Astronomie populaire (Arago)/XXII/07

GIDE et J. BAUDRY (Tome 3p. 558-564).

CHAPITRE VII

détermination des diamètres des étoiles par les occultations


Nous avons dit quelques mots plus haut (chap. v) des occultations d’étoiles derrière la Lune ; indiquons ici les conséquences qu’on a déduites de ce mode d’observations pour la détermination des diamètres de ceux de ces astres qui sont les plus brillants. On a vu précédemment (liv. ix, chap. vii), combien il y avait encore d’incertitude sur tout ce qui est relatif à cette importante question cosmogonique.

La Lune se meut en vertu de son mouvement propre, de l’occident à l’orient, au travers des constellations, avec la vitesse moyenne d’environ une demi-seconde de degré par seconde de temps. Admettons qu’un astre, entièrement ou à peu près immobile, se trouve à l’orient de la Lune, exactement sur la route que notre satellite parcourt. Veut-on savoir le temps qui s’écoulera entre le moment où le bord oriental mobile de la Lune semblera toucher le bord occidental fixe de l’astre en question et celui où il parviendra au bord opposé ? Veut-on connaître, en d’autres termes, le temps que l’astre emploiera à se plonger en totalité sous le corps opaque de la Lune ? Si le diamètre de l’astre en question n’a rien de factice, il suffira de compter autant de secondes de temps qu’il se trouvera dans ce diamètre de demi-secondes de degré. Jupiter, je suppose, a un diamètre de 40 secondes de degré, ou de 80 demi-secondes, ce sera 80 secondes de temps que Jupiter emploiera à disparaître ; il aura besoin du même temps pour reparaître en totalité ; car, à la sortie de derrière le corps opaque de la Lune, les phénomènes doivent se passer comme à l’entrée, mais seulement en sens inverse. Quand Mars a un diamètre de 10 secondes de degré, c’est 20 secondes qu’il emploie, soit à s’éclipser, soit à émerger, etc., etc.

Supposons maintenant qu’une étoile zodiacale de première grandeur ait deux secondes de diamètre réel. Ce diamètre a beau être amplifié par les accidents de vision, il a beau être confus, mal défini, la Lune n’en emploie pas moins quatre secondes de temps à le parcourir. Pendant la durée de ces quatre secondes, la portion visible de l’étoile ira graduellement en diminuant. Une diminution de la portion visible d’un astre doit être inévitablement accompagnée d’une diminution d’intensité dans son image. Parvenue au bord de la Lune, la plus brillante étoile devra passer graduellement dans l’intervalle de 4 secondes de temps, par la 2e, 3e, 4% etc., grandeur, avant de disparaître entièrement. À sa sortie, elle suivra la progression inverse ; presque imperceptible à l’instant mathématique de l’émersion, l’étoile s’élèvera bientôt jusqu’à la première grandeur.

Ce n’est pas ainsi que les choses se passent : une étoile conserve tout son éclat jusqu’au moment même de sa disparition ; elle reparaît subitement aussi avec toute son intensité.

Nous étions donc partis d’une fausse hypothèse ; les étoiles, malgré les apparences contraires, n’ont pas deux secondes de diamètre réel.

Si, au lieu de deux secondes de diamètre, nous avions pris une seconde, pour base de notre raisonnement, nous aurions trouvé que les mêmes changements d’intensité devraient s’opérer en deux secondes de temps. Deux secondes forment une période, pendant la durée de laquelle l’œil saisirait, sans aucun doute, des variations d’intensité portant graduellement une étoile de la 1re à la 10e grandeur, ou réciproquement. Ainsi, les étoiles zodiacales de première grandeur, n’ont pas même une seconde de diamètre réel.

Quoique la méthode dont je viens de donner l’analyse, ne soit applicable qu’aux étoiles situées dans le zodiaque, ou que la Lune peut éclipser, elle m’a paru assez utile, assez ingénieuse, pour mériter qu’on recherchât à qui elle était due. Voici ce que j’ai découvert de plus ancien à ce sujet :

Dans le cahier des Transactions philosophiques des mois de juillet, d’août et de septembre 1718, je lis, page 853 : « Que l’étoile Palilicium (Alderaban), émergea de dessous le bord obscur de la Lune, à 9h 58m 20s, qu’elle recouvra toute sa clarté en un clin d’œil, et qu’un pareil résultat démontra que le diamètre de cette étoile, de première grandeur, était presque nul. » Cette note est je crois de Halley.

On trouve une observation analogue dans le volume de l’Académie des Sciences de 1720.

Le 21 avril de cette même année 1720, Jacques Cassini observa l’immersion de γ de la Vierge, sous le bord de la Lune. Cette étoile est double. Dans la lunette de 5m,3, et non achromatique, dont l’astronome faisait usage, l’intervalle obscur compris entre les deux étoiles, paraissait tout au plus égal au diamètre de chacune d’elles. La première et la seconde étoile disparurent subitement, c’est-à-dire en moins d’une demi-seconde ; mais l’intervalle entre les temps des deux disparitions s’éleva à trente secondes. Ainsi, le bord de la Lune qui semblait n’avoir eu besoin que d’une demi-seconde pour se transporter au bord opposé d’un certain disque lumineux, employa 30 secondes à parcourir un espace obscur de même étendue apparente. Cet espace était donc plus grand qu’il ne le paraissait ; les deux étoiles rétrécissaient l’espace réel, à raison de l’élargissement de leurs diamètres ; cet élargissement donnait à chaque étoile un diamètre 30 fois au moins plus considérable que le diamètre véritable. Il est juste de remarquer que la lunette de Cassini n’étant pas achromatique, devait, par cette seule raison, présenter les étoiles considérablement dilatées. Aujourd’hui, l’observation ne donnerait pas, à beaucoup près, le résultat extraordinaire consigné dans le Mémoire de Cassini.

Il est une circonstance qui a jeté du louche dans l’esprit de beaucoup d’astronomes, sur l’observation des occultations d’étoiles, et sur les conséquences qu’on en a déduites, je veux parler de l’apparition de l’image de l’étoile sur le disque de là Lune.

On a souvent remarqué, en effet, qu’avant de disparaître, une étoile se projetait sur le disque apparent de la Lune, et, circonstance singulière, ce phénomène, souvent visible pour un observateur habile, et muni de très bons instruments, n’était pas aperçu par un observateur placé immédiatement à côté du premier, disposant de télescopes d’une qualité comparativement inférieure.

J’ai été étonné de voir dans un ouvrage publié récemment par un des astronomes les plus renommés d’un pays voisin, que ce phénomène lui paraissait devoir dépendre d’une réfraction qu’éprouveraient les rayons partis de l’étoile et traversant l’atmosphère de la Lune, comme si une telle réfraction ne devait pas avoir pour effet nécessaire et inévitable d’écarter toujours les rayons de l’étoile des bords du disque de notre satellite. Mairan qui avait pensé déjà à cette cause, ne s’y était pas trompé, il avait reconnu que la réfraction ordinaire ne pouvait produire les effets observés, qu’en supposant l’atmosphère de la Lune moins dense que l’éther dans lequel nage cette planète ; ce serait donc par une inflexion négative que le phénomène arriverait.

Duséjour était disposé à l’attribuer à une inégalité de réfraction que les rayons de l’étoile et les rayons de la Lune éprouveraient dans l’atmosphère terrestre. Supposons, en effet, que cette inégalité de réfraction existe et que l’étoile doive disparaître vers le bord supérieur de la Lune par l’effet d’un mouvement de cet astre en déclinaison, au moment du contact réel de l’étoile et du bord supérieur de notre satellite, les rayons seraient confondus et marcheraient ainsi ensemble jusqu’à notre œil ; mais si celui qui émanait des bords de la Lune était plus réfracté dans notre atmosphère que le rayon de l’étoile, le bord se projetterait en apparence sur l’étoile d’une quantité égale à l’inégalité de réfraction.

La même chose arriverait pour une occultation dont le siége serait la partie inférieure de la Lune, si on supposait que les rayons de l’étoile éprouvent la plus forte réfraction.

Mais comment cette explication servirait-elle à rendre compte du phénomène, lorsqu’il se manifeste aux extrémités du diamètre horizontal. On peut d’ailleurs la renverser par sa base, en faisant remarquer que tous les rayons de lumière, ceux qui émanent d’un ver luisant, du bois pourri ou du Soleil, doivent se réfracter de la même manière. Je me bornerai, car cela suffit, dans la circonstance présente, à rapporter les résultats suivants, déduits d’observations de hauteurs des astres faites à travers un seul et même prisme, le 18 août 1809 :

Sirius 
 24′32″
α d’Hercule 
 34 30 
α d’Ophiucus 
 24 33 
α de la Lyre 
 24 38 
Le Soleil 
 24 39 

On remarquera que la lumière de la Lune qui n’est que celle du Soleil réfléchie, doit incontestablement se réfracter comme celle de ce dernier astre.

Lahire rendait compte en 1699 de l’apparition des étoiles sur le disque de la Lune, en supposant que le disque réel était accompagné d’une lumière parasite, ou, comme on eût dit jadis, d’un cercle de dissipation, qui augmentait son diamètre, et à travers laquelle l’étoile se montrait avant de se cacher derrière la partie opaque du globe lunaire.

Cette explication me paraît satisfaire à toutes les circonstances dont le phénomène est accompagné, pourvu qu’on admette que la zone parasite n’est pas un effet d’irradiation, mais qu’elle résulte de ce que l’observateur ne voyait l’astre que d’une manière un peu indistincte, l’oculaire de l’instrument n’ayant pas été placé très exactement au foyer. Ceux qui chercheront à substituer une autre explication à celle de Lahire, ne devront pas oublier que l’apparition mystérieuse de l’étoile peut s’offrir à un observateur et ne se point montrer à d’autres placés à côté du premier.