Attirances (Verhaeren)

Poèmes (IIe série)Société du Mercure de France (p. 27--).
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ATTIRANCES


Lointainement, et si étrangement pareils,
De grands masques d’argent que la brume recule,
Vaguent, au jour tombant, autour des vieux soleils.

Les doux lointains ! — et comme, au fond du crépuscule,
Ils nous fixent le cœur, immensément le cœur,
Avec les yeux défunts de leur visage d’âme.


C’est toujours du silence, à moins, dans la pâleur
Du soir, un jet de feu soudain, un cri de flamme,
Un départ de lumière inattendu vers Dieu.

On se laisse charmer et troubler de mystère,
Et l’on dirait des morts qui taisent un adieu
Trop mystique, pour être écouté par la terre !

Sont-ils le souvenir matériel et clair
Des éphèbes chrétiens couchés aux catacombes
Parmi les lys ? Sont-ils leur regard et leur chair ?

Ou seul, ce qui survit de merveilleux aux tombes
De ceux qui sont partis, vers leurs rêves, un soir,
Conquérir la folie à l’assaut des nuées ?

 
Lointainement, combien nous les sentons vouloir
Un peu d’amour pour leurs œuvres destituées,
Pour leur errance et leur tristesse aux horizons,

Toujours ! aux horizons du cœur et des pensées,
Alors que les vieux soirs éclatent en blasons
Soudains, pour les gloires noires et angoissées.