Astronomie populaire (Arago)/XXXIII/20

GIDE et J. BAUDRY (Tome 4p. 683-690).

CHAPITRE XX

réformation grégorienne — année des chrétiens de l’ancien et du nouveau style — époque de l’adoption de la réformation chez les différents peuples — différence entre les dates de l’année julienne et de l’année grégorienne — dates des russes


Le concile de Nicée, en 325, croyait que le calendrier julien ramènerait toujours l’équinoxe de printemps au 21 mars, tant, disait-on, ses intercalations se trouvent exactement coordonnées avec la vraie longueur de l’année solaire. Il n’en était rien cependant. La longueur de l’année que suppose la réforme julienne est de 365j,25 ; la longueur véritable de l’année est de 365j,242264. Voyons ce qui devait résulter de cette différence relativement à la position que le Soleil occupe, un jour donné, le 21 mars par exemple.

Si l’équinoxe est arrivé le 21 mars d’une année julienne, il arrivera l’année d’après un peu plus tôt d’une fraction de jour égale à la différence qui existe entre 0j,250000 et 0j,242264. Cette différence, si petite qu’elle soit, s’ajoutant à elle-même à la fin de chaque année, produira à la longue des jours entiers ; la température dont on jouissait à l’origine le 21 mars s’observera donc successivement le 20, le 19, le 18, et ainsi de suite indéfiniment. On voit que l’effet est diamétralement opposé à celui qui résultait de l’emploi de l’année vague égyptienne qui, elle, était plus courte que l’année astronomique. Cette durée plus courte avait successivement transporté, on doit se le rappeler, au 22, au 23, au 24 mars la température du 21.

En conséquence de la différence qui existe entre l’année julienne de 365j,25 et l’année astronomique de 365j,242264, l’équinoxe dans le xve siècle anticipait déjà beaucoup sur la date que le célèbre concile lui avait assignée. Il fallait empêcher cette erreur de s’accroître, car elle aurait fini par rejeter en plein hiver une fête (celle de Pâques), dont la célébration, d’après les décisions ecclésiastiques, devait constamment suivre le 21 mars d’un nombre de jours variable, mais qui, dans les cas extrêmes, ne pouvait dépasser le 25 avril. Réformer le système d’intercalation julien était le seul moyen d’arriver au but.

Ce moyen, le cardinal Pierre d’Ailly le proposa, au concile de Constance et au pape Jean XXIII, dès l’année 1414. Vers la même époque, le cardinal Cusa écrivit aussi sur la matière. Antérieurement, Roger Bacon avait fait une proposition formelle à ce sujet. Le pape Sixte IV, voulant réaliser ces projets, appela auprès de lui Régiomontanus. La mort du célèbre astronome, arrivée à Rome en 1476, ajourna cette délicate affaire. Le concile de Trente, quand il se sépara en 1563, la recommanda très-expressément au pape. Enfin, Grégoire XIII réussit, en 1582, à opérer la réforme tant désirée, avec le concours d’un savant calabrais nommé Lilio.

Répétons-le, le but de cette réforme devait être de coordonner la longueur de l’année civile avec la longueur de l’année astronomique, en telle sorte que les jours de même dénomination correspondissent, terme moyen, aux mêmes températures, et que les travaux de l’agriculture pussent toujours être réglés par des dates empruntées à l’année civile.

La longueur de l’année julienne était de 365j,25[1], tandis que la longueur de l’année astronomique, ou le temps que le Soleil emploie à revenir au même point de son orbite, à l’équinoxe de printemps, par exemple, n’est que de 365j,242264. L’intercalation julienne, fondée sur une longueur d’année exagérée, renfermait un trop grand nombre de bissextiles. Diminuer ce nombre d’une manière régulière, et en se rapprochant de la longueur de l’année solaire, tel devait être, et tel a été, en effet, le résultat de la réforme grégorienne.

Dans le calendrier julien, toute année dont le millésime est divisible par 4, est une année bissextile ; les années séculaires, telles que 1600, 1700, 1800, 1900, sont conséquemment bissextiles, puisque tout nombre représenté par des chiffres significatifs suivis de deux zéros est divisible par 4. On imagina donc de supprimer ces bissextiles ; mais alors on tombait dans le défaut contraire : le calendrier réformé grégorien n’eût pas renfermé un nombre suffisant de bissextiles. On para à ce défaut en rendant bissextiles les années composées d’un nombre de siècles divisible par 4. Dans ce système, trois années communes sont suivies d’une année bissextile, et trois années séculaires communes sont suivies aussi d’une année séculaire bissextile.

Ainsi, il n’y a de différence entre l’intercalation julienne et l’intercalation due au pape Grégoire XIII, que pour les années séculaires : 1600 (ou 16 siècles) se trouve une année bissextile dans les deux systèmes d’intercalation ; 1700, 1800 et 1900, qui sont bissextiles dans le calendrier julien, ne le sont pas dans l’intercalation grégorienne. Mais en l’an 2000, 20 étant divisible par 4, on comptera 366 jours pour l’année, tant dans le calendrier julien que dans le calendrier grégorien, et ainsi de suite.

La règle à suivre pour savoir si une année séculaire est bissextile ou ne l’est pas, est très-simple. On efface les deux zéros situés à droite du nombre qui exprime le millésime de cette année ; si les chiffres restants sont divisibles par 4, l’année est bissextile ; si ces chiffres ne sont pas divisibles par 4, l’année est commune.

Voyons avec quel degré d’approximation la longueur de l’année que suppose l’intercalation grégorienne se rapproche de la longueur de l’année astronomique : 10 000 ans se composent en réalité de 3 652 422j,64 ; 10 000 ans, dans le calendrier julien, se composent de 3 652 500 jours.

Il y avait une différence de 77j,36 entre la durée réelle de 100 siècles et celle que suppose le calendrier julien.

Le calendrier julien renfermait donc un trop grand nombre d’années bissextiles ; il fallait diminuer ce nombre. La première pensée qui dut se présenter, ainsi que nous l’avons déjà dit, fut de retrancher les bissextiles correspondantes à toutes les années séculaires, ou dont le millésime est composé d’un nombre rond de siècles ; or, dans 10 000 ans, ou dans 100 siècles, il y a 100 années séculaires. Retranchant donc 100 de 3 652 500, il ne serait resté que 3 652 400, nombre inférieur de 22,64 à la durée de 10 000 ans, déterminée par les astronomes. Ainsi, en modifiant l’intercalation julienne par la suppression d’une bissextile dans toutes les années séculaires, on aurait trop retranché. On imagina alors de rétablir, toutes les 4 années séculaires, la bissextile que l’on eût ôtée de trop. Au lieu de supprimer 100, on essaya si l’on se rapprocherait assez de la longueur de l’année astronomique, en retranchant de celle que suppose l’intercalation julienne, non plus 100, mais 100 moins 1/4 de 100, ou 75 ; alors on a pour 10 000 ans 3 652 425 jours. Il n’y a donc qu’une différence de 2j,36 dans 100 siècles entre l’année astronomique et l’année que suppose l’intercalation grégorienne.

En d’autres termes, au bout de 10 000 ans, la température moyenne correspondante à l’origine de la période, le 21 mars, si l’on veut, s’observerait le 18, de deux à trois jours plus tôt. Les travaux de l’agriculture, en leur supposant cette fixation rigoureuse, ne se trouveraient déplacés, après 100 siècles, que du court intervalle de deux à trois fois vingt-quatre heures. La réforme grégorienne satisfait donc, avec toute l’exactitude nécessaire, au but qu’on doit se proposer dans tout système d’intercalation.

À quoi il faut ajouter que cette intercalation est assujettie à des règles très-simples et qui permettent de transformer facilement en jours une durée quelconque exprimée en années grégoriennes.

En 1582, époque de la mise en pratique de la réforme grégorienne, on ne se contenta pas de pourvoir aux besoins de l’avenir, on voulut ramener les choses à l’état où elles étaient à l’époque du concile de Nicée ; et, comme l’équinoxe, fixé au 21 mars par les prélats qui composaient ce concile, avait anticipé sur cette date et arrivait le 11 mars, on décida de supprimer dix jours et d’appeler le lendemain du 4 octobre, jour de Saint-François, au lieu du 5, le 15 octobre. Telle est l’origine de la différence primitive de dix jours qui a longtemps existé entre les dates pour les pays où la réforme grégorienne fut adoptée et les contrées protestantes ou soumises à la religion grecque. Cette différence distingue l’ancien style du calendrier chrétien du style nouveau. Cette différence de dix jours ne s’augmenta pas en 1600, qui fut une année bissextile à la fois dans le calendrier julien et dans le calendrier grégorien ; mais, suivant les règles énoncées plus haut, elle s’accrut d’un jour en 1700, et d’un autre jour en 1800, ce qui fait un total de 12, différence actuelle entre les dates des Russes qui ont conservé le calendrier julien, et les dates des autres peuples de l’Europe.

La réforme grégorienne, quoi qu’on en ait pu dire, ne fut pas adoptée immédiatement et sans résistance, même dans les pays catholiques. Dans les pays protestants, suivant la remarque d’un érudit : « On aima mieux ne pas être d’accord avec le Soleil, que de l’être avec la cour de Rome. »

Scaliger contribua beaucoup par ses critiques, par ses déclamations plus ou moins fondées, à empêcher les pays non catholiques d’adopter la réforme grégorienne.

À Rome, la réformation commença le 5-15 octobre 1582, selon le décret ;

En France, le 10-20 décembre de la même année 1582 ;

En Allemagne, dans les pays catholiques, en 1584, à la suite des pressantes sollicitations de Rodolphe II ; dans les pays protestants, en 1600, le 19 février-1er  mars.

Le Danemark, la Suède, la Suisse, suivirent l’exemple de l’Allemagne. Quelques villages seulement de l’Helvétie résistèrent, et il fallut, pour les réduire, recourir à des amendes et à la force armée.

La Pologne reçut la réforme en 1586, malgré une sédition que le changement avait fait naître à Riga.

Enfin, l’Angleterre se décida à l’adopter en 1752, le 3-14 septembre. La différence entre les deux calendrier était alors de 11 jours à cause de l’année 1700 qui avait été bissextile suivant le calendrier julien, et commune dans le style grégorien.

  1. Sosigène, le collaborateur de César, ne devait pas ignorer qu’Hipparque, 120 ans avant notre ère, avait reconnu que l’année solaire était plus courte que 365 jours 1/4. Peut-être la différence, qui ne portait que sur les millièmes de jour, lui parut-elle négligeable.