Monastère.

Vers la fin du XVIIe siècle, Magdeleine de la Fayette, fille de Jean de la Fayette et de Marguerite de Bourbon, nommée abbesse de Saint-Georges le 4 octobre 1663, fit construire le vaste et splendide édifice qui porte encore son nom, inscrit à sa façade méridionale. Les deux premières pierres de cet édifice furent posées solennellement, le 24 Mars 1670, l’une par l’évêque de la Vieuville, l’autre par l’abbesse Magdeleine de la Fayette. À chacune d’elles fut scellée une plaque de cuivre armoriée, portant une inscription dont la teneur a été consignée dans les archives du monastère.

De l’immense abbaye il ne reste plus que le monument édifié par Magdeleine de la Fayette, et qui est toutefois assez vaste pour y loger un bataillon d’infanterie.


Caserne Saint-Georges

Sur un ample corps de logis, flanqué de deux pavillons, le tout surmonté d’une toiture à la Mansard, se déploie un triple rang horizontal de vingt-trois fenêtres ; immédiatement au-dessous s’ouvre une série de dix-neuf arcades en plein cintre, formant portique voûté et rappelant le caractère monastique du monument.

Un fronton central rompt la monotonie de la ligne du faîte ; décoré de sculptures élégantes, ce fronton porte à son tympan l’écusson de Bretagne timbré de la couronne ducale. Au-dessus du blason et surmontant le cintre du fronton s’élevait, dominant tout l’édifice, une croix qui fut détruite en 1792.

Des deux côtés de l’écusson de Bretagne, deux figures symboliques, assises, portent les attributs de la Justice et de la Paix.

Trois écussons soutenus en pal de la crosse abbatiale se remarquent encore, l’un au centre de l’édifice, les deux autres sur chaque pavillon latéral ; le blason qu’ils portaient a été gratté et mutilé ; c’était celui de Magdeleine de la Fayette qui écartelait ses armes paternelles de celles de sa mère, issue d’une branche cadette de la maison de Bourbon.

Derrière l’édifice venaient se souder en équerre, dans la direction du Nord, trois corps de logis parallèles, séparés les uns des autres par des préaux ; celui du milieu était le jardin de l’abbesse qu’entourait le cloître, rebâti au commencement du XVIIIe siècle par les abbesses Marguerite du Halgouët et Élisabeth d’Alégre.

Dans ces spacieux bâtiments étaient répartis, outre les cellules de l’abbesse et des dames de chœur, les dortoirs, le réfectoire, la bibliothèque, l’infirmerie, la salle du chapitre, la sacristie, et toutes les dépendances de la communauté.

La vieille tour du clocher de l’église abbatiale existait encore au commencement du XIXe siècle ; elle disparut lorsqu’on ouvrit la rue Louis-Philippe, anciennement Charles X et aujourd’hui Victor Hugo.

La cour, plantée d’arbres bordant la rue de Belair qui sert aux évolutions des soldats, occupe la place de l’ancienne basilique de St-Georges.

À la fin du XVIIe siècle et au commencement du XVIIIe, les habitants payaient à l’abbaye, un droit féodal appelé droit de chevauchée. Voici en quoi il consistait :

Tous les mariés de l’année, dépendant de l’abbaye, étaient tenus, le jour de la Mi-Carême, de parcourir à cheval le champ de foire, en criant : « Gare la chevauchée de Madame l’abbesse ! » et renversaient sur leur passage toutes les petites boutiques des marchands qui ne s’étaient pas retirés assez promptement. Les nouvelles mariées, à leur tour, chaque premier dimanche de Carême, se rendaient à St-Hélier et là, en présence de la foule accourue, devaient chanter une chanson dont voici le premier couplet :

Je suis mariée,
Vous le savez bien,
Si je suis heureuse,
Vous n’en savez rien.

Celles qui ne voulaient pas se donner en spectacle payaient une amende de trois livres.

Les mariés, à leur tour, devaient sauter du cimetière dans le grand chemin, d’une hauteur d’environ six pieds ou payer une amende.

Les autres droits féodaux étaient : pendant la foire de la Mi-Carême, droit de bouteillage sur tous les habitants, droit d’aulnage sur les draperies étalées à la cohue (halle), et, huit jours après la foire, droit de coutume.

Les chanoines de la cathédrale étaient obligés, le mardi de Pâques, d’aller chanter une grand’messe à l’abbaye, et, au sortir de l’office, les religieuses leur servaient de la bouillie urcée (brûlée), dont chaque chanoine devait manger une part et en emporter un large plat processionnellement.

On allait à Saint-Georges faire des neuvaines pour une maladie appelée « le mal de Mgr Saint-Georges. » Les malades qui mouraient pendant la neuvaine étaient enterrés dans le cimetière des martyrs, contigu à celui des nonnes.

Au côté Est de la place située devant la caserne Saint-Georges, M. Martenot, architecte de la ville, termine en ce moment un monument qui doit recevoir la faculté des sciences beaucoup trop à l’étroit dans le palais de l’Université.

Ce nouveau palais des sciences, comme on l’appelle, a servi au mois de Mai 1891, à l’Exposition rétrospective du comité de la statue Leperdit.

Comme toutes les œuvres de M. Martenot, — qui vient au moment où nous écrivons ces lignes, d’être nommé membre correspondant de l’Institut, — cette nouvelle construction est d’une conception grandiose qui lui fait le plus grand honneur.

Il nous faut maintenant franchir la Vilaine pour aller explorer le sud de la ville ; mais nous devons, en passant le pont Saint-Georges, dire l’histoire de nos quais et de la navigation de la Vilaine.