Astronomie populaire (Arago)/XXVI/07

GIDE et J. BAUDRY (Tome 4p. 315-322).

CHAPITRE VII

notions historiques sur l’explication des météores cosmiques


Dans la vie de Lysander, Plutarque s’exprime ainsi : « Quelques philosophes pensent que les étoiles filantes ne proviennent pas de parties détachées de l’éther qui viendraient s’éteindre dans l’air aussitôt après s’être enflammées ; elles ne naissent pas davantage de la combustion de l’air qui se dissout, en grande quantité, dans les régions supérieures ; ce sont plutôt des corps célestes qui tombent, c’est-à-dire qui, soustraits d’une certaine manière à la force de rotation générale, sont précipités ensuite irrégulièrement, non-seulement sur les régions habitées de la Terre, mais aussi dans la grande mer, d’où vient qu’on ne les retrouve pas. »

Ces aperçus sont bien voisins des idées que l’on accepte généralement aujourd’hui sur l’origine des météores cosmiques. Dans cet autre passage de Diogène d’Apollonie, on retrouve d’une manière encore plus nette l’opinion des modernes sur la circulation de ces météores dans l’espace avant qu’ils deviennent visibles en s’enflammant ou en tombant sur notre planète. « Parmi les étoiles visibles, dit le philosophe d’Apollonie, se meuvent aussi des étoiles invisibles auxquelles, par conséquent, on n’a pu donner de nom. Celles-ci tombent souvent sur la terre et s’éteignent, comme cette étoile de pierre, qui tomba tout en feu près d’Ægos Potamos. » À ces idées exactes se joignirent sans doute des hypothèses erronées qui provenaient surtout de cet esprit de système qui assigna pendant tant de siècles une origine terrestre à tous les phénomènes, et qui voulait que l’on considérât notre globe comme corps central de l’univers, d’où tout venait et auquel tout se rapportait.

L’explication de l’inflammation des météores cosmiques qui consiste à admettre une combinaison de leur matière avec celle de notre atmosphère, à la suite d’une élévation de température causée par la résistance de l’air et l’énorme vitesse dont sont animés les étoiles filantes et les bolides, a trouvé une objection dans la grande hauteur à laquelle beaucoup de ces phénomènes se manifestent. Mais il n’est pas difficile de tourner cette difficulté et de trouver des raisons pour expliquer comment les matières ignées peuvent s’enflammer bien au delà des dernières couches de l’enveloppe gazeuse de notre planète. Poisson, dans ses Recherches sur la probabilité des jugements, s’exprime ainsi à cet égard :

« À une distance de la Terre où la densité de l’atmosphère est tout à fait insensible, il serait difficile d’attribuer, comme on le fait, l’incandescence des aérolithes à un frottement contre les molécules de l’air. Ne pourrait-on pas supposer que le fluide électrique, à l’état neutre, forme une sorte d’atmosphère qui s’étend beaucoup au delà de la masse d’air, qui est soumise à l’attraction de la Terre, quoique physiquement impondérable, et qui suit, en conséquence, notre globe dans ses mouvements ? Dans cette hypothèse, les corps dont il s’agit, en entrant dans cette atmosphère impondérable, décomposeraient le fluide neutre, par leur action inégale sur les deux électricités, et ce serait en s’électrisant qu’ils s’échaufferaient et deviendraient incandescents. »

Les phénomènes que présentent les météores cosmiques n’étant pas constants, il est d’ailleurs naturel d’admettre que plusieurs causes peuvent concourir à leur manifestation. Dans une lettre à M. Quetelet, M. Schmidt, directeur à l’Observatoire de Bilk, près de Dusseldorf, a fait avec raison remarquer « que dans les météores les transitions de la couleur du blanc le plus éclatant au jaune, au rouge jaunâtre, au vert et au gris nébuleux, ainsi que la différence de couleur entre la queue et le corps proprement dit de l’étoile filante, trahissent une différence chimique individuelle, de sorte que toutes les étoiles filantes ne doivent pas être regardées comme ayant la même constitution. »

Les appendices et les queues, ajoute le même astronome, ne sont pas moins dignes d’attention ; car, chose étonnante, ces dernières sont tantôt parfaitement droites avec des bords parallèles, tantôt plus larges et plus brillantes vers le milieu ; tantôt elles se montrent le plus larges et le plus éclatantes à l’endroit où le météore s’éteint. Le décroissement plus rapide de lumière qui a lieu quelquefois dans le milieu des traînées, semble confirmer en général ce qu’on a déjà supposé plusieurs fois, c’est-à-dire que les queues ont la figure d’un cylindre ou d’un cône creux.

Un grand nombre de physiciens et d’astronomes ont supposé qu’il y avait une certaine liaison entre les grandes apparitions de météores cosmiques et les aurores boréales ; mais la concordance des deux phénomènes a été trop rarement observée d’une manière certaine pour qu’on doive admettre le fait comme démontré jusqu’à présent.

Nous avons dit que c’est dans une direction diamétralement opposée au mouvement de translation de la Terre dans son orbite qu’apparaissent ordinairement les grandes averses d’étoiles filantes. Cette observation conduit à admettre qu’en prolongeant une tangente à l’orbite terrestre au point où la Terre se trouve à chaque instant, on doit rencontrer sur la voûte étoilée la constellation d’où les étoiles semblent diverger. Il y a quelquefois plusieurs points de départ qui ne sont pas toujours situés dans la même constellation, et il faut en conclure que les essaims de météores forment des anneaux distincts autour du Soleil. « Pour la période d’août, dit mon illustre ami Alexandre de Humboldt, M. Heis a trouvé, outre le centre principal d’Algol, dans la constellation de Persée, deux autres centres dans le Dragon et dans le pôle Nord. M. Heis a opéré de la manière suivante :

« Afin, dit-il, d’obtenir des résultats exacts sur les points d’où rayonnaient les trajectoires des étoiles filantes, durant la période de novembre, pour les années 1839, 1841, 1846 et 1847, j’ai tracé sur un globe céleste de 80 centimètres les trajectoires moyennes appartenant à chacun des quatre points : Persée, le Lion, Cassiopée et la tête du Dragon, et j’ai marqué chaque fois la situation du point d’où partait le plus grand nombre de trajectoires. De cet examen il est résulté que, sur 407 étoiles filantes, 171 vinrent d’un point de Persée, voisin de l’étoile η, dans la tête de Méduse ; que 83 partirent du Lion, 35 de la partie de Cassiopée voisine de l’étoile variable α, 40 de la tête du Dragon, et 78 de points indéterminés. Ainsi, le nombre des étoiles filantes rayonnant de Persée était plus que double du nombre de celles qui avaient leur point de convergence dans la constellation du Lion. »

Les observations modernes que l’on a si fort multipliées depuis que nous avons appelé avec insistance, M. de Humboldt et moi, l’attention sur l’importance du phénomène, tendent à démontrer, du reste, que les deux directions que donnent les lignes qui joignent la Terre aux constellations de Persée et du Lion jouent toujours un grand rôle dans la production des étoiles filantes. M. de Humboldt cite à ce sujet l’extrait suivant d’une lettre remarquable que lui a écrite M. Schmidt, de l’Observatoire de Bonn :

« Si l’on met à part les grands flux d’étoiles filantes qui se sont produits au mois de novembre des années 1833 et 1834, ainsi que quelques autres du même genre, dans lesquels la constellation du Lion envoyait de véritables essaims de météores, je suis aujourd’hui disposé à considérer le point de convergence placé dans Persée comme celui qui fournit, non-seulement au mois d’août, mais durant toute l’année, le plus grand nombre de météores. En prenant pour base de nos calculs les résultats de 478 observations de Heis, je trouve que ce point est situé par 50°,3 d’ascension droite et 51°,5 de déclinaison. Ceci s’applique aux années 1844, 1845, 1846. Au mois de novembre 1849, du 7 au 14, j’ai vu 200 étoiles filantes environ de plus que je n’en avais remarqué à la même époque depuis 1841. Parmi ces étoiles, quelques-unes seulement venaient du Lion ; le plus grand nombre de beaucoup appartenaient à la constellation de Persée. Il en résulte, à ce qu’il me semble, que le brillant phénomène qui se produisit au mois de novembre des années 1799 et 1833 n’a pas reparu depuis. Olbers soupçonnait aussi que ces grandes apparitions ne devaient revenir qu’après une période de 34 ans. Si l’on veut considérer les apparitions périodiques de ces météores et les complications de leurs trajectoires, on peut dire que certains points de rayonnement sont toujours les mêmes, mais qu’il en existe aussi d’autres qui sont variables et sporadiques. »

Les mouvements apparents des étoiles filantes sont quelquefois directs, quelquefois rétrogrades, c’est-à-dire qu’au lieu de paraître provenir du Lion, les étoiles filantes semblent quelquefois être dirigées vers cette constellation. M. Valz a appelé avec raison l’attention sur cette particularité du phénomène qu’on ne peut expliquer qu’en admettant que le mouvement direct absolu des anneaux d’astéroïdes qui entourent au loin le Soleil est tantôt un peu plus lent, tantôt un peu plus rapide que celui de la Terre.

Les divers anneaux d’astéroïdes qui entourent le Soleil peuvent avoir des constitutions très-diverses et présenter des amas très-inégalement pressés. Mais dans tous les cas, quoique ces corps ne deviennent en général visibles pour nous qu’en approchant de notre planète, ils doivent cependant se projeter sur l’astre radieux. Or, le disque du Soleil s’obscurcit parfois momentanément, et sa lumière s’affaiblit à tel point qu’on voit les étoiles en plein midi. M. de Humboldt rappelle avec raison « qu’un phénomène de ce genre, qui ne peut s’expliquer ni par des brouillards, ni par des cendres volcaniques, eut lieu en 1547, vers l’époque de la fatale bataille de Mülhberg, et dura trois jours. Kepler, ajoute mon illustre ami, voulut en chercher la cause d’abord dans l’interposition d’une materia cometica, puis dans un nuage noir que des émanations fuligineuses, sorties du corps même du Soleil, auraient contribué à former. Chladni et Schnurrer attribuaient au passage de masses météoriques devant le disque du Soleil les phénomènes analogues des années 1090 et 1208, qui durèrent moins longtemps, le premier pendant trois heures, le second pendant six heures seulement. »

Messier rapporte que le 17 juin 1777, vers midi, il vit passer sur le Soleil, pendant cinq minutes, un nombre prodigieux de globules noirs. Ces globules ne faisaient-ils pas partie de l’un des anneaux d’astéroïdes dont toutes les observations des météores cosmiques tendent à faire admettre l’existence ? Deux autres obscurcissements du Soleil, celui du commencement de février 1106 et celui du 12 mai 1706, pendant lequel, vers 10 heures du matin, la nuit devint telle que les chauves-souris se mirent à voler et qu’on fut obligé d’allumer des chandelles, ne paraissent pas pouvoir s’expliquer autrement. Des astronomes, entre autres M. Erman et M. Petit, en ont conclu avec quelque vraisemblance qu’on devrait chercher dans l’interposition entre la Terre et le Soleil d’une grande quantité d’astéroïdes, d’une épaisseur considérable de l’un des anneaux dont il s’agit, la cause des abaissements de température qui se rencontrent périodiquement en février et en mai.

Voilà que des corps dont l’existence ne nous était révélée que par des phénomènes d’incandescence dans le voisinage de notre planète, nous apparaissent par l’obscurcissement de l’astre radieux, foyer de toutes les orbites des corps planétaires. Mais si ces corps forment des anneaux d’une certaine densité, comment ne nous deviennent-ils pas visibles, au moins dans leur ensemble, en réfléchissant la lumière du Soleil ? Dominique Cassini, en étudiant la lumière zodiacale (liv. xv, t. ii), a été conduit à admettre l’existence d’une immense nébuleuse, répandue circulairement autour du Soleil, à une grande distance, à peu près suivant le plan de l’équateur de l’astre radieux. Ce seraient les corps de cette nébuleuse rencontrés par notre globe dans son mouvement de circulation autour du Soleil, qui donneraient naissance à tous les météores cosmiques étudiés dans ce livre. Ainsi, les divers phénomènes de la voûte étoilée et de la météorologie, lors même qu’ils paraissent déjouer par leur inconstance toute la perspicacité des hommes, finissent, à la suite d’une étude approfondie, par se rattacher les uns aux autres dans une sublime coordination.