Astronomie populaire (Arago)/XXI/25

GIDE et J. BAUDRY (Tome 3p. 467-471).

CHAPITRE XXV

la lumière de la lune produit-elle des effets calorifiques et chimiques appréciables ?


Cette question de savoir si la lumière de la Lune produit des effets calorifiques et chimiques appréciables n’est pas sans intérêt au point de vue théorique, et aussi lorsqu’on considère le rôle qu’on a fait jouer à la Lune dans l’explication des phénomènes météorologiques ; elle a été soumise de bonne heure à l’épreuve de l’expérience.

La Hire fils, par exemple, en 1705, ayant concentré la lumière de la Lune au foyer d’un miroir réfléchissant de 0m,947 de diamètre, trouva qu’elle ne faisait pas monter d’une manière appréciable un thermoscope à air très-sensible d’Amontons.

Cette expérience, que Tschirnaus avait faite antérieurement, a été répétée depuis plusieurs fois, soit avec des miroirs, soit avec des lentilles de grandes dimensions, et elle a donné constamment un résultat négatif. Cependant en 1846, MM. Melloni ayant sous le beau ciel de Naples dirigé vers la Lune une lentille à échelons de un mètre de diamètre, et placé au foyer son petit appareil thermoélectrique, vit l’aiguille de cet instrument marcher de 3 à 4 degrés dans le sens d’un échauffement. Les précautions dont le célèbre physicien s’entoura ne laissent aucun doute sur le résultat. Que représentent maintenant les 3 ou 4 degrés de l’instrument de M. Melloni en degrés de thermomètre ordinaire, c’est ce que j’ignore. Du reste, on ne s’étonnera pas, quelque considérables que soient les phénomènes thermométriques lorsqu’une lentille réunit à son foyer les rayons du Soleil, de trouver ses effets si petits quand on concentre au même foyer les rayons de la pleine Lune ; il suffit pour expliquer la différence de se rappeler que, d’après les expériences photométriques, la lumière de ces deux astres est au moins dans le rapport de 300 000 à 400 000 à 1. Il n’est donc nullement nécessaire de supposer, comme Macrobe, par exemple, que les rayons du Soleil perdent toute leur chaleur dans l’acte de leur réflexion à la surface de notre satellite.

Aux observations qui avaient prouvé, disait-on, que la lumière de la Lune concentrée aux foyers des plus grands miroirs ou des plus larges lentilles, ne produit aucun effet thermométrique appréciable, succédèrent des observations sur les décolorations que cette même lumière peut faire subir aux substances chimiques les plus sensibles à l’action du fluide lumineux ; elles donnèrent aussi un résultat négatif ; mais on alla au delà des conclusions que ces expériences légitimaient en affirmant que la Lune ne peut, par sa lumière, exercer absolument aucun genre d’influence sur les êtres animés. Le système nerveux est un instrument plus sensible dans bien des circonstances que les appareils les plus délicats dus à l’industrie des physiciens ; après avoir laissé votre œil se reposer dans l’obscurité, dirigez-le sur la pleine Lune, et votre pupille, c’est-à-dire l’ouverture qui existe au milieu de l’iris, se contractera considérablement, ainsi que vous pourrez le reconnaître en vous servant d’une lunette de Galilée et en déterminant l’étendue du champ, car dans de semblables lunettes le champ est dépendant de l’ouverture de la pupille.

Ceux qui croyaient que la lumière de la Lune était absolument sans effet sur les corps terrestres, n’avaient sans doute pas connaissance de l’observation si curieuse consignée par Dufay dans les Mémoires de l’Académie des sciences de 1730, et suivant laquelle la pierre de Bologne et d’autres phosphores analogues deviennent un peu lumineux pendant le clair de Lune.

Au reste, depuis les études variées, délicates et très ingénieuses auxquelles la découverte de Niepce et de Daguerre a donné lieu, la question a totalement changé de face. Les photographes ont découvert bon nombre de composés chimiques très-sensibles, qui se laissent impressionner en peu d’instants par les rayons lunaires ; aujourd’hui il ne serait donc plus permis de dire que les rayons réfléchis par notre satellite sont entièrement sans effet sur les animaux et sur les plantes, puisqu’il est démontré que dans la plupart des phénomènes photographiques la durée de l’exposition supplée à la sensibilité.

L’idée d’appliquer les procédés photographiques de Niepce et de Daguerre à la reproduction de certains objets scientifiques, était très-naturelle ; on a donc peine à concevoir que les personnes qui ont publié leurs projets à ce sujet en aient tiré vanité. Réclamer la priorité quand il s’agit de la formation d’images photographiques du Soleil et de la Lune paraît donc, qu’on me passe le mot, une véritable puérilité. Quoi qu’il en soit, puisque de semblables réclamations se sont fait jour, je transcrirai ici un passage du rapport que je fis à la Chambre des députés à l’époque où les procédés de Daguerre encore secrets allaient devenir l’objet d’une rémunération nationale.

« L’académicien qui connaissait déjà depuis quelques mois (lorsque le projet de loi fut présenté) les préparations sur lesquelles naissent de si beaux dessins, n’a pas cru devoir tirer encore parti du secret qu’il tenait de l’honorable confiance de M. Daguerre. Il a pensé qu’avant d’entrer dans la large carrière que les procédés photographiques viennent d’ouvrir aux physiciens, il était de sa délicatesse d’attendre qu’une rénumération nationale eût mis les mêmes moyens d’investigation aux mains de tous les observateurs. Nous ne pourrons donc guère, en parlant de l’utilité scientifique de l’invention de notre compatriote, que procéder que par voie de conjectures. Les faits, au reste, sont clairs, palpables, et nous avons peu à craindre que l’avenir nous démente.

«La préparation sur laquelle M. Daguerre opère, est un réactif beaucoup plus sensible à l’action de la lumière que tous ceux dont on s’était servi jusqu’ici. Jamais les rayons de la Lune, nous ne disons pas à l’état naturel, mais condensés au foyer de la plus grande lentille, au foyer du plus large miroir réfléchissant, n’avaient produit d’effet physique perceptible. Les lames de plaqué préparées par M. Daguerre, blanchissent au contraire à tel point sous l’action de ces mêmes rayons et des opérations qui lui succèdent, qu’il est permis d’espérer qu’on pourra faire des cartes photographiques de notre satellite.

C’est dire qu’en quelques minutes on exécutera un des travaux les plus longs, les plus minutieux, les plus délicats de l’astronomie. »

Mes prévisions de 1840 ont été réalisées ; on a fait dans plusieurs observatoires des images photographiques de la Lune parfaitement réussies.