Astronomie populaire (Arago)/XXX/05

GIDE et J. BAUDRY (Tome 4p. 494-506).

CHAPITRE V

satellites d’uranus


L’immense éloignement d’Uranus, son petit diamètre angulaire, la faible intensité de sa lumière, ne permettaient guère d’espérer que si cet astre avait des satellites dont les grandeurs fussent, relativement à sa propre grandeur, ce que les satellites de Jupiter, de Saturne, sont par rapport à ces deux grosses planètes, aucun observateur parvînt à les apercevoir de la Terre. Herschel n’était pas homme à s’arrêter devant ces conjectures décourageantes. De puissants télescopes dans leur construction ordinaire, c’est-à-dire avec les deux miroirs conjugués, ne lui ayant rien fait découvrir, il les remplaça, au commencement de janvier 1787, par des télescopes front-view, par des télescopes qui donnent beaucoup plus d’éclat aux objets, car le petit miroir est alors supprimé, et avec lui disparaît une des causes de déperdition de lumière.

En se servant, le 11 janvier 1787, d’un télescope front-view (dont les dimensions ne sont pas données[1]) : Herschel vit Uranus entouré de quelques étoiles très-petites. Leurs positions, relativement à la planète, furent marquées avec toute la précision possible. Le lendemain deux de ces étoiles avaient disparu !

Cet indice de l’existence des satellites amena les observations très-scrupuleuses des 14, 17, 18, 24 janvier ; les observations des 4 et 5 février, et surtout celles du 7 du même mois. Ce dernier jour, l’illustre astronome resta, pendant neuf heures consécutives, l’œil constamment appliqué au télescope, et il eut la satisfaction de voir un satellite se mouvoir graduellement le long d’une portion considérable de son orbite. L’existence d’un second satellite ne fut pleinement constatée que le surlendemain 9.

Cette série d’observations, quoique étendue jusqu’au 11 février, ne permettait pas d’assigner avec beaucoup de précision le temps que les deux satellites employaient à parcourir le contour entier de leurs orbites. Aussi, Herschel, toujours sincère, se borna-t-il à en conclure :

Que la révolution synodique du premier satellite, du plus voisin d’Uranus, s’opérait en huit jours et trois quarts environ ;

Que la durée de la révolution du second était à peu près de treize jours et demi ;

Que les plans des deux orbites faisaient l’un et l’autre avec l’écliptique des angles considérables.

Herschel, comme on le pense bien, chercha à étendre ces premiers résultats. Dans un Mémoire daté du 14 décembre 1797 (voir le lxxviiie volume des Transactions philosophiques), il annonça :

Qu’il avait constaté l’existence de quatre nouveaux satellites, ce qui portait le nombre total à six.

Les positions relatives de ces six satellites d’Uranus et la date de leur découverte se trouvent consignées dans un petit tableau que j’extrais du Mémoire d’Herschel :

Dates des découvertes.
Premier satellite, le plus rapproché de la planète 
 18 janvier 1790
Deuxième satellite, le plus rapproché de la planète parmi les deux anciens 
 11 janvier 1787
Troisième satellite 
 26 mars    1794
Quatrième satellite, le plus éloigné des deux anciens 
 11 janvier 1787
Cinquième satellite 
 9 février  1790
Sixième satellite, celui de tous qui est le plus éloigné de la planète 
 28 février 1794

Herschel avait trouvé tant de difficultés, non-seulement à observer, mais, qui plus est, à apercevoir ces astres presque invisibles ; il lui était si souvent arrivé de prendre pour des satellites de très-petites étoiles situées accidentellement dans le voisinage de la planète, qu’il n’osait presque pas, à la date de son second Mémoire, aborder encore la question de la durée des révolutions périodiques. Pour satisfaire néanmoins la curiosité des astronomes, il présenta les résultats suivants :

Durée de la
révolution.
1er satellite. 5j 21h 25m GullBraceLeft Déduite, par la troisième loi de Kepler, de la révolution déjà trouvée du quatrième, et de la supposition que le rayon de l’orbite de ce premier satellite sous-tend un angle de 25″,5.
2e satellite. 8j 3/4....... GullBraceLeft Déterminée en 1787.
3e satellite. 10j  23h  4m GullBraceLeft Déduite de l’hypothèse que ce satellite est juste au milieu de l’intervalle compris entre le deuxième et le quatrième, ou que sa distance au centre de la planète est égale à 38″,6.
4e satellite. 13j 1/2....... GullBraceLeft Déterminée en 1787.
5e satellite. 38j   1h 49m GullBraceLeft Déduite d’une observation de distance qui plaçait ce cinquième satellite deux fois plus loin de la planète que le quatrième.
6e satellite. 107j 16h 40m
au moins.
GullBraceLeft Déduite d’une observation d’où il résultait que ce sixième satellite était au moins quatre fois aussi éloigné de la planète que le quatrième.

Ces résultats sont assez peu satisfaisants, et néanmoins ils ont encore une apparence d’exactitude usurpée, car il n’est pas légitime de donner jusqu’à la précision des minutes, des nombres calculés, à la détermination desquels ont concouru d’autres nombres qui eux peuvent être affectés d’erreurs s’élevant à plusieurs heures.

Ce que le Mémoire de 1797 renferme de plus important se trouve contenu dans cette phrase, donnée au reste sans développement : « Je saisis l’occasion d’annoncer que le mouvement des Georgian satellites est rétrograde. »

Le troisième et dernier Mémoire d’Herschel sur les satellites d’Uranus est du 8 juin 1815. Plusieurs astronomes conservaient des doutes sérieux sur l’existence des quatre satellites annoncés dans le Mémoire de 1797. À l’aide de diverses observations faites pendant l’année 1798, Herschel ajoute de nouveaux arguments à ceux qu’il avait déjà présentés concernant le mouvement propre des quatre petits astres aperçus en 1797 près d’Uranus ; néanmoins on voit clairement que son intention est encore de se renfermer, à ce sujet, dans la limite des simples probabilités.

Quant aux deux satellites découverts les premiers, je veux dire les satellites de 1787, Herschel en perfectionne considérablement la théorie dans son Mémoire de 1815. Une discussion laborieuse lui donne pour les temps des révolutions synodiques, qu’il avait précédemment exprimés en fractions de jour seulement :

8j 16h 56m 5s
13  11  8   59 

Le nœud ascendant des orbites, Herschel le place par 165° 50′.

L’inclinaison des plans des orbites au plan de l’écliptique, il la trouve de 78° 58′.

Enfin il renouvelle, quant au sens du mouvement des deux satellites, son assertion de 1797 ; il proclame sans équivoque le résultat suivant, remarquable surtout comme une anomalie unique dans l’ensemble des mouvements de notre système solaire, si l’on excepte les comètes : « Les deux satellites d’Uranus circulent autour de la planète en rétrogradant ; » ou bien, car c’est la même chose, les termes seuls diffèrent, « ces satellites décrivent les arcs septentrionaux compris entre les nœuds ascendants et les nœuds descendants de leurs orbites, par des mouvements dirigés de l’est à l’ouest. »

Suivant Herschel, des deux satellites incontestés, le premier (le plus rapproché de la planète) serait en général plus lumineux que l’autre.

En observant assidûment ces deux satellites, le grand astronome de Slough a cru trouver aussi que leurs intensités comparatives varient beaucoup, que même le second satellite surpasse quelquefois le premier.

Ces variations, l’auteur les expliquerait, soit à l’aide d’un mouvement de rotation des satellites, d’où résulterait que durant chaque révolution autour de la planète, ces petits astres nous présenteraient tour à tour les diverses parties, sans doute inégalement lumineuses, de leurs surfaces ; soit, si les changements d’intensité n’étaient pas réguliers, par des atmosphères qui couvriraient ou laisseraient successivement à nu des portions plus ou moins étendues des corps obscurs intérieurs, ainsi qu’on l’observe dans le Soleil, dans Jupiter et dans Saturne.

De l’ensemble des observations consignées dans le Mémoire de 1797 découlait cette conséquence que les satellites d’Uranus ne sont jamais visibles quand leur distance angulaire à la planète est au-dessous de certains nombres. Pour le premier satellite, cette distance limite est de 14″, et pour le second de 17″.

De pareilles disparitions ne sauraient être attribuées à l’influence d’une atmosphère d’Uranus, puisque le phénomène a également lieu soit que le satellite se trouve sur la portion antérieure ou sur la portion postérieure de son orbite. On n’aurait pas plus de raison d’en chercher la cause dans des mouvements de rotation, mouvements d’où résulterait qu’à partir de certaines distances à la planète, les satellites nous présenteraient des faces comparativement obscures. Les autres circonstances étant égales, les très-petites étoiles s’effacent, en effet, aux mêmes distances que les satellites. Il ne faut donc voir en tout cela qu’une confirmation de cette maxime d’optique : une grande lumière empêche de voir les lumières très-faibles placées dans son voisinage ; seulement, il y a ici cette singularité qu’Uranus joue le rôle d’une grande lumière.

On pourrait se demander : l’auréole lumineuse dont Uranus était entouré et qui effaçait les satellites et les très-petites étoiles, existait-elle au foyer comme effet des aberrations des miroirs des télescopes, ou naissait-elle dans l’œil à raison du dépoli de la cornée ? Pour résoudre la question, il eût suffi de rechercher si en couvrant Uranus avec un mince fil placé au foyer, on aurait fait renaître le satellite à des distances où il s’était d’abord effacé quand la planète était visible. Il est dommage qu’Herschel n’ait pas songé à faire ce genre d’observations.

Le travail d’Herschel eût été incomplet s’il n’avait pas présenté en secondes de degré les élongations des deux satellites. Rien d’ailleurs n’était plus propre à montrer combien les observations de ces astres, vraiment microscopiques, offrent de difficultés. Parvenu à ce point l’astronome hésite ; les discordances de ses résultats partiels lui reviennent alors désagréablement à l’esprit. Forcé de prendre un parti, il s’arrête, pour l’époque de ses observations, à 36″ comme élongation réelle du premier satellite, et à 48″ comme élongation du second.

Quelques mots suffiront, s’il faut indiquer ici le peu que nous avons appris sur les satellites d’Uranus, depuis les travaux de William Herschel dont je viens de donner l’analyse.

En mettant à profit ses propres observations des années 1828, 1830, 1831 et 1832, le fils du grand astronome a trouvé les nombres suivants, pour les temps périodiques des deux satellites de 1787, les seuls qu’il soit parvenu à voir avec ses télescopes de 6 mètres nouvellement polis :

8j
13 
16h
11 
56m
7  
31s,3
12 ,6

Les recherches de sir John Herschel sont de 1834. Elles ont paru l’année suivante dans le tome viii du recueil que publie la Société astronomique. Le Mémoire dont il me reste à rendre compte est encore plus récent. Il fait partie du volume des Transactions philosophiques de 1838. Ce travail a pour auteur M. Lamont, directeur de l’Observatoire royal de Munich. Voici ce qu’on y trouve concernant les temps des révolutions des deux satellites :

8j
13 
16h
11 
56m
7  
28s,5
6 ,3

M. Lamont donne pour les rayons de leurs orbites supposées circulaires :

31″,3
40  ,1

Ces deux derniers résultats sont relatifs à une distance de la planète à la Terre exprimée par le nombre 19,223, la distance moyenne de la Terre au Soleil étant l’unité.

M. Lamont a cru apercevoir, dans ses observations des deux principaux satellites d’Uranus, des indices évidents de l’ellipticité des orbites ; mais il a réservé pour un temps à venir l’examen détaillé de cette question délicate. Ses calculs actuels, comme ceux de MM. William et John Herschel, ont été faits dans l’hypothèse de mouvements circulaires.

M. Lamont dit aussi, dans son Mémoire, avoir vu et observé le sixième satellite d’Uranus alors connu, dans la soirée du 1er octobre 1837.

La masse d’Uranus que M. Lamont déduit de ses observations des deux principaux satellites, est de , c’est à-dire d’un quart plus petite que celle dont M. Bouvard a trouvé la valeur d’après les perturbations produites par la planète.

William et John Herschel se sont servis, pour leurs observations des satellites d’Uranus, de télescopes de 12 et de 6 mètres. M. Lamont a fait usage d’une lunette achromatique de 4m,87 de long et de 0m,28 d’ouverture, construite à Munich.

Sir John Herschel a signalé aux astronomes un criterium d’après lequel ils seront en mesure de décider si leurs instruments sont assez forts et leur vue assez délicate pour qu’ils puissent se livrer avec quelques chances de succès à la recherche des satellites d’Uranus. Voici en quoi il consiste.

Entre les étoiles β1 et β2 du Capricorne, vers le milieu de leur intervalle en ascension droite, un tant soit peu au nord de la ligne droite qui les joindrait, il existe une étoile double, composée de deux étoiles de seizième et de dix-septième grandeur, distantes l’une de l’autre d’environ 3″. Tout instrument qui ne montrera pas distinctement ces deux étoiles de seizième et de dix-septième grandeur, ne pourra certainement pas servir à l’observation des satellites d’Uranus. Sir John Herschel a trouvé, en effet, dans son Journal astronomique, je ne sais à quelle date, cette remarque décisive : «Les deux composantes de l’étoile double comprise entre β1 et β2 du Capricorne, sont des objets splendides en comparaison des satellites d’Uranus.

Sir John Herschel pose encore comme une nécessité dans l’observation de ces satellites un grossissement de 300 fois au moins, quelle que soit d’ailleurs l’ouverture, et dès lors la puissance lumineuse de l’instrument employé. Son père n’était pas tout à fait aussi affirmatif. Les grossissements de 300 et au delà ne lui semblaient indispensables que pour arriver à la vision permanente, continue des satellites. William Herschel les découvrit avec un grossissement de 157 fois seulement ; mais il ne les apercevait alors que par moments, comme des étincelles. Leur observation continue ne devint possible qu’avec des grossissements de 300, 600 et 800.

Une découverte récente a ajouté un nouvel intérêt à l’étude du monde d’Uranus. Les 24, 28 et 30 octobre et 2 novembre 1851, M. Lassell a observé distinctement deux nouveaux satellites situés plus près encore de la planète que le premier satellite de William Herschel ayant une révolution d’environ 5 jours et 21 heures.

Il résulte de la découverte de M. Lassell que le nombre des satellites d’Uranus aujourd’hui connus s’élève à 8, et qu’il faut changer les numéros d’ordre qui avaient été établis par les travaux d’Herschel, ces numéros d’ordre devant représenter l’ordre des distances des satellites à la planète.

Les deux plus visibles des huit satellites d’Uranus sont le quatrième et le sixième. Les temps de leurs révolutions ont été déterminés avec une grande précision.

Quant aux autres satellites d’Uranus, les périodes ont été généralement déduites de la mesure de leurs plus grandes élongations par la troisième loi de Kepler.

Deux des huit satellites n’ont été aperçus par aucun astronome depuis l’annonce de leur découverte par William Herschel. On pourrait donc, à toute rigueur, douter de leur existence. Quant au troisième, il a été aperçu récemment par M. Lassell, de Liverpool, et par M. Otto Struve, de Poulkova. Le cinquième, intermédiaire entre les deux plus brillants, a été vu par M. Lassell à l’aide d’un puissant télescope.

Les orbites du quatrième et du sixième satellite sont presque perpendiculaires à l’écliptique, leurs inclinaisons sur ce plan ne sont pas au-dessous de 79°.

Les distances moyennes des satellites à Uranus, le demi-diamètre de la planète étant 1, et les durées de leurs révolutions, sont représentées par les chiffres suivants :

Nos d’ordre des satellites. Distances moyennes. Durées des révolutions.
1er 7,44   2j,52 ou 2j 12h 28m 48s
2e 10,37 4 ,14 4    3  27   22 
3e 13,12 5 ,89 5  21  25   55 
4e 17,01 8 ,71 8  16  55   12 
5e 19,85 10 ,96 10  23    3   50 
6e 22,75 13 ,46 13  11    6   43 
7e 45,51 38 ,08 38    1   48    0 
8e 91,01 107 ,69 107  16  39   22 

Les dates des découvertes de ces petits astres se résument ainsi :

Nos d’ordre des satellites d’après leurs distances à Uranus. Nos d’ordre d’après leur découverte. Dates de leurs découvertes.
1 7 octobre 1851
2 8 octobre 1851
3 3 18  janvier   1790
4 1 11  janvier   1787
5 6 26  mars      1794
6 2 11  janvier   1787
7 4 9  février    1790
8 5 28  février    1794

Nous répétons en terminant que les satellites d’Uranus parcourent leurs ellipses autour de la planète par un mouvement rétrograde, ou dirigé de l’orient à l’occident. Les mouvements propres de ces corps s’exécuteraient donc (les comètes mises à part) en sens contraire des mouvements propres de toutes les planètes principales, de leurs satellites et de tous les mouvements de rotation connus. C’est là, pour le dire en passant, une puissante objection contre les systèmes cosmogoniques le plus en crédit.

  1. D’après ce que je lis dans un Mémoire d’Herschel de 1815, il est évident que pour les observations des satellites d’Uranus, il s’est ordinairement servi de télescopes de 20 pieds anglais (6m,09) de long. Des télescopes plus courts ne font pas voir même les plus brillants de ces astres.