Astronomie populaire (Arago)/XXXIII/48

GIDE et J. BAUDRY (Tome 4p. 736-740).

CHAPITRE XLVIII

des almanachs et des calendriers


On est étonné que le peuple romain se soit contenté si longtemps des calendriers compliqués à l’aide desquels on divisait le temps. Mais les pontifes, à qui l’entière direction de cet objet était confiée, avaient constamment refusé de faire connaître au peuple les moyens qu’ils mettaient en usage pour établir d’avance la succession des mois et des jours d’une année.

Tout le monde sait, d’ailleurs, le danger qu’il y avait, dans ces temps reculés, à s’immiscer dans les chose dites sacrées. Hérodote lui-même nous avertit expressément qu’il usera à ce sujet d’une grande réserve, et que, dans tous les chapitres qui auront des rapports plus ou moins directs avec la religion, on doit s’attendre à trouver de nombreuses réticences.

La première divulgation des principes du calendrier romain, faite au grand déplaisir des pontifes, remonte à l’an 303 avant notre ère, et à Caius Flavius. Postérieurement, Ennius, Pison, Ovide, etc., composèrent et publièrent des traités sur cette matière ; leurs ouvrages renfermaient non-seulement le calendrier général, mais encore des prédictions météorologiques étrangères à un almanach vraiment scientifique. Dans cette catégorie doit être classé le sixième et dernier chapitre des Éléments d’astronomie de Geminus ; on y trouve en effet, à côté des indications des levers et des couchers des astres pour les divers jours de l’année, des remarques telles que celle-ci : La mer devient orageuse, pluie, grand vent, tonnerre, neige, grêle fréquente, etc.

Des indications semblables se lisent dans le traité intitulé Apparition des fixes, et attribué à Ptolémée ; l’auteur annonce jour par jour les états de l’atmosphère.

L’Annuaire agronomique de Columelle renferme des prédictions, résultats d’une observation imparfaite, et qui, aujourd’hui même, ne manquent pas d’être accueillies avec confiance par un grand nombre de cultivateurs. Pline nous a conservé les remarques qu’on avait faites antérieurement à son époque.

Les Romains avaient distribué çà et là, dans le cours de l’année, des jours dans lesquels on devait plus particulièrement s’attendre à des insuccès dans les entreprises politiques ou particulières. Le mot néfaste, qui d’abord ne signifiait que des jours où il était défendu de rendre la justice, prit peu à peu une acception défavorable. On comptait vingt-six de ces jours dans l’année, savoir deux en chaque mois et trois en janvier et en avril. Il va sans dire que ces jours néfastes étaient spécialement indiqués dans les calendriers romains.

Si l’on consulte l’ouvrage de Lydus publié au vie siècle, on demeurera convaincu que les prédictions de toute nature, fondées sur les aspects des astres, relatives au monde physique et au monde moral, ne sont pas une invention moderne.

Dans cet ouvrage on trouve, en effet, des passages tels que ceux-ci : Si la Lune est éclipsée dans les Gémeaux, la direction des affaires politiques changera de mains ; si un tremblement de terre arrive entre le 9 et le 19, il annoncera des désastres aux gouvernants ; et, enfin, s’il a lieu entre le 20 et le 25, les gens de lettres seront menacés de la perte de leur crédit.

Ce dernier trait montre que Lydus avait appliqué son savoir divinatoire à des choses bien peu importantes.

On vient de voir que chez les anciens il n’était guère question que de calendriers applicables à toutes les années. Dans le moyen âge, les calendriers généraux furent très communs ; on les plaçait en tête des livres d’heures ou de prières.

La publication des calendriers annuels, des almanachs annuels, de ceux qui concernent une année déterminée, remonte à une époque peu ancienne.

Le premier de ces almanachs qui ait été vraiment populaire est celui de l’an bissextil 1636, publié à Liége, sous le nom de Mathieu Laensberg, chanoine de cette ville[1] ; mais l’existence de ce personnage n’est rien moins que certaine, car il ne faut pas le confondre avec Jacques et Philippe Lansberg, astronomes hollandais, qui vivaient dans le même temps. Le succès prodigieux de cet almanach de Liége ou de Mathieu Laensberg a surtout tenu aux prédictions qui y sont insérées. Lorsqu’on spécule sur la crédulité humaine, on est toujours sûr de réussir ; les prédictions ont beau être démenties, le public n’en continue pas moins à consulter le fameux almanach. La Fontaine l’a dit :

L’homme est de glace aux vérités,
Il est de feu pour le mensonge
[2].


Lagrange m’a raconté, à ce sujet, un fait qui mérite d’être conservé.

L’Académie de Berlin avait anciennement pour principal revenu le produit de la vente de son almanach. Honteux de voir figurer dans cette publication des prédictions de tout genre, faites au hasard ou qui, du moins, n’étaient fondées sur aucun principe acceptable, un savant distingué proposa de les supprimer et de les remplacer par des notions claires, précises et certaines sur des objets qui lui semblaient devoir le plus intéresser le public ; on essaya cette réforme, mais le débit de l’almanach fut tellement diminué et conséquemment les revenus de l’Académie tellement affaiblis, qu’on se crut obligé de revenir aux premiers errements, et de redonner des prédictions auxquelles leurs auteurs ne croyaient pas eux-mêmes.

  1. Nostradamus, célèbre médecin de Provence, avait publié, à partir de 1550 jusqu’à sa mort, un calendrier contenant des prédictions sur les saisons et les temps les plus favorables aux divers travaux agricoles. Je n’ai pas ce calendrier sous les yeux, je ne saurais dire conséquemment s’il doit être rangé dans les calendriers perpétuels ou dans les calendriers annuels. Il ne faut pas confondre ces prédictions météorologiques avec les centuries du même auteur, dans lesquelles il annonçait l’avenir en vers presque inintelligibles, et qui, à cause de cela peut-être, lui valurent la protection de la superstitieuse Catherine de Médicis.

    Rabelais est cité par ses biographes comme l’auteur d’almanachs pour les années 1533, 1535, 1548 et 1550 ; quelques-uns de ces almanachs, à ce qu’on assure, renfermaient des pronostics ; mais ils sont devenus très-rares. Au reste, on ne peut douter du peu de confiance que le facétieux curé de Meudon accordait à ses propres prédictions, lorsqu’il se mêlait de prédire l’avenir, par le passage suivant d’une de ses préfaces, cité par le père Niceron : « Prédire serait legierté à moy, dit-il, comme à vous simplesse d’y ajouter foy. En est encore, depuis la création d’Adam, nul homme qui en aye traicté ou baillé chouse à quoi l’on doit acquiescer et arrêter en assurance. »

  2. Des personnes infatuées des prédictions gratuites que les almanachs renferment ont prétendu avoir bon marché de mon scepticisme en me disant : Est-ce que tous les ans quelques-unes de ces prédictions ne se réalisent pas ? Oui, sans doute, ai-je répondu, mais ne voyez-vous pas que la faculté de prédire toujours le faux serait aussi précieuse que la faculté de prédire toujours le vrai, puisque l’un est la contre-partie de l’autre ? D’ailleurs, en fait de prédictions astrologiques ou de proverbes, la mémoire reste frappée d’un cas sur cent dans lequel prédictions ou proverbes se réalisent, et on laisse passer inaperçus les quatre-vingt-dix-neuf autres cas. La situation des personnages sur lesquels portent les prédictions joue aussi un rôle très-important. Ainsi, dans l’Almanach pour 1774, Mathieu Laensberg annonça qu’une dame des plus favorisées jouerait son dernier rôle dans le mois d’avril. Le mois d’avril est précisément celui où Louis XV fut atteint de la petite vérole, et Mme  Dubarry expulsée de Versailles. Il n’en fallut pas davantage pour donner à l’almanach de Liége un redoublement de faveur.