Astronomie populaire (Arago)/XIV/14

GIDE et J. BAUDRY (Tome 2p. 129-133).

CHAPITRE XIV

de la pénombre


Tout autour du noyau, quand il a de grandes dimensions, existe presque toujours une zone étendue d’une teinte moins sombre, qui, comme nous l’avons dit, se nomme aujourd’hui la pénombre.

La pénombre se distingue du reste de la surface apparente du Soleil, par un brusque changement d’éclat, par un contour nettement dessiné.

Notablement plus lumineuse que le noyau, notablement moins brillante que le reste du Soleil, la pénombre doit être considérée comme une découverte de Scheiner.

Scheiner n’a jamais vu une pénombre offrant sur son contour extérieur des angles aigus. Cet astronome eut tort de croire qu’une chose qui ne s’était point offerte à ses recherches ne pouvait pas exister. Je trouve, en effet, dans les observations d’Herschel, la figure d’une tache solaire dont le noyau, le 18 février 1801, à 7h 44m, avait une sorte de doigt très-saillant et très-aigu qui se reproduisait dans la pénombre ; 2h 11m après, au lieu de deux doigts, ou mieux de deux griffes, on en voyait six qui se correspondaient également. La cause, quelle qu’en fût la nature, qui modifiait la forme du noyau, agissait donc de la même manière sur la pénombre.

Scheiner croyait qu’il n’y a point de noyau sans pénombre. Hévélius était du même avis.

Cette règle manque d’exactitude. Le 27 février 1800, Herschel a vu deux grandes taches autour desquelles il n’y avait pas de pénombre. Quant aux petites taches, elles n’en ont presque jamais.

S’il fallait encore prouver qu’il existe quelquefois de larges pénombres sans noyau central, je citerais deux observations de William Herschel : une du 7 février 1800, l’autre du 12 février suivant.

La partie de la pénombre adhérente au noyau noir est sensiblement moins obscure que la portion voisine du contour extérieur. Cette remarque de J.-D. Cassini est très-digne d’attention. Schrœter a été également frappé de ce phénomène.

Me voici arrivé à la belle découverte que fit Alexandre Wilson, pendant qu’il suivait attentivement la grande tache qui se montra en novembre 1769. Voici en quoi consiste cette découverte.

J’ai déjà dit (chap. iv) que près du centre du Soleil, la pénombre, parfaitement terminée, entoure le noyau et est à peu près également large dans tous les sens ; mais que, lorsque la tache, s’avance vers le bord occidental de l’astre, le côté de la pénombre situé entre le noyau et le centre du Soleil, paraît se contracter considérablement, avant que les autres parties de cette même pénombre aient changé de dimension d’une manière sensible.

Quand la tache est parvenue à 24″ du bord, la pénombre n’existe plus du côté du centre. Une portion du noyau a aussi évidemment disparu du même côté. (Trans., vol. lxiv, p. 7.)

Remarquons de nouveau que si nous plaçons la pénombre à la surface du Soleil, et que si nous admettons qu’elle soit une portion même de cette surface partiellement éteinte, les phénomènes observés par Wilson seront entièrement inexplicables. Dans cette hypothèse, en effet, la région de la pénombre qui serait vue le plus obliquement devrait se montrer plus rétrécie et disparaître la première ; c’est précisément le contraire qui a lieu. La partie de la pénombre voisine du bord du Soleil, reste encore visible quand la partie comprise entre le noyau et le centre s’est déjà totalement effacée.

Wilson rend un compte exact, un compte géométrique de sa très-curieuse remarque, en supposant que les taches solaires sont de grandes excavations dans la matière lumineuse du Soleil. Les noyaux, d’après cette supposition, deviennent les fonds des cavités ; les talus forment les pénombres ; les portions de pénombre voisines du centre doivent alors nécessairement se rétrécir et disparaître les premières par un effet de perspective, comme chacun s’en assurera en faisant convenablement une figure telle que celle que nous donnons ici (fig. 162) où l’on voit que la pénombre ab visible en T′, cesse d’être visible pour un observateur placé en T, par rapport au Soleil.

Fig. 162. — Disparition d’une partie de la pénombre avant le noyau.

Telle serait même la loi mathématique du phénomène que, d’après l’observation de la place où la pénombre s’évanouirait, on arriverait aisément à calculer l’abaissement du noyau par rapport à la surface solaire. C’est ainsi qu’en décembre 1769, Wilson trouvait pour cet abaissement, dans une belle tache alors visible, une quantité égale au rayon de la Terre.

Lalande et Francis Wollaston croyaient que pour renverser totalement le système d’Alexandre Wilson, il suffisait d’une seule remarque. Suivant eux, dans ce système, l’absence de pénombre du côté du centre du Soleil, quand la tache s’approche du bord, devrait s’observer constamment, comme le montre la figure 162 ; cependant il arrive quelquefois, quoique très-rarement, que la pénombre semble à peu près également large des deux côtés opposés du noyau.

Cette difficulté n’est pas insurmontable. On peut disposer des talus, pour des cas exceptionnels, de manière que l’égalité des pénombres s’observe là où d’ordinaire une d’elles disparaît.

Nous l’avons expliqué (chap. iv), quand une tache isolée est près du centre du disque solaire, la pénombre en général s’étend tout autour du noyau ; mais il n’en est pas de même des cas où deux taches sont voisines. Alors, ou la pénombre manque tout à fait dans l’intervalle qui sépare les deux taches, ou elle y est, pour l’une et pour l’autre tache, notablement rétrécie.

Ajoutons que dans la théorie que nous adoptons sur la constitution physique du Soleil, il ne se forme de taches avec noyau et pénombre qu’au tant que l’atmosphère réfléchissante et quelque peu opaque, ainsi que la photosphère, s’écartent inégalement pour laisser voir à nu le corps obscur de l’astre et une partie de l’atmosphère réfléchissante.