Astronomie populaire (Arago)/XXII/02

GIDE et J. BAUDRY (Tome 3p. 538-541).

CHAPITRE II

explication des éclipses de soleil


Quoique la Lune soit très-petite comparativement au Soleil, elle sous-tend à peu près le même angle, parce qu’elle est beaucoup plus près ; il arrive même, à raison des changements de distance des deux astres à la Terre, qu’ils se surpassent successivement en grandeur apparente, que la Lune a tantôt un diamètre apparent angulaire plus grand et tantôt un diamètre plus petit que le Soleil.

Lorsque la Lune s’interpose entre le Soleil et la Terre, elle semble devoir faire, par rapport à nous, l’office d’un écran et nous dérober la totalité ou une portion plus ou moins considérable de l’astre radieux ; mais il faut remarquer que l’orbite de la Lune n’étant pas exactement couchée sur le plan de l’écliptique, que l’angle de ces deux plans étant d’environ cinq degrés (liv. xxi, chap. x), la Lune, au moment de sa conjonction, peut se trouver soit au-dessus, soit au-dessous du Soleil. Pour qu’une conjonction soit écliptique, il faut donc qu’elle ait lieu près des nœuds de l’orbe lunaire, c’est-à-dire près du plan de l’orbite terrestre.

La latitude de la Lune, ou sa distance au plan de l’écliptique au moment de sa conjonction, décidera si la Lune se projettera tout entière sur le Soleil, ou si seulement elle n’empiétera que sur une partie limitée de cet astre, ou même si elle sera rapportée par l’observateur à des points du firmament complétement au-dessus ou au-dessous de l’astre radieux.

Quand, au plus fort d’une éclipse, la Lune ne semble empiéter que sur une portion limitée du disque solaire, on dit que l’éclipse est partielle.

Quand, au plus fort d’une éclipse, la Lune nous dérobe la vue de la totalité du Soleil, l’éclipse est totale.

Enfin lorsque, pendant la durée d’une éclipse, il arrive un moment où la Lune se projette en entier sur le Soleil sans le couvrir ; où elle nous cache la portion centrale et laisse à découvert les régions voisines du limbe ; où elle apparaît comme un disque noir entouré d’un anneau lumineux, l’éclipse est annulaire.

Les anciens astronomes, pour indiquer quelle était l’étendue d’une éclipse partielle, avaient pris l’habitude de supposer le diamètre solaire divisé en douze parties qu’ils appelaient des doigts ; l’éclipse était d’un doigt, de deux, de trois, de quatre doigts, suivant qu’au plus fort de l’éclipse un douzième, deux douzièmes, trois douzièmes, quatre douzièmes du diamètre du Soleil étaient cachés par la Lune.

Ces désignations surannées sont encore usitées de nos jours dans quelques éphémérides astronomiques.

La Lune et le Soleil n’étant pas à une égale distance de la Terre, des observateurs diversement placés ne projettent pas les deux astres sur les mêmes points du ciel.

Voilà comment il arrive qu’une éclipse est totale en certains lieux, et seulement partielle dans d’autres ; voilà comment Paris, par exemple, n’a vu quelquefois aucune trace de telle éclipse partielle de Soleil qui a été apparente à Toulouse, et réciproquement.

Il est bon d’observer aussi qu’en certaines occasions très-rares, une éclipse peut être totale dans un lieu et annulaire dans un autre. Cela arrive lorsque les diamètres apparents du Soleil et de la Lune sont presque égaux. La Lune ne se trouvant pas à la même distance de tous les points de la surface terrestre, et les différences étant dans des rapports appréciables avec la distance absolue, les uns voient la Lune plus grande que le Soleil et les autres la voient plus petite. Le même effet peut résulter d’un rapide mouvement de la Lune vers l’apogée ou le périgée.

Pour qu’une éclipse puisse être totale, il faut qu’au moment du phénomène les lignes visuelles menées aux deux extrémités d’un diamètre de la Lune, comprennent un angle plus grand que les deux lignes visuelles menées aux deux extrémités d’un diamètre du Soleil ; il faut (en prenant les expressions techniques) que le diamètre angulaire de la Lune l’emporte sur le diamètre angulaire du Soleil. Si le moment où la Lune devient nouvelle coïncide avec le moment où son diamètre angulaire est au minimum, ce qui met l’astre à son apogée, aucune circonstance de projection ne pourra donner lieu qu’à une éclipse de Soleil annulaire. Si, au contraire, dans le moment de la conjonction écliptique, le diamètre angulaire de la Lune est au maximum (ceci revient à dire que l’astre est à son périgée ou à sa moindre distance à la Terre), des circonstances favorables de projection amèneront une éclipse totale. Ces notions composent tout ce que j’avais besoin d’établir pour qu’on ne demande pas pourquoi l’éclipse du 8 juillet 1842, par exemple, a été totale, tandis que, au maximum, l’éclipse de 1836 fut annulaire ; pourquoi l’éclipse du 8 juillet a été totale dans le midi de la France et seulement partielle à Paris ?

La considération des diamètres comparés de la Lune et du Soleil ne suffit pas pour qu’on puisse indiquer d’avance les circonstances dans lesquelles se présentera une éclipse de ce dernier astre ; il faut évidemment déterminer à l’aide des tables lunaires la valeur de la latitude des divers points du disque lunaire au moment de leur conjonction et l’effet de la parallaxe lunaire qui doit varier d’un point à l’autre de la Terre.