Astronomie populaire (Arago)/XX/12

GIDE et J. BAUDRY (Tome 3p. 117-135).

CHAPITRE XII

sur les soulèvements de terrains modernes


Une personne de ma connaissance, à qui je venais de donner verbalement une analyse succincte des travaux de M. de Beaumont sur les systèmes de montagnes (ch. ix), voulait me détourner d’en parler, de peur, disait-elle, que le public ne tirât d’une théorie dans laquelle, suivant une expression proverbiale, on fait pousser les montagnes comme des champignons, la conséquence que les géologues de notre temps ressemblent beaucoup à leurs devanciers. Tous mes efforts pour lui montrer que le soulèvement des montagnes n’est plus aujourd’hui une idée gratuite ; que cette idée découle des faits ; qu’elle donne la seule explication qu’on ait encore pu trouver de l’inclinaison des couches des terrains de sédiment et de beaucoup d’autres phénomènes, furent absolument sans résultat. J’imaginai alors de citer de petits soulèvements de terrains qui se sont opérés de nos jours. L’effet que ce genre d’arguments produisit m’a suggéré la pensée d’en faire usage ici.

Personne ne peut nier que les déjections volcaniques ne forment à la longue, sur la surface du globe, des monticules ou même des montagnes assez élevées. On a constaté, par exemple, que les laves sorties de l’Etna formeraient un volume beaucoup plus grand que celui de la montagne, et que le Monte-Nuovo, près de Naples, a été engendré par les scories lancées en deux fois vingt-quatre heures seulement ; mais ce n’est pas là le genre de phénomène dont je veux parler ; la question à examiner est celle-ci : Y a-t-il eu depuis les temps historiques des portions déjà consolidées de la croûte terrestre qui aient été soulevées en masse par des causes intérieures ? Existe-t-il des terrains qu’une révolution du globe, postérieure à leur formation, ait élevés de notre temps au-dessus de leur niveau primitif ? La réponse à cette question doit être affirmative ; en voici une preuve empruntée à M. de Humboldt.

Dans la nuit du 28 au 29 septembre 1759, un terrain d’environ 12 kilomètres carrés, situé dans l’enceinte de Valladolid, au Mexique, se souleva en forme de vessie. On reconnaît encore aujourd’hui, par les couches fracturées, les limites où le soulèvement s’arrêta. Sur ces limites, l’élévation du terrain au-dessus de son niveau primitif, ou bien au-dessus de celui de la plaine environnante, n’est que de 12 mètres ; mais vers le centre de l’espace soulevé, l’exhaussement total n’a pas été de moins de 160 mètres.

Ce phénomène avait été précédé de tremblements de Terre, qui durèrent près de deux mois ; mais quand la catastrophe arriva, tout paraissait tranquille ; elle ne fut annoncée que par un horrible fracas souterrain, qui eut lieu au moment où le sol se souleva. Des milliers de petits cônes de 2 à 3 mètres de hauteur, et que les indigènes appellent fours (hornitos), sortirent sur tous les points ; enfin, le long d’une crevasse dirigée du nord-nord-est au sud-sud-ouest, il se forma subitement six grandes buttes, toutes élevées de 400 à 500 mètres au-dessus des plaines environnantes. Le plus grand de ces six monticules est un véritable volcan, le volcan de Jorullo, vomissant des laves basaltiques.

On voit que les phénomènes volcaniques les plus évidents, les mieux caractérisés, accompagnèrent la catastrophe de Jorullo ; qu’ils en ont été peut-être la cause ; mais tout cela n’empêche pas qu’une plaine étendue, ancienne, parfaitement consolidée, dans laquelle on cultivait la canne à sucre et l’indigo, n’ait été de nos jours, comme il fallait l’établir, subitement transportée fort au-dessus de son niveau primitif. La sortie des matières enflammées, la formation des hornitos et du volcan de Jorullo, loin d’avoir contribué à produire cet effet, ont dû au contraire l’amoindrir ; car toutes ces ouvertures agissant comme des soupapes de sûreté, auront permis à la cause soulevant de se dissiper, soit qu’elle fût un gaz ou une vapeur. Si le terrain avait mieux résisté ; s’il n’eût cédé en tant de points, la plaine de Jorullo, au lieu de devenir une simple colline de 160 mètres de hauteur, aurait peut-être acquis le relief de telle sommité voisine des Cordillères.

Les circonstances qui accompagnèrent la formation d’une île nouvelle, près de Santorin, dans l’archipel grec, en 1707, me semblent propres à prouver aussi que les feux souterrains ne contribuent pas seulement à élever les montagnes à l’aide des déjections fournies par les cratères des volcans, mais qu’ils soulèvent aussi quelquefois l’écorce déjà consolidée du globe. L’extrait que je vais donner ici des relations publiées dans le temps par Bourguignon et par le père Gorée, témoins l’un et l’autre de l’événement, ne me semblent susceptibles d’aucune objection.

Le 18 et le 22 mai 1707, on ressent de légères secousses de tremblement de terre à Santorin.

Le 23, au lever du Soleil, on aperçoit entre les deux îlots nommés le grand et le petit Rameni, un objet qu’on prend pour la carcasse d’un vaisseau naufragé. Des matelots se rendent sur les lieux, et au retour rapportent, au grand étonnement de toute la population, qu’un rocher est sorti des flots. Dans cette région, la mer avait auparavant de 130 à 160 mètres de profondeur.

Le 24, beaucoup de personnes visitent l’île nouvelle, y débarquent et ramassent sur sa surface de grandes huîtres qui n’avaient pas cessé d’adhérer au rocher. L’île montait à vue d’œil.

Depuis le 23 mai jusqu’au 13 ou 14 juin, l’île augmenta graduellement d’étendue et d’élévation, sans secousses et sans bruit. Le 13 juin, elle pouvait avoir 1 kilomètre de tour, et 7 à 8 mètres de hauteur. Jamais il n’en sortit ni flamme ni fumée.

Depuis le moment de la sortie de l’île, l’eau avait été trouble près de ses rives ; le 15 juin elle devint presque bouillante.

Le 16, dix-sept ou dix-huit roches noires sortent de la mer entre l’île nouvelle et le petit Kameni.

Le 17, ces roches ont considérablement augmenté de hauteur.

Le 18, il s’en élève de la fumée, et l’on entend pour la première fois de grands mugissements souterrains.

Le 19, toutes les roches noires sont unies et forment une île continue, mais totalement distincte de la première.

Il en sort des flammes, des colonnes de cendres et des pierres incandescentes. Ces phénomènes volcaniques duraient encore le 23 mai 1708. L’île Noire, un an après sa sortie, avait 9 kilomètres de tour, 1 850 mètres de large et plus de 60 mètres de hauteur.

On voit évidemment, dans cette relation, que la sortie et l’agrandissement de la première île n’ont été accompagnés d’aucun phénomène volcanique, et qu’on ne pourrait pas la considérer comme un produit de déjections. Aussi n’est-ce pas là l’idée à laquelle se sont arrêtés les géologues qui rejettent les soulèvements. Cette île, suivant eux, était une grande masse de pierres ponces détachées du fond de la mer par le tremblement de Terre arrivé la veille de sa première apparition. Mais, dans ce système, comment expliquerait-on l’immobilité de la masse flottante ? On ne peut pas supposer qu’elle touchait toujours le fond de la mer, car alors on reconnaîtrait l’existence d’un véritable soulèvement : or, si la masse flottait, il faut dire quand et de quelle manière elle se fixa, où elle prit son point d’appui, quelles furent les causes de l’agrandissement et de l’ascension graduelle dont les observateurs font mention, et qui en trois semaines transformèrent un simple rocher, à peine visible, en une île d’un kilomètre de tour. Tant qu’on n’aura pas répondu à toutes ces questions, la supposition d’un soulèvement du fond de la mer restera la seule explication plausible qu’on ait encore donnée des phénomènes dont fut accompagnées en 1707 l’apparition de la première île nouvelle de la nouvelle rade de Santorin.

Je passe à un troisième exemple.

Le 19 novembre 1822, à dix heures un quart du soir, les villes de Valparaiso, de Melipilla, de Quillota et de Casa-Blanca au Chili, furent détruites par un effroyable tremblement de Terre qui dura trois minutes. Les jours suivants, en parcourant la côte dans une étendue de plus de 30 lieues, divers observateurs reconnurent qu’elle s’était notablement élevée ; car sur un rivage où la marée ne monte jamais que de 1 à 2 mètres, tout soulèvement du sol est facile à constater.

Voici, au reste, quelques-unes des observations d’où l’on a déduit cette remarquable conséquence.

À Valparaiso, près de l’embouchure du Concon, et au nord de Quintero, on voyait dans la mer, près du rivage, des rochers qu’auparavant personne n’avait aperçus. Un vaisseau qui s’était brisé sur la côte, et dont les curieux allaient, à marée basse, examiner les restes en bateau, se trouvait, après le tremblement de terre, parfaitement à sec. En parcourant dans une grande étendue le rivage de la mer, près de Quintero, lord Cochrane et madame Maria Graham, trouvèrent que l’eau, même à marée haute, n’atteignait pas les roches sur lesquelles adhéraient encore des huîtres, des moules et d’autres coquillages dont les animaux, morts depuis peu, étaient en putréfaction. Enfin, les rives tout entières du lac de Quintero, qui communique avec la mer, avaient évidemment monté beaucoup au-dessus du niveau de l’eau, et dans cette localité le fait ne pouvait échapper aux observateurs les moins attentifs.

À Valparaiso, la contrée parut s’être élevée d’environ 1 mètre. Près de Quintero on trouva 1 mètre et un tiers.

On a prétendu qu’à deux kilomètres environ de distance dans l’intérieur le soulèvement avait été de plus de 2 mètres ; mais je ne connais pas le détail des mesures qui conduisirent à ce dernier résultat.

Ici, comme on voit, il n’y a point eu d’éruption volcanique, de laves répandues, de pierres et de cendres lancées dans l’atmosphère, et à moins qu’on ne veuille soutenir que le niveau de l’Océan a baissé, il faudra admettre que le tremblement de Terre du 19 novembre 1822 a soulevé tout le Chili. Or, cette dernière conséquence est inévitable ; car un changement dans le niveau de l’eau se serait manifesté au même degré sur toute l’étendue de la côte d’Amérique, tandis que rien de semblable n’a été observé dans les ports du Pérou, tels que Payta et le Callao.

En juin 1819, pendant un violent tremblement de terre, le Delta de l’Indus éprouva des bouleversements dont le lieutenant Burnes a fait connaître quelques circonstances fort remarquables.

Autour de Sindrée, une étendue de terrain plus vaste que le lac de Genève, s’affaissa et fut envahie par la mer. Ce mouvement descendant ne démolit pas le petit fort de Sindrée. Ses quatre tours restèrent debout, et, le lendemain de l’événement, la garnison, qui s’était retirée dans l’une d’elles, se sauva en bateau.

Pendant que le terrain s’affaissait près de Sindrée, à 2 lieues de ce village, dans une plaine basse et parfaitement de niveau, il se formait de l’est à l’ouest et sur une étendue de plus de 16 lieues, une protubérance que les habitants appelèrent Ullah bund ou Levée de Dieu. Cette traînée de soulèvement semble être, à l’œil, presque uniforme. Sa largeur, du nord au sud, est, en quelques points, de plus de 5 lieues, et sa hauteur audessus du niveau primitif du Delta, surpasse 3 mètres.

Après la convulsion de 1819, le cours de l’Indus fut très-variable. En 1826, le fleuve sortit de son lit, et se frayant un passage plus direct vers la mer, il fit une coupure dans le Ullah bund. Les flancs mis à jour de la percée, montrèrent que les couches soulevées consistaient en lits d’une argile remplie de coquillages. Ainsi le soulèvement s’était opéré sans aucune déjection volcanique.

Nous allons citer un cinquième exemple, extrêmement remarquable, d’un soulèvement de terrain ; il s’agit de l’apparition éphémère d’une île dans la mer de Sicile, entre les côtes calcaires de Sciacca et l’île volcanique de Pantellaria. Cette île nommée tour à tour Ferdinandea, Hotham, Graham, Nerita et Julia, devint visible du 28 juin 1831 au 8 juillet suivant : l’incertitude n’est pas plus grande. En effet, à la première de ces dates, le capitaine anglais Swinburne traversait, de jour, la place comprise entre Sciacca, sur la côte de Sicile, et l’île Pantellaria, où le nouvel îlot a surgi, et cela sans rien apercevoir d’extraordinaire ; le 8 juillet, au contraire, le capitaine napolitain Jean Corrao voyait des traces manifestes de l’éruption.

M. Constant Prévost, dans son voyage entrepris en 1831, par ordre de l’Académie des sciences à l’île Julia, à Malte, en Sicile, aux îles Lipari et dans les environs de Naples, recueillit une circonstance de la formation de l’île très-importante ; le prince Pignatelli lui assura que dès les premiers jours de l’apparition, le 10 et le 11 juillet, par exemple, la colonne qui s’élevait du centre de l’île, brillait la nuit d’une lumière continue et très-vive ; le prince comparait ce phénomène au bouquet de nos feux d’artifice.

Au commencement d’août, cette même colonne de poussière répandait encore une lumière, sinon aussi forte que le disait le prince Pignatelli, du moins bien visible. Nous avons pour garants de ce fait, le capitaine Irton et le docteur John Davy. Le 5 août, il est vrai, Davy s’étant trouvé, à quelque distance de l’île, dans une région où la poussière impalpable entraînée par les vents tombait en abondance, reconnut en la recevant sur sa main qu’elle n’était pas chaude ; mais il suffira de se rappeler avec quelle rapidité les corps très-ténus, très-minces, des fils métalliques incandescents, par exemple, prennent la température de l’air, pour n’être point tenté de déduire de la remarque de Davy la conséquence que toutes les déjections terreuses du cratère, que celles-là même, qui en retombant verticalement, ajoutaient sans cesse à la masse visible de l’îlot, étaient froides. Et d’ailleurs, pendant deux mois entiers on pouvait à peine cheminer sur l’îlot, tant les scories et les sables qui la formaient étaient chauds.

Si la partie immergée du nouvel îlot avait été engendrée par la superposition de matières incandescentes ou du moins de matières très-chaudes, comme le fut la partie extérieure, elle n’aurait pas manqué d’échauffer la mer jusqu’à une certaine distance ; ainsi, en approchant de l’îlot, un thermomètre plongé dans l’eau de mer, aurait monté graduellement. C’est précisément l’inverse qui eut lieu : la diminution de température observée par Davy, le 5 août, en marchant vers l’îlot fut de 5°,6 centigrades.

John Davy, frappé de cette grande diminution, crut devoir l’attribuer à la poussière flottante dont la mer était couverte le 5 août. Suivant lui, la poussière projetée en colonne verticale par le cratère devait avoir, en tombant sur l’eau, la basse température qu’elle avait été puiser dans les couches atmosphériques élevées. Cette explication semble prêter à deux objections sérieuses : on ne voit pas d’abord pourquoi chaque parcelle de poussière n’aurait pas repris, en traversant les couches atmosphériques de haut en bas, toute la chaleur qu’elle y aurait laissée en montant ; il faut remarquer ensuite que la hauteur totale de la colonne n’était pas de 122 mètres, ce qui, d’après la loi du décroissement de la température atmosphérique que nous déterminerons en traitant des climats, ne correspondrait guère qu’à deux tiers de degré centigrade.

Les 5°,6 de refroidissement observés par Davy, surpassent de beaucoup tout ce qu’on a trouvé jusqu’ici en approchant des îles ou des hauts-fonds de la Méditerranée, et même des îles ou des hauts-fonds de l’Océan. Il ne suffit donc pas d’avoir éliminé l’hypothèse qui eût entraîné une augmentation de température : il reste à expliquer comment l’influence frigorifique de l’îlot a été aussi grande.

Eh bien, on n’a qu’à supposer que l’île se forma d’abord par voie de soulèvement ; que les flancs de sa partie immergée étaient le fond de la mer relevée ; qu’ils se composaient d’une matière rocheuse refroidie depuis des siècles, et l’anomalie n’existera plus.

Voici quelques résultats tirés du journal de M. le capitaine Lapierre, commandant du brick de l’État, la Flèche, envoyé sur les lieux par le ministre de la marine, qui corroborent les observations précédentes.

À la fin de septembre 1831, sur le rivage même de l’île Julia, la surface de la mer était à une température de 23° ; à 1m,60 on trouva aussi 23° ; à 16m, il n’y avait alors que 21°,5 ; à 48m, le thermomètre descendit à 19°,8.

D’autres considérations démontrent encore que, dans sa partie immergée du moins, l’île Julia fut le résultat du soulèvement du fond solide et rocheux de la mer.

En parcourant le journal nautique de M. Lapierre, j’y ai trouvé un grand nombre d’observations de sondages, faits le 29 septembre 1831, tout autour de l’île nouvelle. D’après ces observations, j’ai pu calculer l’inclinaison moyenne, par rapport à l’horizon, de la portion immergée de l’île comprise entre le rivage et le point correspondant où la sonde s’était arrêtée. Voici le tableau de ces résultats et des inclinaisons calculées :

Distances
de la ligne de sonde
au rivage.
Profondeurs. Inclinaisons
calculées.
mètres. mètres.
80
au nord 
84 47°,2
40
au nord-est 
75 62  ,5
60
à l’est 
84 55  ,3
60
au sud-sud-est 
81 54  ,2
60
au sud-sud-ouest 
81 54  ,2
60
à l’ouest 
68 49  ,3
60
au nord-ouest 
73 51  ,3

D’autres observations et d’autres calculs donnent pour les flancs immergés de l’île nouvelle des pentes qui diminuent rapidement à mesure qu’on s’éloigne du rivage. Je laisse à ceux qui ont étudié le plus attentivement la configuration du globe, à décider si des terrains meubles inconsistants, battus sans cesse par les flots de la mer ; si des cendres et de petites pierres, en supposant que l’île Julia en eût été formée, auraient pu se maintenir des mois entiers sous des inclinaisons aussi considérables.

Quelques nombres mettront, au surplus, tout le monde en état de bien apprécier les remarques qu’on vient de lire. L’inclinaison par rapport à une ligne horizontale des parois du cône du Vésuve, d’après M. Élie de Beaumont, est de 33° ; celle des parois du cône supérieur de l’Etna de 32 à 33°. Sur la même montagne, l’inclinaison des talus les plus rapides de scories est de 37°. Le talus suivant lequel se disposent le sable fin bien sec et le grès pulvérisé, forme avec la ligne horizontale, d’après l’architecte Rondelet, un angle de 34°,5. Pour la terre ordinaire bien sèche et bien pulvérisée, l’angle du talus naturel, suivant le même architecte, est de 46°,8 ; en humectant la terre, il trouva, pour la moyenne de différentes expériences, 50°.

J’ajouterai enfin que d’ailleurs les cendres et les scories incohérentes furent balayées par la mer ; au mois de décembre 1831, il ne restait plus à la place de l’île Julia qu’un banc couvert de 3 mètres d’eau ; on n’y observe rien de volcanique ; c’est le fond rocheux de la mer qui s’est simplement soulevé.

Je viens de rappeler des observations qui montrent qu’en peu d’heures de vastes étendues de terrain sont sorties de leur niveau primitif ; je vais compléter le tableau en citant, en Europe même, un grand pays, la Suède et la Norvége, dont le sol s’élève aussi, mais graduellement, au-dessus de la mer.

Il existe, dans le nord de la mer Baltique, ou dans le golfe de Bothnie, sur des rochers dont la mer vient encore baigner le pied, des marques invariables, qu’on observe de temps en temps et qui montrent que, relativement à ces marques, le niveau des eaux s’abaisse graduellement.

Pour expliquer ce phénomène, il faut ou que les rochers montent avec tout le terrain dont elles font partie, ou que le niveau de la mer descende. Cette dernière hypothèse n’est pas admissible, car alors l’abaissement serait aussi sensible dans le nord de l’Allemagne qu’en Suède, résultat contredit par les observations. Le sol de la Scandinavie monte donc !

Quelle est la valeur séculaire de ce mouvement ? Est-il uniforme, croissant ou décroissant ? Les circonstances climatologiques en modifient-elles la valeur ? ou cesse-t-il d’être sensible ? Toutes ces questions sont loin d’être parfaitement résolues.

La mer Baltique n’est pas sujette au flux et au reflux de l’Océan. Cependant, son niveau peut varier de quelques mètres, suivant que les vents viennent à souffler dans telle ou telle direction, suivant que ces vents font entrer ou sortir d’immenses fleuves d’eau par le Sund. Or, rien ne prouve qu’aux instants où l’on traça jadis sur les rochers les marques qui aujourd’hui servent de repères, la mer était exactement dans son état moyen. On ne doit donc pas s’attendre à trouver entre les résultats une conformité que les points de départ ne comportent pas ; mais il serait également déraisonnable de vouloir attribuer à cette seule circonstance la totalité des élévations de terrains observées : il faudrait, en effet, que, dans une multitude de lieux, à différentes époques, et sans aucun dessein prémédité, on eût précisément choisi pour placer les marques, le moment où la Baltique était gonflée par l’action d’un vent fort. Voici, au surplus, quelques résultats précis tirés d’un mémoire de M. Hallstrom.

Noms
des
endroits.
Dates du signe
de départ.
Noms des observateurs.
Dates du signe
comparé.
Noms des observateurs.
Ascension
séculaire
du sol.
Raholman. 1700. Dawison. 1750. Hellant 1m.22
1775. Zeelberg. 0 ,98
Stor-Rebben. 1751. Hellant. 1785. Schulten. 1 ,48
1796. Hjort. 1 ,25
Ratan (64° de latit.). 1749. Chydénius. 1785. Schulten. 1 ,39
1785. Wallman. 1 ,60
1819. Hallstrom. 1 ,04
1774. Hellant. 1785. Schulten. 1 ,48
1795. Wallman. 1 ,63
1819. Hallstrom. 1 ,07
Ronnskar. 1755. Klingius. 1797. Hallstrom. 1 ,19
1821. Brodd. 1 ,21
Wargon. 1785. Schulten. 1 ,42
1797. Hallstrom. 1 ,19
1821. Brodd. 1 ,28
Lofgrandet (61° 45′
de latitude).
1731. Rudman. 1785. Schulten. 1 ,60
1796. Robson, 0 ,98

L’abaissement séculaire de la mer, ou plutôt l’élévation séculaire moyenne du terrain, sur la rive occidentale du golfe de Bothnie, est donc de 1m,31.

Ce singulier phénomène paraît diminuer sous la latitude. À Calmar, dans l’île Skallon, le mouvement séculaire n’est guère que de 0m,24. On n’en trouve plus aucune trace, ni sur les côtes des provinces de Halland et de Scanie, ni plus vers l’Ouest, dans le Kattégat,

Je vais maintenant citer un exemple de terrains qui paraissent avoir monté et baissé à plusieurs reprises.

Je puiserai cet exemple dans les recherches de M. Capocci, directeur de l’Observatoire de Naples, sur le phénomène connu de l’érosion des colonnes du temple de Sérapis à Pouzzoles.

D’après des documents dépouillés par M. Niccolini, il est établi qu’à l’époque antérieure à l’ère vulgaire où l’on construisit, dans le temple de Sérapis, le pavé en mosaïque découvert sous un pavé plus récent de marbre, le niveau de la mer, dans ces parages, comparé à celui du continent, était plus bas qu’aujourd’hui de 4 mètres. Dans les premiers siècles de l’ère vulgaire, à l’époque où l’on reconstruisit les Thermes et le nouveau pavé, le niveau de la mer était de 3m,9 au-dessus du niveau actuel. Au moyen âge, le niveau des eaux était d’environ 5m,7 au dessus du niveau actuel. Au commencement de ce siècle, la mer était plus basse que maintenant, de 65 centimètres.

Les récits de plusieurs témoins oculaires de la terrible éruption qui, en 1538, fit naître près du lac Lucrin une montagne nouvelle, le fameux Monte-Nuovo, viennent à l’appui de l’opinion qui attribue ces mouvements au sol et non à la mer. Le Porzio, le Toledo, le Borgia, le second des Falconi, s’accordent à dire que la mer se retira du rivage dans un espace de deux cents pas. Loffredo écrivait, en 1580, que cinquante ans avant cette époque on péchait là où se voyaient de son temps des ruines antiques, entre Pouzzoles et le lac Lucrin. Or, comment la mer pourrait-elle se retirer en s’abaissant ainsi d’une manière permanente en un point d’un golfe, sans s’abaisser et se retirer en même temps dans les points voisins ? Et cependant elle ne se retira certainement ni à Naples, ni à Castellamare, ni à Ischia. Ce fut donc, en 1538, le rivage qui, dans une seule localité, se souleva et se trouva à sec. Le temple de Sérapis, avant cette époque, était, comme Pompéi, enterré jusqu’à une certaine hauteur, ce qui a empêché les trois colonnes restées debout d’être perforées à leur partie inférieure par la mer qui était venue les battre.

Voici, du reste, les propres paroles du Porzio, esprit rare, d’un savoir profond, et qualifié par ses contemporains de prince des philosophes de son temps : « Cette région fut agitée pendant près de deux ans par de violents tremblements de terre, au point qu’il n’y resta aucune maison intacte, aucun édifice qui ne fût menacé d’une ruine prochaine et inévitable. Mais le cinquième et le quatrième jour avant les calendes d’octobre, la terre trembla sans relâche, nuit et jour ; la mer se retira d’environ deux cents pas ; sur la plage à sec, les habitants prirent une multitude de poissons, et remarquèrent des eaux douces jaillissantes. Enfin, le troisième jour, une grande portion de terrain, entre le pied du Monte-Barbaro et la mer près de l’Averne, parut se soulever et prendre la forme d’une montagne naissante. Le même jour, à la seconde heure de la nuit, ce terrain soulevé se transformant en cratère, vomit avec de grandes convulsions des torrents de feu, des scories, des pierres et des cendres. »

Ces paroles semblent ne laisser aucun doute sur le mouvement du sol, à moins que l’on ne veuille soutenir la subtile explication donnée par l’auteur même que je viens de citer. Voici ce second passage : « La mer se retira d’abord, uniquement, sans doute, parce que les exhalaisons cherchant une issue, écartèrent les parties du sol, et que la Terre, comme altérée, absorba l’eau par les petites fentes ; d’où il résulte que cette portion de terrain, jusqu’alors baignée par la mer, demeura à sec, et que le rivage s’éleva par l’accumulation des cendres et des pierres. » Mais à côté du soulèvement visible d’une partie du terrain « magnus terrœ tractus… sese érigere videbalur » pourquoi chercher une explication compliquée et difficile où l’on ne voit pas bien comment l’eau qui devait sans cesse affluer pour s’engloutir dans des crevasses, laissait les cendres et les pierres s’accumuler pour élever le rivage ?

Et cette élévation ne fut pas peu considérable ; car le sol, d’après les auteurs cités plus haut, avait dû, antérieurement à 1538, s’être abaissé jusqu’à 5m,7 environ au-dessous de la hauteur actuelle ; au commencement du xixe siècle, il était au-dessus de cette hauteur actuelle de 0m,65. L’exhaussement total, en 1538, n’a donc pu être de moins de 6m,3, limite qu’il a probablement dépassée, puisque le mouvement descendant que l’on remarque aujourd’hui n’a pas dû commencer seulement avec ces dernières années.

En cherchant dans quelle étendue de la côte le terrain a changé de niveau, M. Capocci a trouvé que le soulèvement a dû s’étendre depuis le lieu où les bains antiques d’eau minérale ont été rétablis, jusqu’aux Étuves de Néron. Plus au levant que les bains près de Nisita, et plus au couchant que les Étuves, près de Baïa, le terrain semble avoir conservé son niveau, si même il n’est pas un peu abaissé.

En effet, de part et d’autre de ces limites, on a trouvé des points où l’eau s’élève au-dessus des ruines d’édifices antiques, particulièrement à Baïa, près du temple de Vénus. Il y a bien aussi à Pouzzoles quelques constructions submergées ; mais ce n’est là qu’une exception ; ailleurs c’est le cas général. On n’observe plus sur le rivage, à quelque distance du bord, aucune trace du séjour de l’eau, comme on en remarque dans l’espace intermédiaire, principalement de Pouzzoles au lac Lucrin. Dans cet espace intermédiaire, et précisément à deux cents pas environ du bord de la mer, le terrain présente, tout le long de la route tracée postérieurement à 1538, une espèce de ressaut contre lequel il semble que les eaux devaient venir battre autrefois. Ce ressaut, qui ne se lie par aucune dégradation au rivage actuel, indique donc un changement brusque et non un déplacement graduel dans le contour de la mer.

Le phénomène sur lequel nous venons d’insister intéresse à un haut degré la physique du globe ; on devrait en poursuivre l’examen avec soin et persévérance. Des nivellements annuels combinés avec des observations thermométriques faites à de grandes profondeurs, montreraient ce qu’il faut penser d’une idée ingénieuse de M. Babbage, d’après laquelle les variations du niveau du sol observées en tant de lieux, tiendraient à de notables changements locaux de température dans les couches terrestres profondes. M. Babbage trouve qu’un changement de 50 degrés centigrades qui affecterait une profondeur de deux lieues, engendrerait à la surface un mouvement de sept mètres.