Astronomie populaire (Arago)/XXVIII/02

GIDE et J. BAUDRY (Tome 4p. 385-391).

CHAPITRE II

remarques sur les phénomènes que présentent les éclipses des satellites de jupiter


Nous rappellerons d’abord que Jupiter étant un corps opaque doit projeter, à l’opposite du Soleil, un cône d’ombre dont l’axe est la ligne qui joint les centres de ces deux astres et dans lequel la lumière du Soleil ne pénètre pas ; nous rappellerons aussi que les satellites n’étant pas lumineux par eux-mêmes, ne brillant que de la lumière du Soleil réfléchie, doivent disparaître lorsque cette lumière ne les atteint plus ou qu’ils ont pénétré dans le cône d’ombre. Cela posé, plaçons dans une seule et même figure (fig. 331) le Soleil S, la Terre T et Jupiter J, J′, J″, J‴, dans les positions diverses qu’ils peuvent occuper aux différentes époques d’une année.

Fig. 331. — Explication de la visibilité des immersions et des émersions des satellites de Jupiter dans le cône d’ombre.

Il ne faut pas oublier que si la Terre T est située entre Jupiter et le Soleil et sur la ligne droite qui joint ces deux astres, Jupiter étant opposé au Soleil arrive au méridien précisément à minuit, et qu’on dit alors de la planète qu’elle est en opposition. Si la Terre est toujours placée sur la ligne qui joint Jupiter au Soleil non plus dans une situation intermédiaire entre les deux astres, mais dans la position TSJ‴, l’observateur situé sur la Terre voit Jupiter dans la région du firmament qu’occupe le Soleil, et les deux astres passent au méridien au même instant ou à midi ; alors Jupiter est dit en conjonction.

Soit dans la figure l’occident à droite, l’orient à gauche ; le mouvement diurne s’exécute de gauche à droite ; le mouvement de Jupiter lorsqu’il ira de la conjonction à l’opposition, s’exécutera de l’occident à l’orient ou de droite à gauche ; celui du satellite s’opérera aussi de droite à gauche ou de l’occident à l’orient dans la portion de l’orbite où se trouve le cône d’ombre.

Quand Jupiter est en opposition, dans la position STJ, alors on ne peut voir ni les disparitions ni les réapparitions du premier satellite. Ce satellite traverse le cône d’ombre dans des points qui sont évidemment cachés par le corps opaque de Jupiter, car dans un cône la base est plus grande que toutes les sections semblables et circulaires comprises entre cette base et le sommet.

Si Jupiter est situé dans une position J′ quelconque, comprise entre la conjonction et l’opposition, le point dans lequel le satellite pénétrera dans le cône d’ombre ne sera pas visible de la Terre ; le point par lequel il sortira du cône d’ombre, au contraire, sera visible et l’on pourra noter le moment de sa réapparition, ou, pour me servir de l’expression technique, le moment de son émersion. Dans cette position de la planète et dans toutes celles qui sont comprises entre J‴ et J où Jupiter est en conjonction, on ne peut donc observer que les émersions. Le contraire aura lieu si nous considérons Jupiter placé en un point quelconque J″ situé entre l’opposition et la conjonction ; alors on ne voit que la limite du cône d’ombre par laquelle le satellite pénétrera et les points de disparition ou les immersions seules seront visibles ; les émersions s’opéreront dans des points cachés par le corps opaque de la planète.

Dans la figure 331 nous avons supposé, pour plus de simplicité, la Terre immobile en T et Jupiter parcourant toute son orbite. Les phénomènes s’expliqueront maintenant de la même manière si l’on admet les mouvements réels de la Terre et de Jupiter autour du Soleil. Alors à une conjonction TSJ‴ (fig. 332) succède une opposition ST′J″ après un peu plus de six mois, puis vient une nouvelle conjonction T″SJ′ suivie elle-même d’une opposition ST‴J, etc. La Terre allant de T à T′ dans son orbite, voit tous les phénomènes précédemment décrits se passer autour de Jupiter qui se transporte de J‴ en J″.

Le temps qui s’écoule entre deux immersions successives du même satellite de Jupiter est exactement égal au temps qui s’écoule entre deux émersions : ce temps est ce qu’on appelle révolution synodique.

Concevons l’orbe du satellite partagé en 360° ; un diamètre quelconque de cet orbe, celui qui passe par 0 et 180°, par exemple, reste toujours parallèle à lui-même, même pendant le déplacement de Jupiter ; le temps que le satellite emploie à revenir au même degré de son orbite est ce qu’on nomme la révolution sidérale.

Il est bon de chercher comment ces deux durées sont liées entre elles, comment l’une peut être déduite de l’autre.

Fig. 332. — Mouvements relatifs réels de la Terre et de Jupiter.

Le cône d’ombre ne reste pas parallèle à lui-même pendant le mouvement de Jupiter : il se déplace angulairement chaque jour d’une quantité qui est égale au mouvement de Jupiter dans son orbite vu du Soleil. Or, comme le mouvement de Jupiter dans son orbite est à peu près uniforme, la durée de la révolution synodique surpasse la durée de la révolution sidérale du satellite de a même quantité, quelle que soit la position de Jupiter que l’on considère. Si le satellite se meut uniformément autour de la planète, les temps qui s’écouleront entre deux retours consécutifs du satellite aux limites du cône d’ombre, entre deux immersions ou entre deux émersions, seront égaux entre eux quoique un peu plus longs que la durée de la révolution sidérale.

Fig. 333. — Relation entre la révolution sidérale et la révolution synodique des satellites de Jupiter.

Une révolution périodique ou sidérale du satellite est achevée quand l’astre est revenu au même point physique, au même degré de son orbite. Cette révolution sidérale est plus courte que la révolution synodique, que la révolution rapportée au cône d’ombre. En effet, d’après la manière dont Jupiter se déplace de l’ouest à l’est, la ligne CZ (fig. 333) qui aujourd’hui, au moment de l’immersion, joignait le centre de Jupiter au satellite, reste parallèle à elle-même. Quand Jupiter s’est transporté en C′, le point Z se trouve en Z′ sur la ligne C′Z′ parallèle à CZ. Ce point Z′ n’est plus sur la limite de l’ombre ; le satellite parvenu en Z′ doit encore parcourir l’arc Z′V avant de s’éclipser. Reste maintenant à trouver la valeur de VZ′ ou de l’angle VC′Z′. Cet angle est l’excès de O′C′Z′ sur O′C′V, ou, ce qui revient au même, l’excès de O′C′Z′ sur OCZ. Cet excès est évidemment égal à l’angle CSC′ dont Jupiter s’est mû dans son orbite autour du Soleil entre les deux observations, car l’angle O′C′Z′ est égal à C′PC + C′SC ou bien à OCZ + C′SC ; donc O′C′Z′ — OCZ est égal à C′SC, si le mouvement de Jupiter est uniforme, ce qui est à peu près vrai à cause du peu d’excentricité de l’orbe.