Astronomie populaire (Arago)/XX/31

GIDE et J. BAUDRY (Tome 3p. 368-374).

CHAPITRE XXXI

trouve-t-on dans les phénomènes géodésiques ou astronomiques quelque circonstance qui puisse amener a supposer que la terre ait jamais été heurtée par une comète ?


Dans tous les calculs relatifs à la détermination de l’aplatissement de la Terre, qui se fondent sur des mesures géodésiques, on part de la supposition que la courbe méridienne a la forme d’une ellipse ; que son grand axe se trouve dans le plan de l’équateur ; que le petit axe est la ligne même des pôles, la ligne autour de laquelle la Terre opère sa rotation. Si cette supposition était légitime, les divers degrés mesurés sur chaque méridien, entre le pôle et l’équateur, combinés deux à deux, conduiraient à la même valeur pour l’aplatissement. Le calcul donne, au contraire, des résultats très-dissemblables ; donc, il se fondait sur une fausse hypothèse ; donc, le diamètre autour duquel la Terre tourne maintenant, ne devait pas être l’axe de rotation à l’époque où, liquide encore, elle reçut sa forme sphéroïdale.

Telles sont les considérations qui ont amené des savants célèbres à soutenir que l’axe de la Terre n’a pas toujours percé sa surface dans les mêmes points, et que, depuis l’origine, il s’est déplacé d’une quantité sensible. Il y a une cinquantaine d’années, ces considérations n’auraient pas été sans quelque force. Aujourd’hui que les mesures des degrés du méridien se sont tant multipliées, il ne sera pas difficile de les réfuter.

Si un léger écartement entre le petit axe de l’ellipse méridienne et la ligne des pôles, était la principale cause du désaccord qu’on trouve en comparant les valeurs des degrés déduites de l’observation avec celles qui résultent d’une certaine hypothèse d’aplatissement, ce désaccord aurait lieu toujours dans le même sens ; il augmenterait d’une manière graduelle, à mesure qu’on emploierait dans le calcul des arcs géodésiques séparés par de plus vastes intervalles. Mais ce n’est pas ainsi que les irrégularités se manifestent. Sur la même section méridienne, les longueurs de deux degrés contigus diffèrent quelquefois beaucoup. Il arrive même, dans certaines localités, que les degrés grandissent quand on marche vers l’équateur, comme si la Terre était allongée aux pôles. L’Italie a présenté récemment, sous ce rapport, dans une étendue très-bornée de terrain, d’énormes anomalies. Cette confusion, en apparence inextricable, est le simple effet d’attractions locales. Anciennement, on n’aurait voulu croire à ces attractions que près des montagnes ; mais l’expérience a parlé : au milieu d’une vaste plaine, des accidents géologiques dont l’observateur ne peut pas même soupçonner l’existence, dévient quelquefois le fil à plomb sept à huit fois plus que le Chimborazo ne le fit dans les expériences de Bouguer. C’est là qu’il faut chercher la cause des discordances que présentent les résultats des mesures géodésiques, et non dans la direction du petit axe des ellipses méridiennes relativement à la ligne des pôles.

Venons à des considérations d’une autre espèce, et qui peuvent également conduire à découvrir si la Terre a été choquée par une comète.

Lorsqu’un corps isolé dans l’espace, quelles que soient d’ailleurs sa forme et sa nature, éprouve sur place un mouvement de rotation, chacun de ses points décrit une circonférence de cercle. Les centres de toutes ces circonférences se trouvent situés sur une seule et même ligne droite, qui perce la surface du corps en deux points qu’on nomme, comme tout le monde sait, les pôles. Les deux pôles sont les seules parties de la surface qui soient immobiles, pendant que tout le reste tourne.

La ligne qui joint les pôles s’appelle l’axe de rotation.

Si le corps qui tourne est sphérique et homogène, son axe idéal de rotation reste invariable ; il passe par le centre et aboutit constamment aux mêmes points matériels de la surface. Si la figure du corps est tout autre, son mouvement de rotation pourra, à chaque instant, s’opérer autour d’un axe différent. Les pôles, en conséquence, changeront perpétuellement de place.

Cette multitude d’axes, autour de chacun desquels un corps n’effectue qu’une partie de sa révolution, s’appellent les axes instantanés de rotation. En résolvant dans toute sa généralité l’important problème de mécanique relatif au mouvement de rotation, les géomètres sont arrivés à ce résultat curieux, que dans tout corps, quelle que soit sa forme et quelles que puissent être ses variations de densité d’une région à l’autre, il existe trois axes perpendiculaires entre eux, passant par son centre de gravité, et autour desquels il peut tourner d’une manière uniforme, invariable, permanente. Ces axes ont été nommés les axes principaux de rotation.

L’axe autour duquel la Terre tourne est-il un axe instantané ou un axe principal de rotation ? Dans le premier cas, l’axe changera sans cesse. Il n’aboutira pas deux jours de suite aux mêmes régions matérielles de la surface terrestre, et l’équateur, dont tous les points sont à 90° du pôle, éprouvera des déplacements analogues. Qu’on veuille bien maintenant se rappeler que la latitude géographique d’un lieu est la distance angulaire de ce lieu à l’équateur, et l’on reconnaîtra que pour décider de quelle espèce est l’axe de rotation de la Terre, il suffira de chercher si une latitude, si celle de Paris, par exemple, a la même valeur tous les jours de l’année, toutes les années, tous les siècles.

L’observation a déjà répondu à cette question d’une manière affirmative. Les latitudes terrestres sont constantes. L’axe de la Terre, la ligne qui joint les deux pôles, est donc un axe principal.

Ce n’est pas le lieu de rechercher comment il est arrivé que, dans le nombre infini de lignes droites aboutissant au centre de gravité de notre globe, autour desquelles une impulsion primitive aurait pu le faire tourner, l’un des trois axes principaux soit devenu l’axe de rotation. Je prendrai ici le fait tel que les observations l’ont donné, et je me contenterai de signaler une circonstance qui pourrait changer cet ordre des choses.

Supposons que la terre soit totalement solide. Sa rencontre oblique avec une comète un peu grande, déplacera son axe de rotation. Puisque le mouvement s’opérait d’abord autour d’un axe principal, après le choc il aura lieu autour d’un axe instantané. Dès ce moment, les latitudes varieront périodiquement entre certaines limites.

Les observations de latitude sont faciles et susceptibles d’une grande exactitude. Des changements de deux secondes de degré ne resteraient pas longtemps cachés ; or, de pareils changements auraient lieu si le pôle nord du globe s’écartait de 60 mètres du point matériel auquel il correspond aujourd’hui. La plus petite comète ne pourrait donc pas venir heurter obliquement la Terre, sans que l’altération de certains éléments géographiques en avertît sur-le-champ les astronomes de Paris, de Londres, de Berlin, etc. Ce que nous disons de l’avenir peut être appliqué au passé ; et de ce que la Terre tourne autour d’un axe invariable, on peut conclure avec certitude qu’elle n’a pas été rencontrée par une comète. À la suite de cet ancien choc, un axe instantané de rotation eût, en effet, remplacé l’axe principal, et les latitudes terrestres se trouveraient aujourd’hui soumises à des variations continuelles que les observations n’ont pas signalées. Il ne serait pas impossible que la Terre, dont la rotation aurait eu lieu primitivement autour d’un axe instantané, se fût trouvée, à la suite d’un choc, tourner mathématiquement autour d’un de ses axes principaux ; mais personne, sans doute, ne me reprochera d’avoir laissé de côté un cas si hautement improbable.

La constance des latitudes terrestres prouve donc que, depuis l’origine, notre globe n’a pas été heurté par une comète. Il faut toutefois bien se rappeler l’hypothèse dont nous sommes partis ; il faut ne pas perdre de vue que, dans tous nos raisonnements, nous avons fait de la Terre un corps entièrement solide.

Si son centre est encore en liquéfaction, comme beaucoup de personnes le croient sur d’assez bons motifs, ainsi que nous l’avons vu précédemment (chap. xviii), le problème que nous nous sommes proposé devient beaucoup plus compliqué. En effet, une masse fluide, douée d’un mouvement de rotation, s’aplatit nécessairement dans la direction de la ligne des pôles, et se renfle à l’équateur. Un déplacement de l’axe de la Terre serait donc accompagné d’un changement dans la forme actuelle du liquide intérieur. Pendant que ce liquide se retirerait en partie des régions occupées par les nouveaux pôles, il se porterait au contraire avec force vers le nouvel équateur. Je laisse à deviner quels déchirements, quelles dislocations, de pareils mouvements opéreraient dans la coque solide de la Terre.

Ce n’est pas tout : le fluide aurait à peine commencé à se grouper autour du nouvel axe instantané de rotation, avec la figure elliptique d’équilibre, que cet axe ne serait déjà plus celui de rotation, qu’un troisième axe l’aurait remplacé, qu’une seconde déformation du fluide deviendrait nécessaire, et ainsi de suite. Il y aurait donc ici à examiner si les énormes frottements que le fluide éprouverait, durant ces flux et reflux continuels, n’amoindriraient pas de plus en plus l’amplitude de la courbe, qui, sans cela, aurait été parcourue par les extrémités des axes instantanés ; si, à la longue, on n’arriverait pas à un mouvement rotatoire qui s’opérerait autour d’un axe principal. En supposant l’intérieur du globe encore liquide, le problème deviendrait donc beaucoup plus compliqué, et l’on ne pourrait pas déduire, avec la même certitude, de la constance des latitudes terrestres, la conséquence que la Terre n’a jamais été heurtée par une comète.