Au Pays de Rennes/Canton de Chateaugiron

Hyacinthe Caillière (p. 188-199).


CANTON DE CHÂTEAUGIRON


Châteaugiron est une gentille petite ville, et en même temps l’une des plus anciennes du département.

Elle a conservé des maisons curieuses et, chose plus rare encore, une galerie et deux tours de l’antique château des sires de Châteaugiron.


CHÂTEAU DE CHÂTEAUGIRON

Notre ami M. Robidou a fait de ces ruines une description très exacte que nous reproduisons ici :

« En se laissant aller aux réflexions et aux souvenirs qu’éveille cette agglomération de ruines sagement conservées et de maisons de tous les âges, on devine tout de suite que, là comme partout en France, deux sociétés se sont heurtées et mêlées, léguant la poussière et quelque écho lointain de leur combat à la petite colline qui fut le champ d’armes d’un monde disparu, infiniment plus divisé encore que notre monde d’à présent.

« Ce qui reste de l’ancienne domination, ce sont ces deux tours d’un château-fort, des restes de murailles et de courtines qui les reliaient, et, au milieu, une vaste cour qui fut la place. Les contours, du côté de la ville, sont généralement des habitations construites avec les débris de la forteresse, et la chapelle même du château, qui servit, jusqu’à ces derniers temps, d’église paroissiale.

« La plus belle et la plus haute des tours qui couronnent ce monticule est complètement isolée et, par bonheur, appartient à la ville ; elle s’élève sur un soubassement de rocher et de grosse maçonnerie plongeant dans l’ancienne douve, et que recouvre extérieurement, à la base, un épais rideau de végétation sauvage ; on en atteint le sommet à l’intérieur par un escalier de granit en spirale, qui traverse six ou sept étages et vous conduit sous la toiture conique moderne qui couvre l’antique plate-forme. Des ouvertures ont été ménagées sur différentes faces, et de l’une d’elles on peut distinguer, par un temps clair, la haute futaie de notre Jardin des Plantes. Les sentinelles féodales en vedette nuit et jour à ce poste aérien découvraient ainsi quatre ou cinq lieues de pays.

« L’autre tour est engagée dans un mélange de divers bâtiments nouveaux ou remaniés, et reliés encore à son ancienne muraille ou courtine, que surmonte une galerie donnant sur la route de La Guerche.

« Derrière les tours et les vieilles murailles, des prairies et des rangées de grands arbres, platanes, ormeaux, etc., s’alignent le long du ruisseau d’Yaigne, qui ne roule pas précisément des flots d’argent entre des rives fleuries, mais ce peu de limpidité tient peut-être à la saison pendant laquelle je l’ai visité. Au reste, ce reproche paraîtra probablement fort déplacé dans la bouche d’un habitant des bords de la Vilaine.

« C’est cependant cet humble ruisseau, s’il daignait parler, qui pourrait le mieux raconter l’histoire et tous les mystères de terreur, de joie ou d’amour de son puissant voisin, car, tout petit et imperceptible qu’il est, il en faisait le tour, il emplissait les douves et formait, au pied du géant, une ceinture d’eau profonde qui en était la principale défense. L’âge nouveau est venu lui dire : Va ton chemin ; ne t’arrête plus à baigner ces remparts splendides ou odieux, n’amoncelle plus tes ondes pour les protéger et les rendre inaccessibles. Le temps est accompli où les vallées se comblent, où les hauteurs s’abaissent, où les abîmes sont mis à nu, où donjons et châteaux sont effondrés, ouverts aux quatre vents, où les forêts elles-mêmes sont percées ou fauchées, les précipices franchis ; où toutes les barrières cèdent à l’impulsion sacrée ; où le double règne matériel et moral de l’homme s’établit par le nivellement du globe sillonné de voies faciles et rapides et par la liberté des peuples se donnant la main par-dessus les trônes.

« Va, reprends toi-même ta course indépendante. »

Châteaugiron existait avant le XIe siècle, et dut son origine à ses seigneurs, dont l’un, appelé Anquetil-Giron, fonda en 1060, le prieuré de Sainte-Croix.

Le château-fort fut bâti par les comtes de Rennes qui avaient en apanage la seigneurie de Châteaugiron. Les puissants seigneurs de cette ville se distinguèrent à diverses époques. Patrice assista à la bataille d’Auray ; son fils Hervé signa, en 1389, le traité de paix passé entre Jean V et Charles VI.

En 1400, Patri, sire de Châteaugiron, grand chambellan héréditaire du duché de Bretagne, épousa Valance de Bain, dame de Poligné. Son frère Jean fut évêque de Saint-Brieuc en 1405.

En 1450, Jean sire de Derval et de Châteaugiron, s’allia à la puissante famille de Laval. La nouvelle mariée fit son entrée à Châteaugiron accompagnée de 119 chevaliers et écuyers. Les habitants et le clergé se rendirent au-devant d’elle et la rencontrèrent montée sur une blanche haquenée, et vêtue d’une robe de velours cramoisi garnie d’hermine. Un gentilhomme à pied portait la queue de sa robe. Elle était suivie de Marguerite de Derval, sa belle-sœur, et de cinq demoiselles d’honneur montées également sur des cavales blanches. Un immense char décoré avec goût, occupé par neuf autres jeunes filles, était traîné par six chevaux couverts de velours portant les armes de Châteaugiron et de Laval.

Les maisons étaient pavoisées et couvertes de tapisseries.

Le seigneur de la Châtaignerais prit la bride du cheval de la dame de Châteaugiron, qu’il conduisit, tête nue, sans bottes ni éperons, par la grande rue jusqu’à l’église paroissiale de Sainte-Croix.

La mariée se rendit ensuite au prieuré, où elle dîna. Les bourgeois de la ville vinrent lui offrir deux bassins d’argent.

Un droit était alors attaché à la baronnie de Châteaugiron. Le possesseur d’un certain héritage était tenu, sous peine de perdre la jouissance de ses revenus de l’année, de venir, le premier mai, chanter sur le pont du château, après la grand’messe, devant les officiers de la juridiction, une chanson dont on ne sait plus que le premier couplet :

Belle bergère, Dieu vous gard
Tant vous estes belle et jolie !
Le filz du roi, Dieu vous saulve et gard,


Vous et la vostre compagnie.
Entrez : je suis en fantaisie,
Belle, pour vous, votre franc regard ;
Pour vous suis venu ceste part.

Il devait, en outre, après sa chanson, remettre une ceinture de laine de cinq couleurs, d’une aune de long, et appelée la ceinture du berger.

Châteaugiron eut un ministre protestant en 1564.

Le château soutint plusieurs sièges pendant les guerres de la religion. Il fut pris d’assaut le 24 Juin 1592 par le duc de Mercœur, qui fit pendre toute la garnison, sur la contrescarpe de la grosse tour, à un arbre qui porta longtemps le nom de Chêne des Pendus.

La chapelle du château, qui conserve dans sa partie ancienne, une abside romane d’une grande simplicité, a servi pendant longtemps d’église paroissiale.

L’église de Châteaugiron possède une très belle Magdelaine du sculpteur Julien Gourdel. Cette œuvre peu connue mérite de l’être davantage.

Le prieuré de Sainte-Croix a disparu.

La principale industrie de Châteaugiron fut pendant longtemps la fabrication des toiles à voile et les blanchisseries de fil. Les nouveaux procédés de fabrication l’ont complètement ruinée.

Les femmes font des dentelles à la main qui servent d’ornement aux coiffes, appelées polkas, des paysannes des environs de Rennes.

Châteaugiron a donné le jour aux deux sculpteurs Julien et Pierre Gourdel, dont le Musée de Rennes possède plusieurs œuvres, parmi lesquelles on peut citer : de Julien Gourdel, la jolie statue du Petit Savoyard pleurant sa marmotte, la Petite Fille au chien, Niobé, Anaxagore, le buste de Toullier ; — de Pierre Gourdel, les bustes en marbre de l’architecte Letarouilly, d’Hippolyte Lucas, de Julien Gourdel ; ceux en plâtre ou en terre cuite de Du Guesclin, Merlin, La Riboisière, Ginguené, La Bletterie, La Tour d’Auvergne, Thomas Conecte, Descartes, etc. C’est Pierre Gourdel qui a été chargé par le gouvernement d’exécuter les bustes en marbre du marquis de Paulmy et de Bailly, qui ornent le péristyle de la Bibliothèque de l’Arsenal, à Paris.

M. Guillou, René-Marie, né à Châteaugiron le 15 Mai 1747, fut en qualité de curé de Martigné-Ferchaud député du clergé aux États généraux en 1789.

Il soutint avec énergie, contre l’avis de certains évêques, la légalité de la convocation faite par le roi des représentants du clergé de second ordre aux États généraux. Son opinion prévalut. Son discours est relaté dans un ouvrage du temps, intitulé : Correspondance des États généraux avec la Sénéchaussée de Rennes. (Ann. 1789 et suiv. tom. 1er).

Enfin Châteaugiron a eu son poète. Cette année, à Rennes, à l’Exposition rétrospective du Palais des sciences on pouvait voir un opuscule sur lequel on lisait :

Le 2 pluviose an II, un discours fut prononcé dans le temple de la Raison, à Dol, à la fête civique du Décadi, suivi de deux pièces de vers, l’une à la Raison, l’autre à l’Égalité par le citoyen René Gilbert, de Châteaugiron, près Rennes, membre de la Société populaire de Dol, imprimé par arrêté de cette Société.

Et plus bas la dédicace suivante :

« Au citoyen Lecarpentier
représentant du Peuple, au département de la Manche et autres environnants.

« Je publie les bienfaits de la Raison, je lui rends hommage : elle a naturalisé chez nous ses deux filles, la Liberté et l’Égalité dont tu es l’ami, l’interprète, le défenseur. C’est sous tes heureux auspices que je suis glorieux de lui présenter mon offrande. »

Il est une promenade fort agréable à faire, pour un habitant de Rennes dans le canton de Châteaugiron et dans la commune de Bourg-Barré, qui dépend du canton sud-ouest de Rennes.

Tout ce pays est sillonné de cours d’eau le long desquels sont des rideaux de peupliers et de vastes prairies.

À l’automne lorsque la nature semble empreinte d’une douce mélancolie ces paysages sont ravissants : les saules et les oseraies ont des teintes bizarres, les aliziers se dorent sous les derniers rayons du soleil et des vapeurs s’élèvent sur l’eau et les prés, donnant à ces lieux un aspect tout particulier.

En quittant la gare de Vern si on laisse, à sa gauche, le bourg pour prendre le chemin de Nouvoitou, on rencontre le vieux manoir du Grand Corsé, sis en la commune de Nouvoitou. Il est précédé d’une belle avenue et possède un parc clos de murs en assez bon état.

Le pays devient de plus en plus accidenté et de larges horizons charment à chaque instant la vue.

Au bas de la côte qui précède le bourg de Nouvoitou, dans une vallée profonde est un large ruisseau s’en allant vers la Seiche et qui est appelé par les paysans ruisseau de Guines. Le pont sous lequel il coule porte le même nom « Pont de Guines ».

Ce ruisseau vient de Châteaugiron, passe derrière le château et s’appelle réellement comme nous l’avons dit : L’Yaigne.

L’église de Nouvoitou, du XVe siècle, possède dans la chapelle de la Vierge un retable fort curieux.

On a apporté, de la vieille baronnie de Vausel (aujourd’hui transformée en ferme), des pierres tombales qui ont été placées dans le cimetière de Nouvoitou. L’une d’elles, très bien conservée, est debout appuyée contre les murs de l’église. Elle représente, sculptée dans la pierre, une femme les mains jointes, entourée d’enjolivements offrant un certain caractère.

Une croix du cimetière est également très vieille.

En allant de Nouvoitou à Saint-Armel, on laisse sur la gauche le village de l’Epron, sur la Seiche, rivière qui possédait autrefois, à cet endroit, un pont que l’on supposait construit par les romains.

Du même côté, on aperçoit la baronnie de Vausel dont nous avons déjà parlé.

Plus loin, à un kilomètre, avant d’arriver à Saint-Armel, est un moulin sur les bords de la Seiche qu’on appelle moulin de la Motte. Il doit être une dépendance du manoir de ce nom dont il ne reste aucune trace.

Il y a là un joli sujet de tableau : quelques chétives masures avec leurs toits moussus, la roue noire du moulin, les grosses roches sous la chute d’eau et un rideau de peupliers allant se perdre dans les prairies forment un petit coin charmant.

Le bourg de Saint-Armel coupé par de nombreuses routes avec son église à l’intersection de toutes ces lignes n’offre rien de bien intéressant.

L’église renferme le sarcophage en pierre de Saint-Armel qui a été badigeonné d’une épaisse couche de peinture. Cet acte de vandalisme ne permet plus de rien distinguer, aussi a-t-on eu soin d’écrire en grosses lettres sur le mur : « Châsse de Saint-Armel mort ici en 581. »

Des vitraux modernes, à toutes les croisées, assombrissent beaucoup trop l’église. Ils rappellent les principaux miracles de la vie de Saint-Armel. On lit au-dessous de l’un d’eux : « Comment Saint-Armel traine et noye le dragon dans la Seiche. »

L’église de Saint-Armel est une des rares églises du département qui a pour girouette un drapeau tricolore.

La fontaine de Saint-Armel a été pour moi une véritable désillusion. Je me figurais trouver dans un petit chemin creux une fontaine recouverte de lierre encadrant la statue du saint. Rien de tout cela. Un affreux trou carré, creusé au coin d’un champ et recouvert de quelques planches qui empêchent de voir la statue affreusement mutilée enfoncée dans la terre, les pieds dans l’eau.

Le chemin pavé qui y conduisait autrefois a été recouvert de terre et de gravier.

Un calvaire en bois a été placé prés de cette fontaine située sur la route de Corps-Nuds derrière une barraque en planches servant de forges.

La route de Saint-Armel à Bourg-Barré est très accidentée.

L’ancien manoir de la Vairie, lui aussi transformé en ferme, a encore cependant un assez joli aspect avec ses pavillons aux toits pointus dominant la vallée de l’Yze qui coule au milieu d’immenses prairies.

Une très belle motte féodale, recouverte d’arbres et de buissons et entourée de douves desséchées, existe à côté de Bourg-Barré à moins de cent mètres de l’église. Elle appartient, ainsi que le vieux manoir de la Vairie, à M. de Talhouët.

Au nord du bourg est un tertre appelé le Rocher, près du village du même nom. Du haut de ce coteau la vue embrasse un panorama splendide : devant soi Bourg-Barré, plus loin l’hôpital de Corps-Nuds et à l’Ouest les clochers d’Orgères et de Laillé.