Astronomie populaire (Arago)/XX/30

GIDE et J. BAUDRY (Tome 3p. 363-368).

CHAPITRE XXX

historique des recherches sur la distance de la terre au soleil


Ptolémée et ses contemporains, et après lui Copernic et Tycho-Brahé, supposaient que la distance du Soleil à la Terre était égale à 1 200 rayons terrestres. Kepler triplait à peu près cette distance et la portait à 3 500 rayons terrestres, mais sans raisons démonstratives. Riccioli, à son tour, doublait arbitrairement la distance donnée par Kepler, tandis que Hévélius ne l’augmentait que de moitié.

Halley paraissait disposé, à l’époque de la publication de son célèbre Mémoire, en 1716, à croire que la parallaxe du Soleil devait être inférieure à 15″, en se fondant sur cette considération singulière, que si cette parallaxe était en effet de 15″, la Lune serait plus grande que Mercure, ce qui, dit-il, semble contraire à l’harmonie du système du monde. D’un autre côté, ajoute-t-il, la considération de cette harmonie ne semble pas permettre de supposer Vénus planète inférieure, dont il croyait le diamètre vu du Soleil égal à 30″ et dépourvue de satellite, plus grande que la Terre, planète supérieure, et ayant un satellite si remarquable.

Définitivement, Halley se décidait pour une parallaxe égale à 12″,5, ce qui impliquait une distance du Soleil à la Terre égale à 16 500 rayons terrestres.

Le voyage de Richer, à Cayenne, conduisit à des conclusions moins hypothétiques. Cet astronome compara Mars à des étoiles situées dans son voisinage, et ses observations, mises en regard de celles qui avaient été faites simultanément en Europe, par Picard et Roëmer, indiquèrent pour Mars en opposition, une parallaxe de 25″ 1/2, d’où l’on déduisit pour la parallaxe solaire 9″,5, correspondant à une distance du Soleil à la Terre égale à 21 712 rayons terrestres.

De cette époque datent les tentatives effectuées en Europe pour déterminer la parallaxe de Mars en opposition par les observations faites dans un seul et même lieu. Il est évident que si la distance de la planète à la Terre est sensible, son mouvement diurne apparent ne doit pas se faire comme celui d’une étoile supposée dans un éloignement beaucoup plus grand, de sorte que si la distance en ascension droite d’une étoile à la planète au moment du passage au méridien, a une certaine valeur, on a dû lui trouver des valeurs différentes quelques heures avant et quelques heures après l’instant de la culmination.

Cassini, aidé de Roëmer et de Sédileau, en suivant cette méthode, donnait à la parallaxe de Mars en opposition une valeur comprise entre 24 et 27″, d’où il déduisait pour la parallaxe solaire 9″,8, ce qui correspond à une distance du Soleil à la Terre égale à 21 048 rayons terrestres.

Flamsteed, ayant fait des observations analogues à Derby, en tira, pour la parallaxe de Mars en opposition, une valeur inférieure à 25″, d’où l’on obtenait, pour la parallaxe solaire, un nombre moindre que 10″.

Maraldi, en suivant la même méthode d’observation, en 1704 et 1719, trouva pour Mars en opposition une parallaxe de 23″, et en déduisit pour la parallaxe solaire une valeur de 10″, correspondant à une distance du Soleil à la Terre égale à 20 626 rayons terrestres.

Pound et Bradley, en 1719, obtinrent également pour les limites de la parallaxe solaire, déduite de celle de Mars, les nombres 12″ et 9″.

Lacaille ayant fait, en 1751, des observations de Mars au cap de Bonne-Espérance, les compara à un grand nombre d’observations effectuées en Europe ; il trouva 26″,8 en moyenne pour la parallaxe de cette planète en opposition, ce qui le conduisit à admettre 10″,25 pour celle du Soleil correspondant à une distance de 20 123 rayons terrestres de cet astre à notre globe.

Vénus ayant été dans la même année 1751 en conjonction intérieure, mais non écliptique, à l’époque où Lacaille se trouvait au Cap, cet astronome l’observa assidûment. De ses observations, comparées à celles d’Europe, Lacaille conclut par une moyenne que la parallaxe solaire était de 10″,4, correspondant à une distance de la Terre au Soleil égale à 19 871 rayons terrestres.

Tel était l’état de nos connaissances sur la détermination de la distance itinéraire du Soleil à la Terre, lorsque arriva en 1761 le passage apparent de Vénus sur le disque du Soleil. Les observations de ce passage, faites au cap de Bonne-Espérance, en Laponie et à Tobolsk en Sibérie, donnèrent pour l’angle que sous-tend le rayon de la Terre, vu du Soleil à la distance moyenne, une valeur d’environ 9″.

Vint ensuite le passage de 1769, à l’observation duquel toutes les nations de l’Europe contribuèrent. L’abbé Chappe, de l’Académie des sciences, se rendit en Californie, où il mourut très-peu de temps après l’observation qu’il avait été y faire.

Cook et l’astronome Green allèrent à Otaïti, dans la mer du Sud. Dymond et Wales prirent leurs stations dans le nord de l’Amérique, près de la baie d’Hudson ; Call à Madras, dans la presqu’île de l’Inde.

L’Académie de Pétersbourg envoya des astronomes dans divers points de la Laponie russe.

Le Père Hell, astronome allemand, alla au nom du roi de Danemark, observer à Wardhus, extrémité septentrionale de notre continent ; et Planman, Suédois, observa à Cajanebourg, dans la Finlande[1].

Les résultats comparés des deux observations faites dans des lieux éloignés, suffirent à la détermination de la parallaxe solaire. Voici les nombres obtenus par diverses combinaisons :

Taïti et Wardhus 
 8″,71
Taïti et Kola 
 8 ,55
Taïti et Cajanebourg 
 8 ,39
Taïti et baie d’Hudson 
 8 ,50
Taïti et Paris 
 8 ,78
Californie et Wardhus 
 8 ,62
Californie et Kola 
 8 ,39

La moyenne des observations faites au nord de l’équateur, comparées à celles de Taïti, donnent 8″,59, ce qui diffère peu du résultat auquel Lalande s’était arrêté par des calculs effectués peu de temps après que les observations venaient d’être faites.

M. Encke a calculé récemment la même parallaxe, en se servant de l’ensemble des observations et des longitudes et latitudes des stations données par la géographie perfectionnée. Cet astronome est parvenu ainsi à réhabiliter des observateurs dont les données tardives avaient paru entachées de fraude ; du reste, le résultat auquel il s’est arrêté diffère peu du précédent ; il est, pour la distance moyenne de la Terre, de 8″,58. Tel est l’angle sous-tendu par le rayon équatorial de la Terre, ce qui implique une distance égale à 23 984 de ces rayons correspondant à 38 230 496 lieues de 4 000 mètres.

  1. Le Gentil s’était embarqué, en 1761, par ordre de l’Académie des sciences, pour observer le passage de cette année à Pondichéry. Par les hasards de la mer, il n’était pas encore arrivé lorsque ce passage s’effectua ; il prit alors la résolution héroïque d’attendre huit années afin d’observer dans la même ville le passage de 1769 ; mais comme pour montrer toute l’étendue du sacrifice fait par le célèbre académicien, un petit nuage cacha le Soleil tout juste le temps nécessaire pour empêcher de voir le phénomène.