Astronomie populaire (Arago)/XVII/06

GIDE et J. BAUDRY (Tome 2p. 278-287).

CHAPITRE VI

orbite de la comète de 1759 ou de halley


Une comète s’étant montrée en 1682, Halley, à l’aide de la méthode donnée par Newton, en détermina les éléments paraboliques d’après les observations de La Hire, Picard, Hévélius et Flamsteed. Voici les résultats obtenus par Halley :

Inclinaison. Longitude
du nœud.
Longitude
du périhélie.
Distance
périhélie.
Sens du
mouvement.
17° 42′ 50° 48′ 301° 36′ 0,58 rétrograde.

Les mêmes méthodes de calcul, appliquées aux observations d’une comète de 1607, faites par Kepler et Longomontanus, donnèrent :

Inclinaison. Longitude
du nœud.
Longitude
du périhélie.
Distance
périhélie.
Sens du
mouvement.
17° 2′ 50° 21′ 302° 16′ 0,58 rétrograde.

De 1607 à 1682, il y a 75 ans. Ainsi, en remontant, à partir de 1607, de 74, de 75 ou de 76 ans (je dis l’un ou l’autre de ces nombres, car les perturbations peuvent tout aussi bien altérer la durée de la révolution d’un astre que la position de son orbite), on devait trouver, si la conjecture de Halley était réelle, une comète semblable à celle de 1607.

Eh bien, en 1531, c’est-à-dire 76 ans avant 1607, Apian aperçut, à Ingolstadt, une comète dont il suivit attentivement la marche à travers les constellations. Les observations d’Apian, calculées par Halley, donnèrent les éléments suivants :

Inclinaison. Longitude
du nœud.
Longitude
du périhélie.
Distance
périhélie.
Sens du
mouvement.
17° 56’ 49° 25’ 301° 39’ 0,57 rétrograde.

Ces éléments, comme on voit, sont très-peu différents de ceux de 1607 et de 1682.

L’identité de ces trois astres paraissait, dès lors, évidente. Aussi Halley se hasarda-t-il à prédire qu’une comète se montrerait de nouveau vers la fin de 1758 ou au commencement de 1759, et cela avec des éléments paraboliques peu différents de ceux que je viens de rapporter.

Cette prédiction, en se vérifiant, devait amener une ère nouvelle dans l’astronomie cométaire. Afin de convaincre les plus incrédules, on pensa qu’il serait utile de faire disparaître, quant à la date du retour, le vague dans lequel Halley s’était légitimement renfermé, car, de son temps, il eût été impossible de déterminer avec exactitude la valeur des perturbations. C’est ce problème, si difficile, que notre compatriote Clairaut résolut. Il trouva qu’à raison du ralentissement que l’attraction des planètes apporterait dans sa marche, la comète emploierait à revenir an périhélie 618 jours de plus que dans la révolution précédente, savoir : 100 jours par l’effet de Saturne et 518 jours par l’action de Jupiter. Le passage devait ainsi correspondre au milieu d’avril 1759. Clairaut avertit toutefois que, pressé par le temps, il avait négligé dans son calcul de petits termes qui, accumulés, pourraient s’élever, en plus ou en moins, à 30 jours sur les 76 ans. L’événement justifia toutes ces annonces, car la comète se montra dans les constellations indiquées d’avance, car elle passa au périhélie le 12 mars 1759, c’est-à-dire dans les limites assignées, car les éléments paraboliques, un peu altérés depuis la précédente apparition, furent tels que les calculs de Clairaut les avaient donnés. Ces éléments de 1759, les voici :

Inclinaison. Longitude
du nœud.
Longitude
du périhélie.
Distance
périhélie.
Sens du
mouvement.
17° 37′ 53° 50′ 303° 10′ 0,58 rétrograde.

Aucun doute n’étant plus permis sur la périodicité de la comète de 1759, il a fallu calculer la date de son retour en 1835. Damoiseau, notre compatriote, membre du Bureau des Longitudes, n’a pas reculé devant cet immense travail. Il a poussé les approximations beaucoup plus loin que son devancier ; en outre, il a tenu compte et de l’action troublante de la planète Uranus, dont l’existence n’était pas connue du temps de Clairaut, et de celle de la Terre. Son résultat définitif était que la comète, en 1835, devait passer au périhélie le 4 novembre.

Un autre astronome, M. de Pontécoulant, ayant fait de son côté les mêmes laborieux calculs, avait fixé, dans un premier travail, le moment du passage au 7 novembre. Un calcul plus complet de l’action de la Terre et surtout la substitution d’un nombre plus exact pour la masse de Jupiter, amenèrent M. de Pontécoulant à ajouter 6 jours entiers à l’ancienne détermination : le passage au périhélie ne devait plus arriver que le 13 novembre. Ces légères différences de quelques jours, sur plus de 76 ans et demi, s’expliquent très-facilement quand on sait, comme nous le montrerons plus tard, l’influence des masses des planètes perturbatrices sur les mouvements des comètes.

Les éléments paraboliques de l’orbite de Halley, tels que je les ai publiés dans l’Annuaire du Bureau des Longitudes pour 1832, avaient été calculés devoir être

Inclinaison. Longitude
du nœud.
Longitude
du périhélie.
Distance
périhélie.
Sens du
mouvement.
17° 44′ 55° 30′ 304° 32′ 0,58 rétrograde.

Dans l’Annuaire du Bureau des Longitudes publié en 1834, j’avais en outre indiqué la route que suivrait la comète ; je reproduis ces indications pour montrer comment on peut d’une manière commode assigner à l’avance la place vers laquelle on devra plus tard rechercher un astre dans le ciel étoilé ; j’avais dit que la comète se trouverait :

Le 20 août 1835 
près de ζ du Taureau,
Le 28    —    
entre les Gémeaux et le Cocher,
Le 21 septembre 
dans le Cocher,
Le 3 octobre 
dans le Lynx,
Le 6 octobre 1835 
dans la Grande Ourse,
Le 11    —    
    idem.
Le 12    —    
dans le Bouvier,
Le 13    —    
dans la Couronne,
Le 15    —    
entre Hercule et le Serpentaire.
Le 19    —    
dans Ophiuchus,
Le 31    —    
    idem.
Le 16 novembre 
près de η d’Ophiuchus,
Le 26 décembre 
dans le Scorpion, près d’Antarès.

Voyons maintenant jusqu’à quel point l’événement a justifié les prévisions des astronomes.

Personne n’avait eu la hardiesse d’annoncer quel jour la comète redeviendrait visible en 1835. L’état du ciel, l’intensité de la lumière crépusculaire, la force des instruments, la bonté de la vue des observateurs, la possibilité que l’astre eût disséminé une portion sensible de sa substance le long de l’orbe immense qu’il avait dû parcourir depuis 1759, étaient autant d’éléments inappréciables qui commandaient la plus grande réserve. On s’était borné à dire qu’il faudrait commencer les recherches vers les premiers jours d’août.

Eh bien, c’est le 5 de ce mois que, sous le beau ciel de Rome, MM. Dumouchel et Vico aperçurent les premiers la comète de Halley. Elle était alors d’une faiblesse extrême.

Si l’on n’avait pas cru devoir dire quand la comète deviendrait visible, sa position par rapport aux étoiles était au contraire marquée, jour par jour, dans les éphémérides et dans diverses cartes. Or, c’est en dirigeant leur lunette vers le point du ciel où les calculs plaçaient la comète le 5 août, que les astronomes de Rome la découvrirent.

Cet accord eût été jadis considéré comme une merveille. Aujourd’hui on a le droit de se montrer plus exigeant. Les lunettes, celles-là même qui sont armées de très-forts grossissements, embrassent dans le ciel un espace circulaire qu’on appelle le champ (liv. iii, ch. xvii) et qui a une étendue sensible. De la première observation de Rome, telle que je l’ai rapportée, on pouvait donc seulement conclure que la comète suivait à peu de distance la route qui lui avait été assignée ; mais tout le monde le devine sans doute, les astronomes n’en sont pas restés là ; en calculant les éléments paraboliques du nouvel astre d’après les premières observations qu’on en a faites, et les comparant à ceux de 1759, ils ont obtenu une vérification semblable à celles que Halley employa jadis, et dont le lecteur sentira toute la portée, s’il prend la peine de mettre les nombres ci-après à côté de ceux qu’il a trouvés plus haut ; ces nombres sont les éléments paraboliques de la comète de 1835, déduits des premières observations d’août et de septembre :

Inclinaison. Longitude
du nœud.
Longitude
du périhélie.
Distance
périhélie.
Sens du
mouvement.
17° 47′ 55° 6′ 304° 30′ 0,58 rétrograde.

Aux yeux du public, la véritable pierre de touche des théories astronomiques, réside dans le calcul du retour des comètes, c’est-à-dire dans la détermination du temps qu’elles emploient à décrire leurs orbites. Ce temps, on aurait pu le compter à partir d’un point quelconque de ces courbes ; mais tous les astronomes se sont accordés à prendre pour repère l’extrémité du grand axe de l’ellipse parcourue ; en d’autres termes, le point de l’orbite cométaire le plus rapproché du Soleil ; le point dans lequel, en réalité, la comète a son maximum de vitesse ; le point enfin qui, dans les éléments, porte le nom de périhélie. Après cette remarque on ne s’étonnera plus, j’espère, que le périhélie ait si souvent figuré dans les discussions que la réapparition de la comète a fait naître.

Nous avons dit que les divers calculs effectués par MM. Damoiseau et de Pontécoulant avaient fixé le 4, le 7 et le 13 novembre 1835 pour l’époque du dernier passage de la comète de Halley par son périhélie. Postérieurement, l’observation a donné le 16, c’est-à-dire 3 jours seulement de différence avec la détermination du calcul regardé comme le plus exact, et 12 jours de différence avec celle du calcul considéré comme le plus éloigné de la vérité.

La même comète avait été remarquée en 1456, comme on le reconnaîtra par les éléments suivants, que Pingré a déduits du peu de renseignements précis qu’il est possible de recueillir dans les auteurs de cette époque :

Inclinaison. Longitude
du nœud.
Longitude
du périhélie.
Distance
périhélie.
Sens du
mouvement.
17° 56′ 48° 30′ 301° 0′ 0,58 rétrograde.

Avant 1456, on ne trouve plus guère de véritables observations. Les chroniqueurs se contentent de dire : On vit une comète dans telle ou telle constellation. Quant à sa position par rapport à des étoiles connues, quant à l’heure de l’observation, pas un seul mot. Ainsi les éléments de l’orbite ne sauraient être calculés. Lorsque ce moyen presque infaillible de reconnaître une comète nous manque, le temps de la révolution est le seul guide dont il soit possible de faire usage. On a déjà vu combien ce temps est variable, combien dès lors les résultats qu’il peut donner doivent être incertains. Ce n’est donc qu’avec quelque doute que je présenterai la comète de 1305, celle de 1230 ; la comète mentionnée par Haly ben Rodoan en 1006, celle de 885, enfin une comète vue en l’an 52 avant notre ère, comme d’anciennes apparitions de celle de 1759. Quant à la comète de 1006, l’assimilation peut être justifiée, sinon par des éléments, du moins par la ressemblance des marches.

À la date de 1378 il est fait mention dans les ouvrages chinois d’une comète dont la route est très-bien indiquée. En se servant de la traduction du texte chinois donnée par Édouard Biot, M. Laugier a pu calculer avec exactitude les éléments de l’orbite de la comète de Halley pour 1378 ; il a trouvé :

Inclinaison. Longitude
du nœud.
Longitude
du périhélie.
Distance
périhélie.
Sens du
mouvement.
17° 56′ 47° 17′ 299° 31′ 0,58 rétrograde.

Voici un résumé des passages successifs de cette comète à son périhélie :

En 1378, le   8 novembre,
En 1456, le   8 juin,
En 1531, le 25 août,
En 1607, le 26 octobre,
En 1682, le 14 septembre,
En 1759, le 12 mars,
En 1835, le 16 novembre.

Ainsi, les intervalles entre deux passages successifs au périhélie ont été, pour les sept apparitions bien constatées :

jours.
De 1378 à 1456 
 28 343
De 1456 à 1531 
 27 467
De 1531 à 1607 
 27 811
De 1607 à 1682 
 27 352
De 1682 à 1759 
 27 937
De 1759 à 1835 
 28 006

Ces chiffres donnent en nombres ronds les durées de révolution suivantes :

77 ans et  7 mois,
75 ans et  2 mois,
76 ans et  2 mois,
74 ans et 11 mois,
76 ans et  6 mois,
76 ans et  8 mois.

La période moyenne est de 76 ans et 1 mois. Les perturbations qui ont diminué la période de 1 an 2 mois de 1607 à 1682, ont augmenté de 1 an 6 mois celle de 1378 à 1456. Les révolutions de la comète de Halley ne sont donc pas, comme on le croyait, alternativement de 76 et de 75 ans. Ainsi, sans la théorie des perturbations, on n’aurait pas pu prédire le retour de la comète en 1835 avec exactitude.

En comparant la durée de la révolution moyenne de la comète de Halley à la durée de la révolution de la Terre autour du Soleil, on trouve, au moyen de la troisième loi de Kepler (liv. xvi, chap. vi), que le grand axe de son orbite elliptique est égal à 35,9. La différence entre ce grand axe et la distance périhélie de la comète est donc égale à 35,3 ; telle est la valeur de la distance aphélie, c’est-à-dire de la plus grande distance qui puisse exister entre la comète et le Soleil. L’excentricité ou le rapport de la distance du foyer au centre, à la longueur du demi-grand axe, est de 0,9674. L’orbite elliptique de la comète de Halley est tracée sur la figure 184, qui représente le système planétaire des astronomes modernes ; on peut voir qu’elle s’étend un peu au delà de l’orbite de Neptune.