Astronomie populaire (Arago)/XXVIII/12

GIDE et J. BAUDRY (Tome 4p. 417-418).

CHAPITRE XII

le phénomène de l’aberration considéré comme un moyen de déterminer la distance de la terre au soleil


Nous avons vu que l’angle maximum d’aberration s’obtient en formant un triangle dont deux côtés sont la vitesse de la Terre dans son orbite, et la vitesse de la lumière. Cet angle d’aberration est, ainsi que nous l’avons trouvé, de 20″,44.

Telle est la liaison nécessaire de ces trois quantités, l’angle d’aberration, la vitesse de la lumière et la vitesse de la Terre, que deux d’entre elles étant connues, on peut toujours, par le calcul, en déduire la troisième.

Supposons que, par un moyen quelconque, on parvienne à déterminer la vitesse de la lumière, ou l’espace qu’elle franchit dans l’intervalle d’une seconde, l’angle d’aberration étant de 20″,44, on en conclurait quel doit être en lieues, dans l’intervalle d’une seconde, l’espace rectiligne, ou à peu près rectiligne, parcouru par la Terre dans son orbite. Or, cet espace est évidemment proportionnel au rayon de l’orbite ou à la distance du Soleil à la Terre exprimée en lieues. Le temps que notre globe emploie à revenir au même point de son orbite est connu par des observations tout à fait indépendantes de la parallaxe du Soleil ; dès lors on peut, sans faire un cercle vicieux, déterminer l’arc qu’il parcourt dans une seconde de temps ; mais cet arc, considéré comme une ligne droite, sera proportionnel à la distance de la Terre au Soleil. Nous savons donc quelle doit être cette distance, pour que l’espace parcouru en une seconde, combiné avec l’espace rectiligne que franchit la lumière dans le même temps, donne lieu à l’angle d’aberration déduit des observations directes.

Si la vitesse de la lumière qu’on emploie dans ce calcul est exacte, la vitesse correspondante de la Terre, et conséquemment la distance de l’orbite de notre globe au Soleil, s’en déduira avec précision. Il résulte d’expériences faites par M. Fizeau à l’aide de moyens de son invention très-ingénieux, qu’on peut déterminer la vitesse de la lumière par des observations faites sur la Terre à de courtes distances, comme la distance de Suresnes à Montmartre, par exemple. En répétant ces observations avec des appareils mécaniquement plus parfaits, on pourra un jour, sans sortir de Paris et de sa banlieue, trouver cette parallaxe du Soleil qui, vers le milieu du siècle dernier, donna lieu à des voyages si longs, si lointains, si pénibles, et à tant de dépenses.

J’ai cru que le lecteur ne serait pas fâché de voir par cet exemple remarquable quel parti le progrès des lumières permet de tirer un jour donné de liaisons théoriques qui semblaient devoir rester à jamais dans le domaine des pures spéculations.