Astronomie populaire (Arago)/XXII/11

GIDE et J. BAUDRY (Tome 3p. 577-581).

CHAPITRE XI

coloration des objets terrestres lorsque l’obscurité provenant des éclipses de soleil est arrivée a un certain degré


Quelques témoins de l’éclipse totale de 840, disent que la couleur des objets terrestres changea.

Voici textuellement un passage du Mémoire où Plantade et Clapiès, sans connaître la remarque faite en 840, rendirent compte de l’éclipse totale qu’ils observèrent à Montpellier le 12 mai 1706. « On remarqua que, suivant le progrès ou la diminution de l’éclipse, les objets changèrent de couleur. Au huitième doigt (quand les deux tiers du diamètre du Soleil étaient sous la Lune), tant avant qu’après l’obscurité totale, ils étaient d’un jaune orangé. Quand l’éclipse fut parvenue à un peu plus de onze doigts et demi (quand il n’y avait plus de visible que la vingt-cinquième partie du diamètre du Soleil), les objets parurent d’un rouge tirant sur l’eau vinée. »

Malgré la netteté, la précision de ce passage, j’ai cru devoir chercher si d’autres observateurs modernes n’auraient pas aperçu aussi le changement de couleur signalé par Clapiès et Plantade. Le Mémoire de Halley sur l’éclipse totale de 1715, m’a fourni les lignes qu’on va lire.

« Quand l’éclipse-fut arrivée à dix doigts (au moment où la Lune couvrit les dix douzièmes du diamètre du Soleil), l’aspect et la couleur du ciel commencèrent à changer, le bleu d’azur devint une couleur livide, mélangée d’une couleur pourpre. »

Dans l’éclipse du 28 juillet 1851, M. Airy, à Gottemburg, vit l’atmosphère s’empourprer au zénith quelque temps avant le commencement de l’éclipse totale. La plus grande partie du ciel était couverte de nuages.

On ne voudra peut-être pas croire que pour expliquer cet effet on a été jusqu’à supposer que le bord et le centre du Soleil n’ont pas la même teinte. Au reste, il me paraît possible de rendre compte du changement de couleur de l’atmosphère et de celui des objets terrestres sans recourir à d’autres principes qu’à ceux de la photométrie convenablement appliqués. Voici quelle est, suivant moi, la véritable cause du phénomène signalé par Plantade, Clapiès, Halley, et observé depuis par tous les astronomes.

Un corps sphérique a la propriété de disperser, de réfléchir dans tous les sens les rayons qui tombent sur sa surface et l’embrassent en entier, ces rayons incidents fussent-ils parallèles entre eux. Chacune des molécules sphériques dont l’atmosphère se compose doit donc répandre la lumière partout : aussi bien de bas en haut que haut en bas ; aussi bien du nord au midi que du midi au nord ; de l’est à l’ouest que de l’ouest à l’est, etc., etc. Chaque molécule éclairée devient ainsi un centre de lumière rayonnant en tous sens, une sorte de Soleil en miniature, éclairant la totalité des autres molécules atmosphériques, situées au-dessus de l’horizon.

Ceci posé, il est évident que l’observateur qui regarde un point quelconque de l’atmosphère, un point situé à une certaine hauteur angulaire, reçoit : 1° la lumière provenant directement du Soleil, que la file de molécules situées dans la ligne de visée peut envoyer à l’œil après une première réflexion ; 2° les rayons, toujours réfléchis définitivement dans la direction donnée par la même file de molécules, mais venant, eux, après des réflexions plus ou moins multipliées, de toutes les régions de l’atmosphère.

Ainsi, la lumière atmosphérique venant de 40, de 50, de 60 degrés, etc., de hauteur, aussi bien que la lumière atmosphérique venant du zénith, renferment des rayons solaires qui avaient été primitivement se réfléchir, par exemple, sur les molécules voisines de l’horizon.

La lumière qui arrive à l’œil après des réflexions multiples sur des molécules d’air, a peu de force, comparativement à celle qui provient d’une seule réflexion ; cependant elle n’est pas tout à fait négligeable, car, entre autres choses, elle modifie notablement les lois de la polarisation atmosphérique.

Établissons-nous maintenant dans un lieu où une éclipse de Soleil va commencer, et portons nos regards sur une région déterminée de l’atmosphère, par exemple sur la région zénithale.

Cette région nous envoie, 1° par une seule réflexion, des rayons lumineux provenant de toute la superficie du Soleil ; 2° des rayons provenant aussi originairement de la même superficie, mais ayant éprouvé plusieurs réflexions, et la première d’entre elles sur des molécules situées indistinctement dans toutes les régions de l’atmosphère.

L’éclipse a commencé. Le Soleil n’éclaire plus alors la région atmosphérique zénithale de la station que par une portion de sa superficie ; au contraire, il éclaire encore en plein d’autres couches, celles particulièrement qui se trouvent à l’horizon passant par les molécules placées très-haut sur la verticale du lieu, car cet horizon est très éloigné. La lumière zénithale provenant de ces couches après des réflexions multiples, n’était primitivement qu’une fraction aliquote minime de la lumière totale ; l’immersion d’une portion du Soleil a nécessairement accru son importance relative. À mesure que la partie visible de l’astre radieux diminue dans la station, cette importance continue à augmenter. Il arrive enfin un moment où la lumière secondaire, où la lumière provenant des réflexions multiples, n’ayant pas varié, en tant qu’elle provient de certains points pour lesquels l’éclipse n’a pas encore commencé, et s’étant en général beaucoup moins affaiblie que la lumière directe, devient, si l’expression m’est permise, lumière principale et détermine le caractère du phénomène. Alors l’atmosphère, au zénith, change notablement de couleur ; car, tout le monde l’a remarqué, les rayons venant des régions voisines de l’horizon diffèrent toujours, par la teinte, de ceux que les couches d’air élevées réfléchissent.

Je ne m’étendrai pas davantage sur ces considérations. Quoiqu’elles soient très-délicates, j’ai pensé qu’on me pardonnerait de les avoir indiquées. Il était bon, je crois, de montrer que les changements de nuance de l’atmosphère pendant les grandes éclipses n’ont rien de mystérieux, et qu’il est possible de les rattacher aux lois de l’optique, sans supposer que le Soleil n’a pas la même couleur dans toutes les parties de son disque.