Astronomie populaire (Arago)/XVII/37

GIDE et J. BAUDRY (Tome 2p. 475-480).

CHAPITRE XXXVII

la terre pourra-t-elle jamais devenir le satellite d’une comète, et, dans le cas de l’affirmative, quel serait le sort de ses habitants ?


Si une grosse comète venait à passer fort près de nous, elle pourrait d’abord, sans aucun doute, altérer l’ellipse que la Terre décrit annuellement autour du Soleil.

Donnons à cette comète une masse considérable ; diminuons beaucoup la distance qui nous en sépare, et la Terre, enlevée à l’action solaire, verra son orbite, totalement changée, se courber vers le nouveau centre d’attraction, circuler autour de lui, ne plus s’en détacher, devenir, en un mot, son satellite.

La transformation de la Terre en satellite de comète est donc un événement qui ne sort pas du cercle des possibilités ; mais il est très-peu probable, soit à cause de la grande masse que la comète conquérante, comme l’appelait Lambert, devrait avoir pour entraîner ainsi la Terre à sa suite, soit parce qu’un dérangement pareil suppose que les deux corps se seraient rapprochés extrêmement.

La Terre, dans sa course annuelle, est presque toujours également éloignée du Soleil. Supposons qu’elle devienne le satellite d’une comète. Alors, ont dit presque tous les cosmologues, elle éprouvera les extrêmes du froid et du chaud. Les matières qui la composent se vitrifieront, se vaporiseront, se gèleront tour à tour. Elle deviendra inhabitable ; les hommes, les animaux, toutes les espèces végétales connues, seront certainement anéantis ! Voyons, en passant aux chiffres, s’il n’y aurait pas quelque chose à rabattre de ces effrayantes prédictions.

Supposons d’abord notre Terre entraînée par la comète périodique de Halley. Au moment du passage au périhélie notre distance au Soleil, que je puis supposer égale à celle de la comète, ne surpassera guère que de l/8e la moitié de la distance actuelle. À l’aphélie, nous serons près de 2 fois plus éloignés de cet astre qu’Uranus, ou 36 fois plus que dans notre situation présente. La durée de l’année se trouvera égale, comme de raison, au temps qu’emploie la comète à parcourir tout le contour de son orbite elliptique. Elle sera donc 75 fois plus longue qu’aujourd’hui. Dans cette durée de 75 périodes égales à nos années actuelles qu’embrassera la nouvelle année de la Terre, il y en aura cinq de dépensées à parcourir la portion de courbe comprise dans l’orbite de Saturne. Regardons ces cinq années comme correspondant à l’été et aux saisons tempérées ; il en restera encore 70, qui appartiendront tout entières à l’hiver.

Dans le moment du passage de la comète au périhélie, la Terre, son satellite, recevra du Soleil une quantité de rayons trois fois supérieure à celle qu’elle en recueille à présent. À son aphélie, 38 ans après, cette même quantité de rayons sera douze cents fois plus petite qu’elle ne l’est aujourd’hui.

Au lieu de rechercher à quelles inégalités de température ces nombres peuvent correspondre, occupons nous, sous le même point de vue, de la comète de 1680, qui nous présentera de bien plus grandes différences.

Nous avons déjà dit qu’on a admis que cette comète fait sa révolution entière en 575 ans (chap. xvii, et chap. xxxiii). Donc, d’après les lois de Kepler, le grand axe de l’ellipse qu’elle parcourt doit être 138 fois plus grand que la distance moyenne de la Terre au Soleil, ou, si l’on veut, plus exactement, en représentant cette distance par 1 000, l’ellipse aura un grand axe de 138 296, avec une distance périhélie de 6 seulement.

La comète arriva à son périhélie le 17 décembre 1680. On sait que la chaleur communiquée par le Soleil varie comme la densité de ses rayons ; que cette densité diminue quand la distance s’accroît, non pas proportionnellement à la simple distance, mais proportionnellement à son carré. Nous déduirons de là que, le 17 décembre, l’action calorifique du Soleil sur la comète était, pour des surfaces d’égale étendue, à l’action calorifique que le même astre exerce sur la Terre en été, comme le carré de 1 000 est au carré de 6, c’est-à-dire comme 1 000 000 est à 36, ou, ce qui est presque la même chose, comme 28 000 est à 1. Newton portait, d’après ces nombres, la chaleur acquise par la comète à 2 000 fois celle d’un fer rouge.

Ce dernier résultat se fonde sur des données inexactes. Le problème était d’ailleurs beaucoup plus compliqué que Newton ne le supposait, et qu’on ne devait le croire à l’époque de la publication des Principes de la Philosophie naturelle. On sait en effet, aujourd’hui, que pour assigner la température qu’une quantité déterminée de chaleur pourrait communiquer à un corps planétaire, il serait indispensable de connaître l’état de la superficie de ce corps et de son atmosphère ; or, que sait-on, sous ce rapport, de la comète de 1680 ? Je dis plus : transportons notre globe lui-même, avec ses mers et ses continents tant étudiés, à la place que la comète occupait le 17 décembre, et le problème n’en sera pas moins insoluble. D’abord, la Terre éprouvera sans doute, dans son enveloppe solide, une chaleur 28 000 fois plus forte que celle de l’été ; mais bientôt toutes les mers se changeront en vapeurs, et l’épaisse couche de nuages qui en résultera la mettra peut-être à l’abri de la conflagration qu’on pouvait redouter au premier coup d’œil. Ainsi, il est certain que le voisinage du Soleil amènera une grande augmentation de température sans qu’on puisse, par la nature des choses, en assigner numériquement la valeur.

Considérons maintenant l’astre dans le point opposé de son orbite. Les distances qui séparent le Soleil de la Terre, dans sa position présente, et de la comète dans son aphélie, sont dans le rapport de 138 à 1. Le carré du premier de ces deux nombres étant à peu près 19 000 fois plus grand que le carré du second, il en résulte que, placée à la suite de la comète de 1680, la Terre à l’aphélie serait 19 000 fois moins échauffée qu’elle ne l’est en été. Si nous admettons, avec Bouguer, que la lumière solaire soit 300 000 fois plus vive que celle de la Lune, nous trouverons enfin, qu’à son aphélie, que 287 ans 1/2 après avoir éprouvé dans le point opposé de l’orbite une chaleur évaluée par Newton à 2 000 fois celle d’un fer rouge, la comète de 1680 et la Terre, dont nous la supposons accompagnée, recevraient une lumière 16 fois plus forte, seulement, que celle de la pleine Lune. Cette lumière, concentrée au foyer des plus larges lentilles, ne produirait certainement aucun effet sensible, même sur un thermomètre à air. La température de notre globe se trouverait ainsi dépendre uniquement de la chaleur, non encore dissipée, dont il se serait imbibé près du périhélie, et de la chaleur propre à la région de l’espace que l’aphélie occupe,

Fourier a établi, par des considérations ingénieuses, que la température générale de l’espace n’est pas aussi faible qu’on l’avait imaginé. Il la croit peu inférieure à celle des pôles terrestres ; il la fixe à 50° au-dessous de zéro du thermomètre centigrade. Ce degré de froid, on le ressentirait si le Soleil venait subitement à s’éteindre, tout aussi bien dans la région où Mercure, Vénus, la Terre exécutent leurs mouvements, que dans celle que sillonne Uranus, que dans des régions 100 fois, 1 000 fois plus éloignées encore. En entraînant la Terre jusqu’à son aphélie, la comète de 1680 l’exposerait donc, ni plus ni moins, comme elle l’est aujourd’hui sur tous les points de sa course annuelle, à un froid de 50°. Nous venons de trouver qu’à cet aphélie, le Soleil ne produit aucun effet calorique sensible. Ainsi, pour atténuer le froid de 50°, on ne devrait compter que sur la chaleur propre du globe et sur la partie de sa température qui, acquise au périhélie, n’aurait pas eu encore le temps de se perdre.

Newton portait à 50 000 ans le temps qui serait nécessaire pour que la chaleur 2 000 fois supérieure à celle du fer rouge acquise par la comète à son périhélie, fut entièrement dissipée. J’ai déjà indiqué les motifs qui ne permettent pas d’adopter cette évaluation de 2 000 fois la chaleur d’un fer rouge. Celle de 50 000 ans ne prêterait pas à des objections moins solides. Avec tout ce que nous savons aujourd’hui des propriétés du calorique, on aurait, en effet, beaucoup de peine à comprendre qu’un corps planétaire dût employer 50 000 années à perdre ce qu’il aurait acquis dans un court intervalle de temps. Au surplus, afin de mettre tout au pis, supposons la perte complète ; supposons qu’à l’aphélie toute la chaleur du périhélie se soit déjà dissipée. La comète et la Terre n’en éprouveront pas pour cela un de ces froids qui effraient l’imagination. Elles seront à la température de l’espace environnant. Un thermomètre placé à leurs surfaces y marquera 50° au-dessous de zéro ; car, à moins de changements physiques dont nous faisons ici complétement abstraction, un corps ne peut jamais devenir plus froid que l’espace qui l’environne, et avec lequel il est en communication continuelle par voie de rayonnement.

En 1820, le capitaine Franklin et ses compagnons de voyage, endurèrent, au Fort-Entreprise, des froids de 49°,7 centigrades au-dessous de zéro. La température moyenne du mois de décembre y fut de -35°. D’une autre part, les personnes qui voudront bien se reporter à la Notice que j’ai consacrée aux températures des différentes espèces d’animaux, verront qu’il est démontré par l’expérience que sous certaines circonstances hygrométriques, l’homme peut supporter une chaleur de 130° centigrades, une chaleur de 30° supérieure à celle de l’ébullition de l’eau. Ainsi, rien n’établit que si la Terre devenait un satellite de la comète de 1680, l’espèce humaine disparaîtrait par des influences thermométriques.