Attila (Corneille)/Acte II
ACTE II.
Scène PREMIÈRE.
Je ne m’en défends point : oui, Madame, Octar m’aime ;
Tout ce que je vous dis, je l’ai su de lui-même.
Ils sont rois, mais c’est tout : ce titre sans pouvoir
N’a rien presque en tous deux de ce qu’il doit avoir ;
Et le fier Attila chaque jour fait connoître
Que s’il n’est pas leur roi, du moins il est leur maître,
Et qu’ils n’ont en sa cour le rang de ses amis
Qu’autant qu’à son orgueil ils s’y montrent soumis.
Tous deux ont grand mérite, et tous deux grand courage ;
Mais ils sont, à vrai dire, ici comme en otage,
Tandis que leurs soldats en des camps éloignés
Prennent l’ordre sous lui de gens qu’il a gagnés ;
Et si de le servir leurs troupes n’étoient prêtes,
Ces rois, tous rois qu’ils sont, répondroient de leurs têtes.
Son frère aîné Vléda, plus rempli d’équité,
Les traitoit malgré lui d’entière égalité ;
Il n’a pu le souffrir, et sa jalouse envie,
Pour n’avoir plus d’égaux, s’est immolé sa vie[1].
Le sang qu’après avoir mis ce prince au tombeau,
On lui voit chaque jour distiller du cerveau[2],
Punit son parricide, et chaque jour vient faire
Un tribut étonnant à celui de ce frère :
Suivant même qu’il a plus ou moins de courroux,
Ce sang forme un supplice ou plus rude ou plus doux,
S’ouvre une plus féconde ou plus stérile veine ;
Et chaque emportement porte avec lui sa peine.
Que me sert donc qu’on m’aime, et pourquoi m’engager
À souffrir un amour qui ne peut me venger ?
L’insolent Attila me donne une rivale ;
Par ce choix qu’il balance il la fait mon égale ;
Et quand pour l’en punir je crois prendre un grand roi,
Je ne prends qu’un grand nom qui ne peut rien pour moi.
Juge que de chagrins au cœur d’une princesse
Qui hait également l’orgueil et la foiblesse ;
Et de quel œil je puis regarder un amant
Qui n’aura que pitié de mon ressentiment,
Qui ne saura qu’aimer, et dont tout le service
Ne m’assure aucun bras à me faire justice.
Jusqu’à Rome Attila m’envoie offrir sa foi[3],
Pour douter dans son camp entre Ildione et moi.
Hélas ! Flavie, hélas ! si ce doute m’offense,
Que doit faire une indigne et haute préférence ?
Et n’est-ce pas alors le dernier des malheurs
Qu’un éclat impuissant d’inutiles douleurs ?
Prévenez-le, Madame ; et montrez à sa honte
Combien de tant d’orgueil vous faites peu de conte[4].
La bravade est aisée, un mot est bientôt dit :
Mais où fuir un tyran que la bravade aigrit ?
Retournerai-je à Rome, où j’ai laissé mon frère
Enflammé contre moi de haine et de colère,
Et qui, sans la terreur d’un nom si redouté,
Jamais n’eût mis de borne à ma captivité ?
Moi qui prétends pour dot la moitié de l’empire…
Ce seroit d’un malheur vous jeter dans un pire[5].
Ne vous emportez pas contre vous jusque-là :
Il est d’autres moyens de braver Attila.
Épousez Valamir.
Que d’épouser un roi dont il fait son esclave ?
Mais vous l’aimez.
Je ne veux point de rois qu’on force d’obéir ;
Et si tu me dis vrai, quelque rang que je tienne,
Cet hymen pourroit être et sa perte et la mienne.
Mais je veux qu’Attila, pressé d’un autre amour,
Endure un tel insulte[6] au milieu de sa cour :
Ildione par là me verroit à sa suite ;
À de honteux respects je m’y verrois réduite ;
Et le sang des Césars, qu’on adora toujours,
Feroit hommage au sang d’un roi de quatre jours !
Dis-le-moi toutefois : pencheroit-il vers elle ?
Que t’en a dit Octar ?
Qu’il en parle avec joie, et fuit à lui parler.
Il me parle, et s’il faut ne rien dissimuler,
Ses discours me font voir du respect, de l’estime,
Et même quelque amour, sans que le nom s’exprime.
C’est un peu plus qu’à l’autre.
Et peut-être bien moins.
Quoi ? ce qu’à l’éviter il apporte de soins…
Peut-être il ne la fuit que de peur de se rendre ;
Et s’il ne me fuit pas, il sait mieux s’en défendre.
Oui, sans doute, il la craint, et toute sa fierté
Ménage, pour choisir, un peu de liberté.
Mais laquelle des deux voulez-vous qu’il choisisse ?
Mon âme des deux parts attend même supplice :
Ainsi que mon amour, ma gloire a ses appas ;
Je meurs s’il me choisit, ou ne me choisit pas ;
Et… Mais Valamir entre, et sa vue en mon âme
Fait trembler mon orgueil, enorgueillit ma flamme.
Flavie, il peut sur moi bien plus que je ne veux :
Pour peu que je l’écoute, il aura tous mes vœux.
Dis-lui… mais il vaut mieux faire effort sur moi-même.
Scène II.
Le savez-vous, Seigneur, comment je veux qu’on m’aime ?
Et puisque jusqu’à moi vous portez vos souhaits,
Avez-vous su connoître à quel prix je me mets ?
Je parle avec franchise, et ne veux point vous taire
Que vos soins me plairoient, s’il ne falloit que plaire ;
Mais quand cent et cent fois ils seroient mieux reçus,
Il faut pour m’obtenir quelque chose de plus.
Attila m’est promis, j’en ai sa foi pour gage ;
La princesse des Francs prétend même avantage ;
Et bien que sur le choix il semble hésiter[7],
Étant ce que je suis j’aurois tort d’en douter.
Mais qui promet à deux outrage l’une et l’autre[8].
J’ai du cœur, on m’offense, examinez le vôtre.
Pourrez-vous m’en venger, pourrez-vous l’en punir ?
N’est-ce que par le sang qu’on peut vous obtenir ?
Et faut-il que ma flamme à ce grand cœur réponde
Par un assassinat du plus grand roi du monde,
D’un roi que vous avez souhaité pour époux ?
Ne sauroit-on sans crime être digne de vous ?
Non, je ne vous dis pas qu’aux dépens de sa tête
Vous vous fassiez aimer, et payiez ma conquête.
De l’aimable façon qu’il vous traite aujourd’hui
Il a trop mérité ces tendresses pour lui ;
D’ailleurs, s’il faut qu’on l’aime, il est bon qu’on le craigne.
Mais c’est cet Attila qu’il faut que je dédaigne.
Pourrez-vous hautement me tirer de ses mains,
Et braver avec moi le plus fier des humains ?
Il n’en est pas besoin. Madame : il vous respecte,
Et bien que sa fierté vous puisse être suspecte,
À vos moindres froideurs, à vos moindres dégoûts,
Je sais que ses respects me donneroient à vous.
Que j’estime assez peu le sang de Théodose
Pour souffrir qu’en moi-même un tyran en dispose,
Qu’une main qu’il me doit me choisisse un mari,
Et me présente un roi comme son favori !
Pour peu que vous m’aimiez, Seigneur, vous devez croire
Que rien ne m’est sensible à l’égal de ma gloire.
Régnez comme Attila, je vous préfère à lui ;
Mais point d’époux qui n’ose en dédaigner l’appui,
Point d’époux qui m’abaisse au rang de ses sujettes.
Enfin, je veux un roi : regardez si vous l’êtes,
Et quoi que sur mon cœur vous ayez d’ascendant.
Sachez qu’il n’aimera qu’un prince indépendant.
Voyez à quoi, Seigneur, on connoît les monarques :
Ne m’offrez plus de vœux qui n’en portent les marques ;
Et soyez satisfait qu’on vous daigne assurer
Qu’à tous les rois ce cœur voudroit vous préférer.
Scène III.
Quelle hauteur, Flavie, et que faut-il qu’espère
Un roi dont tous les vœux…
L’amour sera le maître ; et la même hauteur
Qui vous dispute ici l’empire de son cœur,
Vous donne en même temps le secours de la haine
Pour triompher bientôt de la fierté romaine.
L’orgueil qui vous dédaigne en dépit de ses feux
Fait haïr Attila de se promettre à deux ;
Non que cette fierté n’en soit assez jalouse
Pour ne pouvoir souffrir qu’Ildione l’épouse :
À son frère, à ses Francs faites-la renvoyer,
Vous verrez tout ce cœur soudain se déployer.
Suivie ce qui lui plaît, braver ce qui l’irrite.
Et livrer hautement la victoire au mérite.
Ne vous rebutez point d’un peu d’emportement :
Quelquefois malgré nous il vient un bon moment.
L’amour fait des heureux lorsque moins on y pense ;
Et je ne vous dis rien sans beaucoup d’apparence.
Ardaric vous apporte un entretien plus doux.
Adieu : comme le cœur, le temps sera pour vous.
Scène IV.
Qu’avez-vous obtenu, Seigneur, de la Princesse ?
Beaucoup, et rien : j’ai vu pour moi quelque tendresse ;
Mais elle sait d’ailleurs si bien ce qu’elle vaut,
Que si celle des Francs a le cœur aussi haut,
Si c’est à même prix, Seigneur, qu’elle se donne,
Vous lui pourrez longtemps offrir votre couronne.
Mon rival est haï, je n’en saurois douter,
Tout le cœur est à moi, j’ai lieu de m’en vanter ;
Au reste des mortels je sais qu’on me préfère,
Et ne sais toutefois ce qu’il faut que j’espère.
Voyez votre Ildione ; et puissiez-vous, Seigneur,
Y trouver plus de jour à lire dans son cœur,
Une âme plus tournée à remplir votre attente.
Un esprit plus facile ! Octar sort de sa tente.
Adieu.
Scène V.
Pourrai-je voir la Princesse à mon tour ?
Non, à moins qu’il vous plaise attendre son retour ;
Mais, à ce que ses gens, Seigneur, m’ont fait entendre,
Vous n’avez en ce lieu qu’un moment à l’attendre.
Dites-moi cependant : vous fûtes prisonnier
Du roi des Francs, son frère, en ce combat dernier ?
Le désordre, Seigneur, des Champs catalauniques
Me donna peu de part aux disgrâces publiques.
Si j’y fus prisonnier de ce roi généreux,
Il me fit dans sa cour un sort assez heureux :
Ma prison y fut libre ; et j’y trouvai sans cesse
Une bonté si rare au cœur de la Princesse,
Que de retour ici je pense lui devoir
Les plus sacrés respects qu’un sujet puisse avoir.
Qu’un monarque est heureux lorsque le ciel lui donne
La main d’une si belle et si rare personne !
Vous savez toutefois qu’Attila ne l’est pas,
Et combien son trop d’heur lui cause d’embarras.
Ah ! puisqu’il a des yeux, sans doute il la préfère.
Mais vous vous louez fort aussi du roi son frère.
Ne me déguisez rien : a-t-il des qualités
À se faire admirer ainsi de tous côtés ?
Est-ce une vérité que ce que j’entends dire,
Ou si c’est sans raison que l’univers l’admire ?
Je ne sais pas, Seigneur, ce qu’on vous en a dit[9] ;
Mais si pour l’admirer ce que j’ai vu suffit.
Je l’ai vu dans la paix, je l’ai vu dans la guerre,
Porter partout un front de maître de la terre.
J’ai vu plus d’une fois de fières nations
Désarmer son courroux par leurs soumissions[10].
J’ai vu tous les plaisirs de son âme héroïque
N’avoir rien que d’auguste et que de magnifique ;
Et ses illustres soins ouvrir à ses sujets
L’école de la guerre au milieu de la paix[11].
Par ces délassements sa noble inquiétude
De ses justes desseins faisoit l’heureux prélude ;
Et si j’ose le dire, il doit nous être doux
Que ce héros les tourne ailleurs que contre nous.
Je l’ai vu, tout couvert de poudre et de fumée.
Donner le grand exemple à toute son armée[12],
Semer par ses périls l’effroi de toutes parts,
Bouleverser les murs d’un seul de ses regards,
Et sur l’orgueil brisé des plus superbes têtes
De sa course rapide entasser les conquêtes[13].
Ne me commandez point de peindre un si grand roi :
Ce que j’en ai vu passe un homme tel que moi ;
Mais je ne puis, Seigneur, m’empêcher de vous dire
Combien son jeune prince est digne qu’on l’admire.
Il montre un cœur si haut sous un front délicat
Que dans son premier lustre il est déjà soldat :
Le corps attend les ans, mais l’âme est toute prête.
D’un gros de cavaliers il se met à la tête,
Et l’épée à la main, anime l’escadron
Qu’enorgueillit l’honneur de marcher sous son nom.
Tout ce qu’a d’éclatant la majesté du père,
Tout ce qu’ont de charmant les grâces de la mère,
Tout brille sur ce front, dont l’aimable fierté
Porte empreints et ce charme et cette majesté[14].
L’amour et le respect qu’un si jeune mérite…
Mais la Princesse vient, Seigneur, et je vous quitte.
Scène VI.
On vous a consulté, Seigneur ; m’apprendrez-vous
Comment votre Attila dispose enfin de nous ?
Comment disposez-vous vous-même de mon âme ?
Attila va choisir ; il faut parler, Madame :
Si son choix est pour vous, que ferez-vous pour moi ?
Tout ce que peut un cœur qu’engage ailleurs ma foi.
C’est devers vous qu’il penche ; et si je ne vous aime,
Je vous plaindrai du moins à l’égal de moi-même :
J’aurai mêmes ennuis, j’aurai mêmes douleurs ;
Mais je n’oublierai point que je me dois ailleurs.
Cette foi que peut-être on est près de vous rendre.
Si vous aviez du cœur, vous sauriez la reprendre.
J’en ai, s’il faut me vaincre, autant qu’on peut avoir,
Et n’en aurai jamais pour vaincre mon devoir.
Mais qui s’engage à deux dégage l’une et l’autre[15].
Ce seroit ma pensée aussi bien que la vôtre ;
Et si je n’étois pas, Seigneur, ce que je suis,
J’en prendrois quelque droit de finir mes ennuis ;
Mais l’esclavage fier d’une haute naissance,
Où toute autre peut tout, me tient dans l’impuissance ;
Et victime d’État, je dois sans reculer
Attendre aveuglément qu’on me daigne immoler.
Attendre qu’Attila, l’objet de votre haine,
Daigne vous immoler à la fierté romaine ?
Qu’un pareil sacrifice auroit pour moi d’appas !
Et que je souffrirai s’il ne s’y résout pas !
Qu’il seroit glorieux de le faire vous-même,
D’en épargner la honte à votre diadème !
J’entends celui des Francs, qu’au lieu de maintenir…
C’est à mon frère alors de venger et punir :
Mais ce n’est point à moi de rompre une alliance
Dont il vient d’attacher vos Huns avec sa France,
Et me faire par là du gage de la paix
Le flambeau d’une guerre à ne finir jamais.
Il faut qu’Attila parle ; et puisse être Honorie
La plus considérée, ou moi la moins chérie !
Puisse-t-il se résoudre à me manquer de foi !
C’est tout ce que je puis et pour vous et pour moi.
S’il vous faut des souhaits, je n’en suis point avare ;
S’il vous faut des regrets, tout mon cœur s’y prépare,
Et veut bien…
Que laisser à tous deux d’inutiles regrets ?
Pouvez-vous espérer qu’Attila vous dédaigne ?
Rome est encor puissante, il se peut qu’il la craigne.
À moins que pour appui Rome n’ait vos froideurs,
Vos yeux l’emporteront sur toutes ses grandeurs :
Je le sens en moi-même, et ne vois point d’empire
Qu’en mon cœur d’un regard ils ne puissent détruire.
Armez-les de rigueurs, Madame, et par pitié
D’un charme si funeste ôtez-leur la moitié :
C’en sera trop encore, et pour peu qu’ils éclatent,
Il n’est aucun espoir dont mes désirs se flattent.
Faites donc davantage : allez jusqu’au refus,
Ou croyez qu’Ardaric déjà n’espère plus.
Qu’il ne vit déjà plus, et que votre hyménée
A déjà par vos mains tranché sa destinée.
Ai-je si peu de part en de tels déplaisirs,
Que pour m’y voir en prendre il faille vos soupirs ?
Me voulez-vous forcer à la honte des larmes ?
Si contre tant de maux vous m’enviez leurs charmes,
Faites quelque autre grâce à mes sens alarmés,
Madame, et pour le moins dites que vous m’aimez.
Ne vouloir pas m’en croire à moins d’un mot si rude,
C’est pour une belle âme un peu d’ingratitude.
De quelques traits pour vous que mon cœur soit frappé,
Ce grand mot jusqu’ici ne m’est point échappé ;
Mais haïr un rival, endurer d’être aimée,
Comme vous de ce choix avoir l’âme alarmée,
À votre espoir flottant donner tous mes souhaits,
À votre espoir déçu donner tous mes regrets,
N’est-ce point dire trop ce qui sied mal à dire ?
Mais vous épouserez Attila.
Et mon cœur…
Si, même en n’osant rien, il craint de trop oser ?
Non, si vous en aviez, vous sauriez la reprendre,
Cette foi que peut-être on est prêt[16] de vous rendre.
Je ne m’en dédis point, et ma juste douleur
Ne peut vous dire assez que vous manquez de cœur.
Il faut donc qu’avec vous tout à fait je m’explique.
Écoutez ; et surtout, Seigneur, plus de réplique.
Je vous aime : ce mot me coûte à prononcer ;
Mais puisqu’il vous plaît tant, je veux bien m’y forcer.
Permettez toutefois que je vous die[17] encore
Que si votre Attila de ce grand choix m’honore,
Je recevrai sa main d’un œil aussi content
Que si je me donnois ce que mon cœur prétend :
Non que de son amour je ne prenne un tel gage
Pour le dernier supplice et le dernier outrage,
Et que le dur effort d’un si cruel moment
Ne redouble ma haine et mon ressentiment ;
Mais enfin mon devoir veut une déférence
Où même il ne soupçonne aucune répugnance.
Je l’épouserai donc, et réserve pour moi
La gloire de répondre à ce que je me doi.
J’ai ma part, comme un autre, à la haine publique
Qu’aime à semer partout son orgueil tyrannique ;
Et le hais d’autant plus, que son ambition
A voulu s’asservir toute ma nation ;
Qu’en dépit des traités et de tout leur mystère
Un tyran qui déjà s’est immolé son frère,
Si jamais sa fureur ne redoutoit plus rien,
Auroit peut-être peine à faire grâce au mien.
Si donc ce triste choix m’arrache à ce que j’aime,
S’il me livre à l’horreur qu’il me fait de lui-même,
S’il m’attache à la main qui veut tout saccager,
Voyez que d’intérêts, que de maux à venger !
Mon amour, et ma haine, et la cause commune
Crieront à la vengeance, en voudront trois pour une ;
Et comme j’aurai lors sa vie entre mes mains,
Il a lieu de me craindre autant que je vous plains.
Assez d’autres tyrans ont péri par leurs femmes :
Cette gloire aisément touche les grandes âmes,
Et de ce même coup qui brisera mes fers,
Il est beau que ma main venge tout l’univers[18].
Voilà quelle je suis, voilà ce que je pense,
Voilà ce que l’amour prépare à qui l’offense.
Vous, faites-moi justice ; et songez mieux, Seigneur,
S’il faut me dire encor que je manque de cœur.
Vous préserve le ciel de l’épreuve cruelle
Où veut un cœur si grand mettre une âme si belle !
Et puisse Attila prendre un esprit assez doux
Pour vouloir qu’on vous doive autant à lui qu’à vous !
- ↑ Voyez plus haut, p. 121, la note du vers 342.
- ↑ Voyez encore ci-dessus, p. 105 et la note 1.
- ↑ Voyez ci-dessus, p. 104, note 1.
- ↑ Malgré la rime, on lit ici compte, et non pas conte, dans l’édition de 1692. Il en est de même au vers 1001 (acte III, scène iv). Plus loin, dans le courant du vers 737 (acte III, scène i), l’édition originale porte comte, et les recueils de 1668, de 1682 et de 1692, compte.
- ↑ Lorsque Boileau, quelques années plus tard, traduisait ce vers d’Horace (Art poétique, vers 31) :
In vitium ducit culpæ fuga, si caret arte,
par
Souvent la peur d’un mal nous conduit dans un pire
(Art poétique, chant I, vers 64),
il se rapprochait de Corneille au moins autant que de son modèle.
- ↑ Le genre du mot insulte était encore douteux. Voyez le Lexique. Voltaire
(1764) a ainsi modifié le vers ;
Endure telle insulte au milieu de sa cour. - ↑ Voyez tome IV, p. 190, la variante du vers 936 du Menteur, et le Lexique. — Voltaire (1764) a ajouté une syllabe :
Et bien que sur le choix il me semble hésiter. - ↑ Voltaire (1764) donne l’un et l’autre. Voyez plus loin le vers 605.
- ↑ Dans ce portrait de Mérovée et de son fils, Corneille s’est appliqué à peindre Louis XIV et le grand Dauphin, qui, né en 1661, était alors effectivement « dans son premier lustre, » ou du moins en sortait à peine.
- ↑ Ce mot, dont l’orthographe ordinaire dans Corneille est submissions, est imprimé ici, dans toutes les éditions, avec un accent circonflexe : soûmissions.
- ↑ En 1666, il y avait eu à Compiègne et ailleurs de grandes revues, « pour préparer les troupes aux expéditions de l’année suivante. » (Abrégé chronologique de l’Histoire de France, par le président Hénault, année 1666.)
- ↑ Comparez les vers 277 et 278 du Cid (tome III, p. 120)
- ↑ Il nous paraît à peu près certain que Corneille a composé postérieurement à la représentation, qui avait eu lieu, comme nous l’avons dit, au mois de mars 1667, ces vers où il fait évidemment allusion à la campagne de Flandre, et aux récentes conquêtes de Louis XIV, qui prit en personne, en juin, juillet et août 1667, les villes de Tournai, de Douai, de Lille. Au siège de cette dernière place, il s’exposa tellement que Turenne menaça de se retirer s’il ne se ménageait davantage. L’impression de la pièce, nous l’avons dit aussi, ne fut achevée que vers la fin de novembre 1667.
- ↑ Ici encoie le poète a en vue les exercices militaires de l’année 1666. Robinet, le continuateur de la Muse historique de Loret, raconte, dans sa Lettre à Madame du 14 février, que le lundi 8, « proche Conflans, dans la
plaine, » le Roi fit la revue
Des troupes de son cher Dauphin…
Qui déjà l’amant de Belloue,
En ce lieu parut en personne
Dessus un petit Bucéphal, etc.
La Gazette, dans les numéros du 8 mai et du 10 juillet, parle de deux autres revues où le Dauphin figura soit à la tête de son régiment, soit à la tête de sa compagnie. - ↑ Voyez, plus haut, p. 127, la note du vers 461. Ici ce n’est pas seulement Voltaire (1764), mais encore l’édition de 1682 qui donnent : « l’un et l’autre. »
- ↑ Telle est l’orthographe de ce mot dans toutes les anciennes éditions, et même dans celle de Voltaire (1764).
- ↑ Suivant son habitude, Thomas Corneille a corrigé die en dise. Voltaire a fait de même.
- ↑ Voyez ci-dessus, p. 104.
- ↑ Voltaire a supprimé ces mots, et il a ensuite ajouté seul au nom d’ardaric.