Au Pays de Rennes/La Place de l’Hôtel de Ville

Hyacinthe Caillière (p. 2-16).


La place de l’Hôtel de Ville


L’Hôtel de Ville, que nous avons à notre droite en descendant la place, date seulement de 1734.

Les nobles et les bourgeois de Rennes constituaient autrefois une assemblée qui, plus tard, devint le corps de ville. Il ne se réunissaient d’abord qu’accidentellement pour prendre quelques délibérations soumises à leur libre arbitre par le souverain.

Les assemblées se tenaient ordinairement chez le capitaine ou le gouverneur dans la Porte-Mordelaise au lieu dit : la Garde robe de la ville. Quelquefois, dans des occasions solennelles, ces réunions eurent lieu dans l’église Saint-Pierre, dans celle des Cordeliers et même dans la Chapelle Saint-Yves.

En 1482, les nobles bourgeois firent l’acquisition pour loger les écoles d’une maison située entre la Porte-Mordelaise et la Chapelle de Notre-Dame de la Cité. Plus tard, vers 1547, la ville de Rennes ayant été érigée en échevinage, la maison des Écoles devint la maison commune. On s’occupa de son agrandissement et de son embellissement, et pour en faciliter les abords, la ville acheta divers immeubles situés en face du cimetière de l’église cathédrale, ce qui permit de créer la petite place Saint-Pierre et de faire une terrasse avec plate-forme en avant de la maison de ville.

En 1694, le vieil hôtel tombait en ruines ; il fut reconstruit en partie et orné d’une grille de fer dont les matériaux provinrent des herses du pont Saint-Yves et du pont Saint-Georges.

Après l’incendie de 1720, l’Hôtel de Ville devenu insuffisant fut cédé aux États de Bretagne pour y loger, pendant les tenues, le Président de l’ordre de la noblesse.

De 1761 à 1790, l’ancien Hôtel de Ville fut occupé par la commission intermédiaire des États.

Plus tard, le 28 Pluviose an VI, le gouvernement y installa l’École d’Artillerie et le logement particulier du général commandant cette école. Depuis lors ce bâtiment n’a pas changé de destination.

La première pierre du nouvel Hôtel de Ville projeté par l’architecte Gabriel fut posée le 12 Avril 1734 par le comte de Volvire, chargé de représenter le comte de Toulouse Gouverneur général de Rennes. Les travaux ne furent terminés qu’en 1743.

La façade de cet édifice est d’un style pur et gracieux. Le milieu forme un fer à cheval dont les deux extrémités ressortent en larges pavillons. Celui du sud où l’on pénètre par un vestibule décoré de quatre colonnes monolithes en marbre de Saint-Berthevin est occupé par les bureaux de la mairie. Une vaste salle qui prend toute la façade Est de ce pavillon est destinée aux fêtes publiques. Elle fut décorée en 1858 à l’occasion du voyage de l’Empereur Napoléon III. On y voit les armes des principales villes de Bretagne.

Un conseiller municipal a demandé dernièrement que cette salle soit restaurée pour recevoir le Président de la République, M. Carnot, qui a promis de venir à Rennes.

Le pavillon Nord contient la bibliothèque publique, les bureaux du commissariat de la police et les divers services dépendant de la mairie. Il avait été construit pour servir de siège à l’un des quatre présidiaux de Bretagne (les autres à Nantes, à Vannes et à Kemper). Les présidiaux étaient des juridictions royales supérieures, tribunaux d’appel des bailliages et sénéchaussées sous l’autorité souveraine des Parlements.

Au milieu se trouve la tour de l’horloge publique. Cette tour qui porte une girouette à son sommet, était autrefois surmontée d’une grande fleur de lys à quatre faces qui fut remplacée par le bonnet phrygien à l’époque de la Révolution et par un aigle sous le premier empire.

Dans la partie inférieure de la tour est une niche dans laquelle s’élevait avant 1789 une statue pédestre en bronze du roi Louis XV. À gauche et à droite étaient deux autres statues : l’une représentant la Santé, l’autre la Bretagne.

La statue de Louis XV fut érigée pour célébrer le rétablissement du roi tombé gravement malade à Metz, au moment où il allait prendre le commandement de l’armée en 1744. L’allégresse fut alors universelle dans toute la France, et de nombreuses statues commémoratives s’élevèrent notamment à Reims et à Bourges.

Il serait à désirer qu’on plaçât dans la niche vide une statue quelconque, la Bretagne par exemple, que l’on pourrait accompagner de Duguesclin et de Richemont. C’est un vœu qui a été exprimé par M. de la Borderie.

Le Présidial, au Nord, a appartenu au département, qui le céda à la ville en échange de la partie du Palais de Justice qui avait été affectée à l’École de droit et dont un décret impérial attribuait la propriété à la ville.

C’est au premier étage du Présidial que se trouve la Bibliothèque publique.

Le premier fonds de cette bibliothèque fut constitué par celle que l’Ordre des avocats au Parlement de Bretagne avait créée le 21 Mai 1733, pour l’usage particulier de ses membres et qu’un arrêt du Conseil du Roi, en date du 20 juin 1758, leur avait permis d’installer à l’étage d’attique de l’hôtel neuf du Présidial.

La bibliothèque des avocats, tombée dans le domaine public en 1790, par suite de la suppression de l’Ordre, resta dans son ancien local, qu’elle occupe encore aujourd’hui. Elle s’y accrut, en 1803, de riches collections de livres provenant des établissements religieux supprimés par la Révolution. Le dépôt unique ainsi formé au chef-lieu du district, en exécution du décret du 8 pluviôse an II, comptait 14,000 volumes. Il en renferme actuellement plus de 50,000 dont 221 manuscrits.

On remarque parmi ces derniers une belle collection de livres d’heures, principalement des XIVe et XVe siècles, enrichis de miniatures, d’ornements en couleurs, et dont l’un fut la propriété et porte les armes de Françoise de Dinan, dame de Châteaubriant, comtesse de Laval (no 26 du catalogue).

A côté de ces produits de l’art national, un psautier exécuté au XVe siècle pour une princesse de la maison d’York (no 8 du catalogue), offre un curieux spécimen du travail des enlumineurs anglais à cette époque. On peut encore citer, entre bien d’autres manuscrits d’une exécution vraiment artistique, une traduction française du Traité du Gouvernement des Princes, de Gilles de Rome (no 116). Ce superbe in-folio de 311 feuillets fit d’abord partie de la bibliothèque du célèbre bibliophile flamand du XVe siècle, Jean de Bruges, seigneur de la Gruthuyre, dont la devise : « Plus est en vous, » se lit dans les encadrements de toutes les pages enrichies de miniatures.

Les vitrines de la bibliothèque offrent aussi à l’attention des curieux, outre d’intéressants échantillons de reliures artistiques, une précieuse collection de volumes incunables (1465-1500) sortis des presses les plus célèbres de France et d’Italie.

La salle de lecture, l’une des plus vastes et des plus confortables de province, est décorée des portraits des fondateurs de cette bibliothèque : le Procureur Général de la Chalotais, le comte de Miniac et le conseiller Robin d’Estréans.

La grosse horloge, — que le bon public Rennais appelle le Gros, — a elle aussi son histoire qui ne manque pas d’un certain intérêt.

Vers le milieu du XVe siècle, les habitants de Rennes formèrent le projet de se procurer une horloge publique et choisirent pour l’établir une tour de la ville située derrière la chapelle Saint-James, non loin de la porte Jacquet, et devenue inutile par suite des derniers accroissements de la cité.

Le duc de Bretagne, François II, voulut que cette horloge fût une des belles de son temps, et recommanda aux habitants de ne rien épargner pour la rendre parfaite. La fonte de la cloche dont le marché avait été passé le 17 janvier 1468 se fit, sans succès, à trois reprises différentes sur l’emplacement actuel de la fontaine du Champ-Jacquet. Elle ne réussit que la quatrième fois, en 1470, où l’opération eut lieu sur la place Saint-François. On y employa 39,263 livres de cuivre et 437 livres d’étain.

Elle fut nommée Françoise du nom de François II.

La tour Saint-James fut décorée d’une statue de Saint-Michel terrassant le diable.

En 1564 la cloche de l’horloge se fendit, et en 1565 il fallut la scier ; elle servit ainsi jusqu’en 1720, époque à laquelle elle fut fondue par l’incendie qui consuma une partie de la ville. On recueillit 29,982 livres de métal provenant des débris de la grosse cloche Françoise.

Sur la demande des habitants de Rennes on s’occupa du rétablissement de l’horloge qui fit partie du projet dressé par Gabriel pour la construction du nouvel Hôtel de Ville.

Dans la séance du 9 Août 1731, le maire présenta à la compagnie les dispositions projetées pour cette horloge, savoir : « que le timbre placé au milieu de la lanterne est marqué de six pieds dix pouces de diamètre, et les apeaux au nombre de douze dans l’intérieur du pourtour composant une octave et demye de ton suivant les règles du diapazon depuis l’ut embas jusqu’au sol faisant la quinte au dessus de l’octave. »

L’Intendant de Bretagne ayant approuvé la délibération du 9 août 1731, la communauté passa marché le 24 du même mois avec les sieurs Chauchard et Brochard, s’engageant à fournir à ces fondeurs le métal rendu à pied d’œuvre, et à leur payer une somme de 5000 livres.

La cloche et ses douze appeaux furent fondus dans l’enclos des Bénédictins de Saint-Melaine, y restèrent jusqu’au lundi 15 Mars 1745, et ne furent définitivement mis en place que le 26 Avril suivant.

Les écussons ornant la grosse cloche comprenaient : les armes du roi, du comte de Toulouse amiral de France et gouverneur de Bretagne, du maréchal d’Estrées commandant général pour le roi en Bretagne, du comte de Chateaurenault, de M. de la Tour des Gallays, intendant de Bretagne, du comte de Volvire, lieutenant du roi pour les quatre évêchés de Bretagne, du marquis de Pézé, gouverneur de Rennes, du marquis de Montataire, gouverneur de la province, et enfin de M. Rallier du Baty, maire de Rennes.

L’horloge actuelle est de 1845.

On lit sur une plaque en cuivre placée sur l’entourage du mécanisme :

« Cette horloge, œuvre de M. Gourdin, ingénieur mécanicien à Mayet (Sarthe) a été placée dans la tour de l’Hôtel de Ville sous l’administration de M. Emmanuel Pongérard, maire, MM. Eon-Duval, Guibert, Lautier adjoints, le 1er Octobre 1845. »

Le beffroi de la tour de l’horloge de Rennes a été restauré dans ces dernières années sur les dessins de M. Martenot, architecte de la ville.

Des événements divers et des scènes gaies ou tragiques se sont accomplis sur cette place qui s’est appelée place Neuve, place Royale, place d’Armes, place Le Chapelier, place Marat, place Napoléon, place Impériale et aujourd’hui place de la Mairie ou de l’Hôtel de Ville.

À l’endroit où a été construit le théâtre était autrefois une seconde place qui, en 1765, prit le nom de place Flesselles, puis place du Peuple et lorsqu’elle fut plantée place aux Arbres.

Ce qui reste de cette place s’appela après la construction du Théâtre, place du Théâtre, mais de nos jours on la nomme comme

sa voisine, place de la Mairie ou de l’Hôtel de Ville.

Le 16 Août 1769 pour célébrer le retour du Parlement disgracié depuis 1765, on offrit à la duchesse de Duras, femme du commandant de la province, une fête superbe, accompagnée de réjouissances publiques.

Devant l’Hôtel de Ville, les danses, les distributions de vin, les illuminations, les feux d’artifice durèrent jusqu’au jour. Les branles, les gavottes, les galopées, les courantes, les danses champêtres se succédèrent sans interruption.

La guillotine fut dressée pour la première fois sur la place de la Mairie, le 29 Octobre 1792, pour l’exécution de Charles Eliot et de René Malœuvre condamnés la veille à la peine de mort pour conspiration monarchique et tentative d’embauchage de soldats.

L’émotion fut profonde dans la ville où Eliot inspirait les plus vives sympathies ; les femmes surtout s’apitoyaient sur son sort et sur celui de ses enfants. Quand les condamnés parurent, marchant d’un pas ferme, les cris de grâce ! grâce ! s’élevèrent de toutes parts.

Eliot gravit le premier les sinistres degrés : « Adieu, dit-il, citoyens de Rennes. Que j’aie le plaisir de crier une dernière fois avec vous : Vive la Nation ! »

Sa tête tomba aussitôt et Malœuvre monta à son tour sur l’échafaud.

Un employé de la municipalité s’amusa à graver avec un clou le dessin de la guillotine sur le chambranle d’une fenêtre de la Mairie. On peut encore voir aujourd’hui ce dessin à la fenêtre du bureau de la comptabilité.

Leperdit, navré d’avoir, chaque jour, sous les yeux l’affreux spectacle des exécutions et de voir le sang des suppliciés former des mares devant la Mairie, s’en alla trouver Carrier pour lui dire que l’échafaud serait mieux sur la place de l’Égalité (place du Palais), dressé au-dessus d’un soupirail dans lequel le sang pourrait couler et disparaître.

Il obtint ce qu’il désirait.

En 1794, on vit apparaître sur les marches de l’Hôtel de Ville le citoyen Leperdit, maire de Rennes, voulant calmer la populace demandant du pain.

Des misérables lui lancèrent des pierres dont l’une l’atteignit au front.

« Mes amis », dit Leperdit, en souriant, « je ne puis malheureusement, comme le Christ, changer ces pierres en pain. Quant à mon sang, je vous le donnerais avec joie jusqu’à la dernière goutte, s’il pouvait vous nourrir. »

À ces mots sublimes la foule, regrettant ce qu’elle a fait, pleure,

baise les mains du maire et le porte en triomphe jusque chez lui.

Plus tard, dans sa vieillesse, quand il fut oublié et abandonné de tous, l’ancien maire Leperdit allait s’asseoir au soleil sur l’un des bancs de la place aux arbres. « Que de fois l’ai-je vu », dit Souvestre, « les yeux tournés vers ce grand édifice du Présidial, où il avait siégé aux plus terribles jours de la Révolution ! ah ! sans doute, qu’en contemplant le théâtre de tant de nobles angoisses, de généreuses espérances et de sublimes dévouements, d’amères pensées descendaient dans son âme ! sans doute qu’il se demanda plus d’une fois à quoi avaient servi tant d’efforts ! »

Le 14 juillet 1831, un arbre de la liberté fut planté sur la place d’armes en commémoration de la prise de la Bastille.

En 1858, quand l’Empereur Napoléon III et l’Impératrice Eugénie parurent au balcon de la salle des fêtes de l’Hôtel de Ville ils furent acclamés par la foule assemblée sur la place de la Mairie.

Enfin le dimanche 24 Mai 1891, on a vu le cortège de la première rosière de Rennes sortir de la Mairie, pour aller à l’église Notre-Dame entendre une messe en musique célébrée à l’occasion

de cette cérémonie.

En face de l’Hôtel de ville, sur l’ancienne place plantée d’arbres s’élève notre théâtre qui rappelle des faits curieux que nous ne pouvons passer sous silence.

Le théâtre ne fut longtemps à Rennes, qu’une entreprise particulière. Des troupes de comédiens obtenaient la permission de jouer, mais cette permission accordée d’abord par la communauté devait être ratifiée par le Parlement et le Gouverneur.

Les écoles s’étaient aussi attribué le droit d’autorisation, et nulle troupe ne pouvait débuter à Rennes si préalablement les premiers rôles n’allaient humblement rendre visite au prévôt de l’école de droit.

La corporation des étudiants avait d’ailleurs droit, pour chaque représentation, à un certain nombre de places gratuites dont le prévôt, chef élu des étudiants, faisait l’équitable répartition entre les amateurs qui s’étaient fait inscrire sur un registre ad hoc. Les étudiants d’aujourd’hui ne se plaindraient sans doute pas du rétablissement de l’ancien usage.

Il résulte des actes de l’état civil que la troupe des comédiens de Molière a passé ou séjourné en notre ville à diverses reprises.

Le théâtre se tint quelque temps dans le vieux jeu de Paume établi rue Baudrairie et qui a été détruit lors de la construction des maisons de la rue Coëtquen.

Après la Révolution des entrepreneurs particuliers firent construire une salle spéciale rue Fracassière, actuellement rue de la Poulaillerie, au lieu dit : Le Petit Trianon, local jadis consacré aux serres du jardin de M. de Robien. Ils obtinrent l’autorisation d’ouvrir une sortie avec allée sur le champ-Jacquet. Cette salle servit aux représentations théâtrales jusqu’en 1835, et est occupée en partie présentement par le café du Sport.

Après la Révolution de 1830, le conseil municipal de Rennes décida qu’une salle de spectacle serait construite aux frais de la ville, sur la place aux Arbres.

Les travaux commencés en 1831, ne furent terminés qu’en 1835. On joua pour la première fois deux opéras comiques : La Dame Blanche et Maison à Vendre. Cette dernière pièce était l’œuvre d’un Rennais, l’académicien Alexandre Duval.

Un incendie qui éclata le 20 Février 1856, après une représentation des Pilules du Diable, détruisit complètement le théâtre de Rennes.

Ce monument reconstruit d’après les plans primitifs dressés par l’architecte Millardet, offre un luxe d’escaliers et de péristyles qui n’est point en rapport avec la salle de spectacle. Celle-ci, bien qu’elle ait été l’objet d’intelligentes restaurations laisse beaucoup à désirer.

La façade du théâtre, en forme d’hémicycle, est couronnée des statues d’Apollon et des neuf Muses, œuvre du sculpteur Lanno.

Au-dessous du théâtre est une galerie qui porte le nom de Galeries Méret, mais qu’on appelle plus communément à Rennes : « Les Arcades ».

Elle sert de promenade aux étudiants et les jours de pluie à tous les vieux rentiers. On y voit d’ailleurs de superbes magasins et de beaux cafés.

Des galeries Méret, on débouche sur la place du Palais, qui a eu comme la place de l’Hôtel de Ville ses fêtes et ses horreurs.